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antiAtlas Journal #2 - 2017

SoundBorderscapes : vers une écoute critique de la frontière

Elena Biserna

Elena Biserna est chargée de recherche et enseignement à l’ESAAix,̀ Locus Sonus, PRISM. Ses intérêts portent sur les arts sonores et les pratiques contextuelles par rapport aux dynamiques urbaines, aux processus socio-culturels et au quotidien. Dans cet article, elle explore le potentiel de l'écoute pour une épistémologie critique de la frontière, pour la repenser comme un dispositif dynamique et relationnel.

 

Mots clés: borderscape, paysage sonore, field recording, art sonore, acoustémologie, frontière, écoute, Justin Bennett, Jacob Kirkegaard, WR, Ultra-red, Lawrence Abu Hamdan

 

Toutes les images sont courtesy leurs auteur·es.

WR, Border Sounds, 2001.

Pour citer cet article : Biserna, Elena, "Soundborderscapes : pour une écoute critique de la frontière", publié le 10 décembre 2017 in antiAtlas Journal #2 | 2017, en ligne, URL : https://www.antiatlas-journal.net/02-soundborderscapes-vers-une-ecoute-critique-de-la-frontiere, dernière consultation le date.

I.
Introduction
borderscapes et soundscapes

1Le terme « borderscape », initialement introduit dans le champ artistique et ensuite repris par différents auteurs dans la littérature spécialisée, renvoie à une notion complexe, ambiguë et multiple de frontière. Composé du mot « border » et du suffixe « -scapes », le terme suggère, tout d’abord, une image mobile et temporelle de la frontière ; une réalité en devenir, qui change dans l’espace et dans le temps. Selon la définition de Chiara Brambilla (2015, 5) :
Un espace non statique, mais fluide et fluctuant, constitué et traversé par une pluralité de corps, discours, pratiques et relations qui révèlent des définitions et des recompositions continues des divisions entre intérieur et extérieur, citoyen et étranger, hôte et voyageur, à travers les multiples frontières nationales, régionales, raciales.

En second lieu, le terme renvoie aux modalités de perception de la frontière, au rôle des représentations visuelles, narratives et performatives dans la constitution de ses sens et de ses effets, à sa nature culturellement construite (Strüver 2005). Quant au terme « soundscape » – introduit par le musicologue canadien Raymond Murray Schafer et traduit en français par l’expression « paysage sonore » (Schafer 1977) – il désigne « l’environnement sonore qui entoure l’auditeur » (Rodaway 1994, 83) ; un environnement qui est toujours dynamique, temporel et relationnel, créé et récréé dans l’expérience de l’écoute. Ce terme, donc, sous-tend une écologie, une relation entre sujet et contexte. Justin Winkler, par exemple, le définit comme « la totalité des sons qui nous entourent […] en tant que percettema, objet de la perception rapporté à un sujet », en le distinguant du « champ acoustique », c’est à dire « l’espace acoustique-physique d’un objet » (Winkler 2001, 18). Ainsi, les deux termes soulignent le dynamisme, la fluidité et la multiplicité du réel. Ils posent l’accent sur son ontologie ni statique ni naturelle, mais complexe et culturelle, constamment définie et redéfinie par une constellation de pratiques et de discours. Ils pointent donc le rôle déterminant du sujet (individuel et collectif) dans sa production, définition, matérialisation.

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2À partir de ces analogies, dans ce texte j’introduis le terme « soundborderscapes » pour explorer une série de projets qui investissent la frontière comme champ de recherche et d’expérimentation à travers le son et l’écoute. Cet article propose ainsi une approche critique du field recording, de la soundscape composition et généralement des arts sonores pour en souligner le potentiel épistémologique et politique en intégrant les perspectives esthétiques et phénoménologiques qui ont souvent dominé la réflexion dans ce domaine. Il s’agit avant tout de reconnaitre le potentiel du microphone de « donner voix » à ces territoires contestés, de rendre audibles et amplifier les conflits et les processus qui ont lieu à la frontière – ou la frontière même comme processus. Il s’agit donc également d’interroger l’interprétation traditionnelle de la frontière comme ligne de séparation entre des entités différentes en utilisant l’écoute comme une méthodologie critique. En définitive, il s’agit de suggérer une « acoustémologie » (Feld 1982) de la frontière pour repenser les dichotomies entre intérieur et extérieur, entre appartenance et extranéité, entre inclusion et exclusion qui sont au centre de cette notion.
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II.
Enregistrer (à) la frontière

3Plusieurs artistes se sont dédiés à des opérations de cartographie de paysages sonores le long des zones frontalières entre les États. Le choix d’enregistrer (à) la frontière, évidemment, n’est ni transparent ni neutre. Au contraire, ce choix manifeste une implication de l’artiste par rapport à l’un des dispositifs spatio-temporels les plus imprégnés d’enjeux culturels, sociaux, économiques et politiques du monde contemporain. Enregistrer (à) la frontière signifie avant tout choisir un positionnement, un point d’écoute précis ; exploiter la capacité d’amplification (métaphorique et littérale) du microphone dans l’un des endroits où les dynamiques contemporaines se manifestent d’une façon privilégiée pour les « rendre audibles ».Ce choix conduit à questionner la transparence de l’enregistrement pour révéler avec une évidence particulière le statut du field recording comme pratique active et subjective d’encadrement (donc de construction) du réel et son potentiel critique.

Dans Europa (2001-03), l’artiste Justin Bennett s’engage dans un projet utopique de cartographie sonore des frontières européennes, en enregistrant à plusieurs reprises les terrains vagues entre les pays Schengen ; des zones souvent abandonnées, où la plupart des fonctions de contrôle exercées à la frontière n’ont plus raison d’être. Comme l’artiste l’explique : « Ces endroits avaient souvent des soundscapes très intéressants. On peut entendre toutes les choses qui arrivent, mais à une distance dilatée qui crée un sens de vide et de silence très intrigant » (Mannucci 2004). Les matériaux de base du projet sont une série d’enregistrement ambiants et d’autres enregistrements effectués avec des microphones de contact posés sur les clôtures qui parfois restent sur les anciennes zones de frontière. A partir de ces field recordings, Europa s’est matérialisé dans des formes différentes : avant tout comme installation et par la suite dans un CD, dans un projet radiophonique en ligne et dans une publication à tirage limité.

Dans la version réalisée en 2002 au CCNOA-Center for contemporary non-objective art à Bruxelles, les différents enregistrements étaient activés en temps réel par un programme automatisé qui utilisait des dessins des frontières européennes comme une partition pour mixer et spatialiser le son, en créant une installation immersive en continuel changement (Fig. 2). Ces field recordings ont été publiés en version stéréo dans les pistes du CD. En les écoutant, on entend des sonorités naturelles et, à distance, des sons d’activités humaines qui se mêlent avec les vibrations engendrées par le vent sur les barrières, les résonances des séparations matérielles entre les pays (Pistes 1-2). Il en résulte un paysage sonore spectral, dépourvu de la présence humaine mais fortement construit : « une sorte de portrait sensible du vide », comme l’artiste le définit (Mannucci 2004). En assumant l’impossibilité d’une cartographie exhaustive des frontières d’une Europe en pleine expansion, l’artiste semble mettre l’accent sur l’abandon de ces zones en faisant résonner les structures matérielles encore visibles et physiquement présentes mais vidées de leurs fonctions et de leurs usages.

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Fig. 1: Justin Bennett, Europa, Border 1, 2006. 21 x 28 cm, édition de 3.

Fig. 2 : Justin Bennett, Europa, Border 4, 2006, impression jet d'encre sur papier, 21 x 28 cm.

Justin Bennett, Europa, Pistes 2 et 4, 2006.

4Les dispositifs de cristallisation des frontières et leur matérialité sont également abordés dans Through the Wall, une installation réalisée en 2013 par Jacob Kirkegaard. La frontière explorée dans ce projet est celle qui plus directement et dramatiquement renvoie à une image de séparation et d’exclusion matériellement établie par une barrière physique : la frontière israélo-palestinienne. Comme Bennett, Kirkegaard a réalisé une série de field recordings dans les alentours de Bethléem, en enregistrant le système de barrières érigé par Israël en Cisjordanie suite à la deuxième intifada. Initialement présenté comme une mesure défensive temporaire en réponse à une urgence sécuritaire – et malgré les sentences des Nations Unies et de la Court internationale de justice de La Haye qui l’ont considéré comme une violation du droit international – le mur a progressivement été « normalisé » en devenant, de fait, la frontière entre Israël et les Territoires Palestiniens. Si Israël considère la barrière comme un dispositif de protection contre le terrorisme palestinien, en arabe le mur est défini avec l’expression jidār al-fal al-ʿunūrī, « mur de séparation raciale », ou « mur de l’apartheid »

Dans l’effort d’« écouter le mur, et les deux cotés de celui ci ; entendre ce que le mur lui même a à dire » (Kirkegaard 2015), l’artiste a enregistré de part et d’autre de la barrière, en proximité de sa surface, en utilisant soit des microphones extrêmement sensibles soit des capteurs appuyés au mur de ciment pour en détecter les vibrations. En essayant de se rendre dans les mêmes endroits de chaque côté du mur, Kirkegaard s’est retrouvé confronté à l’évidence de son existence physique, aux obstacles liés au passage des check points, à la présence intimidante des tours de contrôle. Ces difficultés, comme l’écrit encore l’artiste, « ont souligné le sens de séparation, d’aliénation et d’isolement forcé que le mur crée » (Kirkegaard 2015). Un sens de séparation et d’isolement qui est également souligné dans la série de photographies prises par l’artiste lors de ses explorations, qui dépeignent à distance rapprochée le mur et les structures défensives israéliennes (Fig. 3 & 4). Cependant, au delà de ces images, si nous écoutons les enregistrements, ce qui émerge est un soundborderscape absolument hybride, dans lequel les démarcations et les divisions sont dépassées dans une polyphonie multiple. Un soundborderscape dans lequel la présence constante des basses fréquences des vibrations du mur est mélangée avec des sons des véhicules de passage ou avec l’Adhan d’un muezzin diffusé par quelque minaret dans les Territoires Palestiniens. En d’autres termes, d’un point de vue auditif, le mur devient poreux, perméable, résonnant ; une membrane qui laisse filtrer les paysages sonores des territoires qu'il vise à séparer. Le titre même du projet, Through the Wall, évoque directement la notion de traversée, la transmission du son, et cette « dématérialisation » sonore de la frontière est davantage renforcée par la structuration de l’installation : un mur avec une série de haut-parleurs qui transmettent les enregistrements de l’artiste sans fournir aucune indication sur le coté du mur dans lequel les field recordings ont été réalisés (Fig. 5). Ainsi, le projet déconstruit la matérialité du mur pour en souligner la nature construite et polymorphe et, surtout, sa pénétrabilité, son ouverture au passage.

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Fig. 3 : Jacob Kirkegaard, Palestine 2013.

Fig. 4 : Jacob Kirkegaard, Palestine 2013.

Fig. 5 : Jacob Kirkegaard, Through the Wall, ARoS Art Museum, Aarhus, Danemark, 2017.
Photographie Jacob Kirkegaard.

III. Composer les luttes sur / à la frontière

5Dans d’autres projets, l’enregistrement et l’amplification de la frontière assument une dimension militante plus explicite et le microphone et la table de mixage sont utilisés comme des outils d’engagement politique. « Donner voix » aux dynamiques frontalières, les rendre audibles, dans ces cas, devient une pratique dissensuelle dans le sens proposé par Jacques Rancière : une pratique qui « fait voir ce qui n’avait pas lieu d’être vu [...] fait entendre comme discours ce qui n’était entendu que comme bruit » (Rancière 1995, 53). Ici, en fait, le microphone est dirigé vers les conflits qui ont lieu à la frontière, « ces luttes qui prennent forme autour de [...] la ligne instable entre le ‘dedans’ et le ‘dehors’, entre l’inclusion et l’exclusion », comme Mezzadra et Neilson le rappellent dans leur livre Border as Method (2013, 13). En faisant apparaître les conflits à la/sur la frontière et en les rendant audibles ces projets utilisent le field recording et la soundscape composition comme action politique qui vise à perturber – à déconstruire par le biais de l’écoute et de la résonance – le dispositif de matérialisation de la dichotomie entre inclusion et exclusion et ainsi le régime de distribution des rôles dans la communauté politique. 
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6En juillet 2001, le collectif WR a commencé un voyage de cinq semaines pour cartographier la frontière orientale de l’Union Européenne dans le cadre de la campagne NO Border, NO Nation du NOborder caravan network – un réseau international qui réunissait des organisations et des collectifs engagés dans des manifestations contre le renforcement des contrôles migratoires et dans des actions pour la liberté de circulation. En partant de Gênes et des protestations au G8 de cette année-là, WR a voyagé vers l’est en se tenant le plus près possible des frontières, en passant par la côte adriatique, en traversant la frontière italo-slovène en deux points (Gorizia-Nuova Goriza et Lazaret) et en continuant vers le nord le long de la frontière austro-slovène, austro-hongroise, austro-slovaque, germano-tchèque et germano-polonaise (Fig. 6 à 8). Pendant ce tour, appelé Border Sounds, WR a recueilli des field recordings, mais il a aussi rencontré et interviewé une série d’acteurs qui vivent, travaillent, militent à la frontière (ou qui la subissent) : des activistes, des simples résidents, des politiciens, des militaires, des agents de frontière, des opérateurs des centres de détention, des migrants, des représentants des organisations pour la défense des droits humains. Ce sont ces voix qui donnent vie au soundborderscape européen comme il se présentait en 2001 : un témoignage à plusieurs voix de l’expérience – hétérogène, polysémique, conflictuelle – de la frontière. Les enregistrements ont été présentés dans un projet radiophonique sur Kunstradio, utilisés pour un film sonore intitulé The Voice (2001), et enfin composés dans un album sorti par le label Public Records en 2005 (c’est à dire quand les frontières de l’Union Européenne s’étaient déjà étendues pour intégrer quelques-uns des pays explorés dans Border Sounds). Dans cette version, les enregistrements sont composés de 24 morceaux. Les premiers morceaux mixent des field recordings des manifestations au G8 de Gênes avec des extraits du journal télévisé italien, le soundscape de l’école Diaz, des voix des militants. En avançant progressivement dans l’album, des paysages sonores marins, urbains ou ruraux sont habités pas des voix qui racontent différentes expériences de la frontière : des histoires de traversées à la nage de la frontière italo-slovène, le témoignage du maire de Nuova Goriza qui décrit la porosité de la ligne qui la sépare de Gorizia ou ceux des opérateurs du centre de détention de Ljubljana à propos de l’hostilité des habitants des alentours (Pistes 3 à 6). Des pratiques de contrôle et de transgression, de réglementation et de violation qui articulent la tension primaire de la frontière entre « border reinforcement » et « border crossing » (Vila 2000).

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Fig. 6 : WR, Border Sounds, 2001.

Fig. 7 : WR, Border Sounds, 2001.

Fig. 8 : WR, Border Sounds, 2001. 

Pistes audio, de haut en bas :
- WR, Lazaret Bay, Slovenia. Southern Terminal Adriatic Sea. Border Sounds (Public Record, 2005). 
- WR, Nova Gorica / Gorizia, Slovenia / Italy. Border Sounds (Public Record, 2005). 
- WR, Interview with the mayor of Nova Gorica. Border Sounds (Public Record, 2005).
- WR, Detention Center, Ljubljana, Slovenia. Border Sounds (Public Record, 2005).

7Une approche à la composition bien plus liée au glitch et à l’imaginaire électronique et ambient caractérise La Economia Nueva (Operation Gatekeeper), publié en 2002 par le collectif Ultra-red. Né aux Etats-Unis en 1994 dans le cadre des campagnes sur le SIDA, Ultra-red a continué, au cours des années, à explorer les articulations entre pratique artistique et activisme en regroupant différents artistes, chercheurs, militants autour de projets interdisciplinaires aux formes différentes, mais – tous – ancrés dans les luttes antiracistes et anticapitalistes ou centrés sur la planification participative, le logement social, le travail ou l’éducation. Comme le groupe le déclare : « En explorant l’espace acoustique comme élément qui énonce les relations sociales, Ultra-red adopte la cartographie acoustique des lieux et des histoires contestés en utilisant la recherche sonore (appelée Militant Sound Investigation) pour s’engager directement dans l’organisation et l’analyse des luttes politiques » (Ultra-red). Le paysage sonore, pour Ultra-red, est un espace social dissensuel – un « soundscape of struggle », comme ils le définissent (Ultra-red 2008, 5) – qui exprime les contradictions et les conflits du champ social. L’enregistrement devient ainsi un outil d’analyse basé sur l’écoute ; une écoute et une analyse qui, cependant, ne sont pas considérées comme extérieures et disjointes de l’action politique, mais qui, au contraire, participent directement au processus d’organisation de nouvelles formes de subjectivité politique.

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8Les enjeux des migrations ont été abordés par le groupe dans plusieurs projets, mais La Economia Nueva est peut-être leur premier projet de cartographie acoustique des luttes à la frontière. Le matériel à la base des quatre morceaux qui composent l’album sont des enregistrements sur le terrain réalisés à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, au Saint Ysidro Port of Entry (le plus ample des trois points d’accès entre San Diego et Tijuana) le 10 décembre 2000, pendant les manifestations contre les opérations de renforcement de la frontière appelés Operation Gatekeeper. Lancée en 1994 – l'année même de l’approbation du North American Free Trade Agreement (NAFTA) et donc de la libéralisation des échanges économiques entre le Mexique, les États-Unis et le Canada – Operation Gatekeeper a développé une série de dispositifs de contrôle : un système de barrières physiques, des capteurs souterrains, des nouveaux check points, la première Cour de l’immigration à la frontière, un système d’identification biométrique et, de fait, sa complète militarisation. Dans ce cadre, donc, l’opération devient un cas exemplaire des contradictions entre la libéralisation croissante du passage de marchandises, capitaux et mains d’œuvre dans le paysage global et du concomitant renforcement des mesures de protection contre l’immigration illégale. En d’autres termes, de la sélection, du filtrage et de la différenciation qui, comme de nombreux chercheurs l’ont souligné, deviennent la première fonction de la frontière contemporaine (Balibar 1994, Popescu 2012, Parizot et al. 2013, entre autres). Mezzadra et Neilson, par exemple, affirment que « les frontières, loin de servir simplement à bloquer ou obstruer les passages de personnes, d’argent ou d’objets, sont devenues des dispositifs centraux de leur articulation » (2013, IX). Une articulation qui est en grande partie déterminée par les raisons du néolibéralisme global. Dans La Economia Nueva, les Ultra-red assument explicitement cette contradiction en composant, ou en « organisant », un « soundborderscape of struggle ». En utilisant toutes les procédures de traitement du son de la console de mixage, les morceaux développent des textures sonores à la fois denses et raréfiées. Dans le premier morceau, des fréquences basses font émerger graduellement des sons percussifs, des rythmiques répétitives et des voix qui articulent, en espagnol et en anglais, des prises de position individuelles et collectives sur l’opération Gatekeeper et sur le droit de libre circulation. Le deuxième morceau, Movimiento II (Piste 7), est marqué par un rythme percussif métallique qui semble renvoyer à la présence des barrières physiques en les faisant résonner. Moins référentiel et narratif que Border Sounds, l’album établit un rapport plus indirect mais non moins explicite aux conflits économiques et politiques sur/à la frontière, à travers l’écoute, l’enregistrement, la manipulation et l’organisation sonore. En ce faisant, Ultra-red s’appuie sur certaines des techniques et sur la terminologie des avant-gardes musicales – dans cet album, surtout des techniques de la musique électronique et du glitch – mais en les déplaçant sur un plan politique. Dans les années 40, insatisfait des démarcations restrictive de la notion de musique, Edgard Varèse en élargissait la définition en introduisant le terme « son organisé » (1983, 56). Cette définition est ensuite reprise par John Cage dans son texte The Future of Music: Credo (2004), mais l’enjeu est toujours la définition de la musique, ses matériaux, ses instruments. Pour Ultra-red, au contraire, l’organisation di champ sonore devient juste le premier pas pour l’organisation de l’écoute ; une écoute interprétée comme relation à l’autre et au monde et qui a donc le potentiel soit de poser les bases d’une « analyse en action » (Ultra-red 2012, 3), soit de « contribuer d’une façon substantielle à la construction de la collectivité » (Ultra-red 2012, 4). 

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Track 7: Ultra-red, Movimiento II. La Economia Nueva (Operation Gatekeeper) (Fat Cat Records, 2002).

IV. Voiceborderscapes

9Les conflits qui définissent la nature même de la frontière sont également investis dans Language Gulf in the Shouting Valley (2013) de Lawrence Abu Hamdan – un artiste qui a abordé à plusieurs reprises les enjeux des dispositifs de contrôle, de surveillance et des processus d’exclusion et d’inclusion dans la société contemporaine à travers des enquêtes de pratiques légales liées à l’écoute, de technologies sonores d’identification, du statut juridique de la voix et du langage. Ces sujets sont aussi au centre de cette installation audio-visuelle qui explore la frontière orale entre Israël et la Syrie et, en particulier, la zone du plateau du Golan annexée par Israël pendant la guerre des Six Jours (1967) et qui, de jure, appartient encore à la Syrie (Fig. 9). Language Gulf In the Shouting Valley interroge ce borderscape contesté en se concentrant sur les pratiques vocales des Druzes – un groupe ethnique qui suit une doctrine religieuse hétérodoxe de dérivation chiite et qui vit entre le Liban, la Syrie, Israël et la Jordanie. Considérés par les musulmans comme hérétiques et objets de persécutions déjà à partir du XIe siècle, les Druzes incarnent la frontière culturelle et identitaire de cette zone en manifestant d’une façon particulièrement contradictoire un double mouvement entre exclusion et inclusion, appartenance et extranéité. D’un côté, cette communauté s’est souvent mélangée aux états dans lesquels elle vit, en participant à leur vie publique. De l’autre, elle maintient un statut minoritaire, souvent formellement reconnu par les pays de résidence, et un fort sens d’identité transnationale, qui dépasse les frontières entre les états. L’identité liminale des Druzes – ni musulmans ni juifs, citoyens mais « étrangers », intérieurs et extérieurs – devient, dans l’installation, une métonymie de la complexité de la frontière.

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Fig. 9 : Lawrence Abu Hamdan, Language Gulf In the Shouting Valley, 2013. Vue de l’installation à la Kunsthalle St Gallen.

10La vidéo (Vidéo 1) alterne des longs plans séquences noirs avec des brefs fragments d’images flous et low-fi qui montrent une des pratiques vocales des Druzes à la frontière, dans la « Shouting Valley ». Dans cette région, la communauté Druze a été divisée après la guerre des Six Jours suite à l’occupation israélienne et des familles entières continuent à vivre d’une partie et de l’autre de la frontière. Jusqu’à ces dernières années et à l’arrivée d’Internet, les habitant n’avaient pas d’autre moyen de communiquer qu’à travers une tactique vocale précise, qui a donné le nom à la vallée : se rendre sur la « Shouting Valley » et crier, parfois à l’aide d’un mégaphone, pour projeter sa propre voix au-delà des barrières, atteindre l’autre côté et donc réunir les familles séparées. Les images vidéo documentent ces moments de communication transnationale où le personnel devient public et la voix est utilisée comme modalité de transgression des limitations sanctionnées par la frontière. La bande son joue un rôle de premier plan dans l’économie de l’installation. Ici, les enregistrements de ces rencontres à distance sont montés avec un entretien de Lisa Hajjar – une spécialiste de sociologie du droit et d’études internationales qui s’est depuis longtemps occupée des droits de l’homme, torture, conflits et, en particulier, du système des tribunaux militaires israéliens dans les Territoires Palestiniens. Le témoignage de la sociologue complique ultérieurement les perspectives sur les Druzes en décrivant comment Israël, en vertu de leur bilinguisme, les a systématiquement employés comme traducteurs dans les tribunaux militaires pour les procès contre les palestiniens. Perçus comme « non arabes » et « non musulmans », les Druzes ont ainsi été identifiés comme des alliés de l’état dans l’une des institutions les plus importantes pour le maintien du contrôle en Palestine. Pour leur part, les Druzes démontrent leur loyauté à Israël à travers une disposition hostile vis-à-vis des accusés et des traductions lacunaires pendant les procès. Pendant le témoignage de la sociologue, les images vacillantes continuent à hanter l’écran. À la fin de la vidéo nous nous rendons compte que ces images documentent aussi un jour très spécial dans la « Shouting Valley ». Une voix off de plus en plus distordue nous raconte, en arabe, que le 15 mai 2011, l’anniversaire de la Nakba, une manifestation des deux côtés de la frontière se transforma en transgression et une centaine de manifestants palestiniens entrèrent de Syrie en Israël. En même temps, nous écoutons un paysage vocal de plus en plus agité, dessiné par des cris priant les manifestants de s’arrêter et rappelant la présence des mines, des hurlements et des sifflements à leur passage, des chœurs et des slogans chantés à plusieurs voix. Comme le même narrateur le dit, soit dans la « Shouting Valley » soit dans les tribunaux militaires israéliens :

Les corps des Druzes habitent la frontière et c’est leur voix qui devient un moyen de l’affirmer, de la négocier et parfois de la transgresser. Dans la salle de tribunal c’est la voix bilingue de l’interprète qui devient la ligne frontalière entre la Palestine et Israël. La frontière purement vocale de l’interprète fait respecter la domination des Palestiniens en filtrant leur discours, en permettant à la minorité de leurs mots de devenir audibles et en faisant taire le reste. Et, dans le plateau du Golan, c’est à travers la voix des Druzes que la division entre Palestine et Israël devient distinctement audible.

Dans ce projet, donc, la frontière est rendue comme un complexe voiceborderscape, en même temps renforcé et traversé, matérialisé et transgressé, par les pratiques vocales et linguistiques des Druzes. Entre réduction au silence et amplification, entre stratégies de contrôle et tactiques de résistance, la voix des Druzes incarne une frontière (intérieure et extérieure), comme un processus contradictoire engendré par des instances et des relations de pouvoir multiples.

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Vidéo 1 : Lawrence Abu Hamdan, Language Gulf In the Shouting Valley, 2013. Extrait de 3 min.

V. À l’écoute des frontières

11Le son est envahissant – il se diffuse dans l’espace et le sature – et il est par sa nature relationnel – il engage chaque corps qu’il rencontre dans un processus vibratoire, en rendant ses limites osmotiques et ses démarcations malléables. Le son n’est ni un objet ni un attribut d’un objet, mais il est généré par les relations et les interactions entre contextes, objets et sujets (O’Callaghan 2007). Cette relationalité intrinsèque est liée à la nature matérielle, vibratoire, du son : à sa capacité de générer des échanges énergétiques et tactiles, d’engendrer une perméabilité radicale, de traverser des espaces en se transmettant d’un corps à l’autre, d’une matière à l’autre. Comme Roberto Barbanti le souligne, « l’événement vibratoire-acoustique, le contexte dans lequel il a lieu et le sujet qui perçoit [il soggetto percipiente] sont une unité et ils ‘composent’ le son perçu dans sa durée irréductible » (2004, 95). La sphère auditive est ainsi dominée par des lois qui sont profondément différentes de celles du visible ; des lois qui contredisent et renversent des dichotomies profondément enracinées dans la pensée occidentale. Le sociologue Michael Bull affirme, à cet égard :

L’auditif – dans la hiérarchie des sens dans le monde occidental – se classe après la vue, et pourtant il arrive à troubler les épistémologies d’inspiration visuelle que nous prenons pour acquises : la distinction claire entre sujet et objet, intérieur et extérieur, soi et monde (Bull 2005, 112).

C’est exactement sur ces épistémologies, de dérivation cartésienne, que la notion moderne et traditionnelle de frontière a été modelée, construite et représentée. Une idée de frontière comme ligne de démarcation stable entre deux entités territoriales différentes, cristallisée de manière particulièrement explicite dans les dispositifs de séparation entre pays : murs, barrières, clôtures. Si les Border Studies contemporaines ont largement dépassé cette représentation linéaire et fixe de la frontière (et la notion de borderscape souligne très bien ce passage), la connaissance auditive l’exclut a priori, car elle est basée sur l’ubiquité, l’immersion, le devenir, la propagation, la vibration, la transmission, la résonance. Le son, figure mobile et errante par excellence, transgresse sans cesse les limites, traverse les barrières, questionne les identités monolithiques. L’écoute génère une connaissance spatiale à 360° – sans centre et sans périphérie, toujours incarnée, située, expérientielle, affective – et nous transmet des informations non seulement sur la nature des phénomènes mais, avant tout, sur leurs relations, leur devenir dans l’espace et dans le temps, leur pluralité. Par conséquent, du point de vue de l’écoute, la frontière devient un flux en devenir, engendré par une chaine d’événements en recomposition continue et en interaction réciproque, même quand elle est matérialisée dans un mur ou une barrière fortifiée. Des tactiques vocales des Druzes à la résonance d’une clôture métallique, les soundborderscapes créés par les artistes déconstruisent le dualisme entre intérieur et extérieur pour proposer une « image » de la frontière comme une membrane constamment traversée par le passage de l’autre et, en même temps, articulée, constituée et transgressée par une multiplicité de pratiques, événements, discours, relations. Dans cette perspective, non seulement ils amplifient et « rendent audibles » les processus qui ont lieu à la frontière – ou la frontière comme processus – mais ils nous proposent l’écoute comme un instrument utile pour une épistémologie critique de la frontière.

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12Dans une conversation récemment publiée, en parlant d’une thématique apparemment très éloignée des frontières géopolitiques, l’artiste et théoricien Brandon LaBelle m’a écrit : « un soi défini en termes de son, pour moi, est le début du déplacement de l’intérieur et de l’extérieur et de la ligne entre ce qui est dedans et ce qui est dehors » (Biserna et LaBelle 2016, 286). Écouter la frontière, alors, pourrait être considéré comme un outil pour interroger et défier les oppositions entre appartenance et extranéité, inclusion et exclusion, et la partition des rôles qui sont associés à ces catégories. Un outil pour la (re)penser d’une façon non dualiste, mais complexe, dynamique, performative, contingente, plurielle et relationnelle.

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Références bibliographiques

13

Balibar, Etienne, 1994, « Qu’est-ce qu’une ‘frontière’ ? », in Caloz-Tschopp, M.-C., Clevenot, A. (dir.), Asile, Violence, Exclusion en Europe. Histoire, analyse, prospective, Genève, Cahiers de la Section des Sciences de l’Éducation, Université de Genève et Groupe de Genève « Violence et droit d’asile en Europe », p. 355-343.

 

Barbanti, Roberto, 2004, « Meccanicismo e determinismo: Ovvero come lo sguardo, fissandosi sulle cose, ha prodotto una visione del mondo riduttiva », in Colimberti, Antonello (dir.), Ecologia della Musica. Saggi sul Paesaggio Sonoro, Rome, Donzelli.

 

Biserna, Elena, LaBelle, Brandon, 2016, « From the Self to the Other. Elena Biserna in conversation with Brandon LaBelle », in LaBelle, Brandon (dir.), Overheard and Interrupted: Works by Brandon LaBelle, Dijon, Les presses du réel.

 

Brambilla, Chiara, 2015, « Il confine come borderscape », Intrasformazione. Rivista di Storia delle Idee, 4:2, p. 5-9.

 

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Notes

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1. Elena dell’Agnese et Anne-Laure Amilhat Szary reconstruisent les usages du terme en individuant sa première apparition dans le titre d’une performance des artistes Guillermo Gómez-Peña et Roberto Sifuentes, Borderscape 2000: Kitsch, Violence, 25 and Shamanism at the End of the Century (1999) (dell’Agnese et Amilhat Szary, 2015).
 

2. Pour une approche critique au field recording et aux arts sonores dans le paysage post mondial nourri des apports des études culturelles et postcoloniales, voir Pisano 2017.
 

3. Dans ce texte, je me limite à analyser deux travaux des artistes Justin Bennett et Jacob Kirkegaard, mais les projets d’enregistrement des frontières sont bien plus nombreux. Par exemple, Border Zone Recordings – un projet d’enregistrement des passages officiels et non officiels entre pays de l’artiste James Webb – ou Belju Soundbridge – un autre projet commencé en 2009 par les artistes Gilles Aubry, Stéphane Montavon et Carl.Y pour explorer la frontière franco-suisse à travers des formes différentes d’écoute, enregistrement et performance sonore (les résultats on été publiés dans une édition en ligne: http://belju.universinternational.org/, dernière consultation septembre 2016).
 

4. Sur la polysémie de la frontière – le fait que la frontière signifie des choses différentes pour des groupes sociaux différents – voir Balibar 1994.
 

5. En particulier, je pense à la série Surveying the Future, commencée en 2001 et dédiée à l'exploration des conditions des migrants, des politiques migratoires et du racisme en Europe, dans des pays tels que l'Allemagne, la Serbie et le Royaume-Uni: http://www.ultrared.org/pso7.html (dernière consultation septembre 2016).
 

6. Dans la présentation d’un autre album, Play Kanak Attak (2002), le groupe aborde directement le double régime qui caractérise la liberté de mouvement dans la société globale : « La libre circulation des personnes doit être reconnue comme un aspect de la vie quotidienne. Cette liberté doit être reconnue pour tout le monde – les travailleurs du sexe, les travailleurs agricoles, les familles et les amoureux qui essaient de se réunir, les Roms, les réfugiés politiques – et pas comme un droit réservé aux travailleurs privilégiés de l'ordre néolibéral, comme les travailleurs des ONG, les élites techniques et les musiciens électroniques cosmopolites ». http://www.ultrared.org/pso7b.html (dernière consultation septembre 2016, ma traduction).
 

7. Il écrit : « Comme le terme de ‘musique’ me parait avoir perdu de plus en plus de sa signification, je préférerais employer l’expression de ‘son organisé’ et éviter la question monotone : ‘Mais qu’est-ce de la musique ?’ ‘Son organisé’ semble mieux souligner le double aspect de la musique, à la fois art et science, alors que les récentes découvertes de laboratoire nous permettent d’espérer une libération inconditionnelle de la musique, en même temps que la possibilité pour ma musique de s’exprimer et de satisfaire ses exigences » (Varèse 1983, 56).
 

8. The Freedom of Speech Itself (2012), par exemple, est un documentaire audio qui examine l’usage de l’analyse de la voix pour déterminer les origines et l’authenticité de l’accent des demandeurs d’asile au Royaume-Uni à travers des témoignages d’avocats, d’experts de phonétique, de demandeurs d’asile et de dirigeants de l’Home Office britannique. Le documentaire est fini sur le banc des preuves du tribunal britannique pour les demandeurs d’asile, où l’artiste a également été appelé à témoigner. Aural Contract est un archive sonore initié en 2010 qui recueille un ensemble hétérogène de documents sur le rôle de la voix dans les tribunaux : des entretiens avec des experts d’analyse vocale ou avec des refugiés soumis à analyse phonétique, des discours juridiques – y compris les processus à Saddam Hussein et à Slobodan Milošević – des extraits de films et textes, des enregistrements effectués par la police britannique, des instructions ou démonstrations des technologies d’analyse de la voix, etc.
 

9. En Israël, par exemple, les Druzes sont des citoyens de langue arabe, servent dans l’armée et participent à la vie politique, mais sont reconnus comme communauté ethnique distincte et souvent soumis aux mêmes discriminations appliquées aux autres citoyens non juifs.
 

10. Sur « l’intériorisation des frontières » – le sens d'appartenance des individus à l’état nation et leur identification dans la figure du « citoyen national » – voir Balibar 1994.
 

11. Sur la nature relationnelle du son voir, parmi d’autres, LaBelle 2012.
 

12. Cette déconstruction de la dichotomie objet/sujet trouve une correspondance dans les courants anti-oculocentriques de la pensée philosophique et sociale du XXème siècle – de la déconstruction du sujet dans la psychanalyse de Jacques Lacan, à l’analyse des dispositifs panoptiques de pouvoir de Michel Foucault – analysées par Martin Jay (1994). Comment il l’affirme : « Le perspectivisme cartésien, en fait, a été la cible d’une ample critique philosophique dénonçant le fait qu’il privilégie un sujet ahistorique, désintéressé, désincarné, dehors du monde qu’il prétend de connaître juste de loin » (1994, 10, ma traduction).
 

13. Pour une analyse de l’histoire de la notion de frontière et du développement de sa représentation linéaire, voir, parmi d’autres, Popescu 2012.
 

14. L’image de la membrane est utilisée par Steven Connor (1997, 211) pour illustrer sa conception auditive du sujet : « Le soi défini en termes d'audition plutôt que de vision est un soi imaginé non comme un point, mais comme une membrane ; non comme une image, mais comme un canal traversé par les voix, les bruits et les musiques ».

http://www.antiatlas-journal.net/pdf/02-Biserna-soundborderscapes-vers-une-ecoute-critique-de-la-frontiere.pdf

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