antiAtlas #5 - 2022

CONTRE-SURVEILLANCE DES EXPULSIONS EN ALLEMAGNE ET AU NIGÉRIA : STRATÉGIES ASYMÉTRIQUES, SOLIDARITÉ ET PRODUCTION DE SAVOIRS MILITANTS

Aino Korvensyrjä & Rex Osa

Cet article s'intéresse à la surveillance des expulsions en tant que pratique de solidarité avec les migrant·es, en retraçant divers points qui participent au régime de l'expulsion allemand et euro-africain. Guidés par notre expérience dans l'organisation de la lutte contre les expulsions et par nos recherches, nous interrogeons les enjeux de l'observation militante et de la documentation des expulsions en Allemagne après 2015, ainsi que des situations de post-expulsion au Nigéria.
 

Aino Korvensyrjä est une chercheuse en sciences sociales et une militante No border. Sa thèse de doctorat (Université d'Helsinki) analyse les pratiques de l'expulsion allemandes à travers le prisme des luttes menées par les migrant·es.

Rex Osa est un migrant engagé ayant un passé de réfugié. Actif depuis 15 ans dans la lutte pour les réfugié·es en Allemagne, il s'est concentré ces dernières années sur la mise en réseau des militant·es d'Afrique de l'Ouest et sur l'organisation des personnes expulsées au Nigéria.
 

Mots-clés : expulsion, régime frontalier, activisme, surveillance, solidarité, Allemagne, Afrique de l'Ouest
 

Remerciements : Nous souhaitons remercier tous les collectifs et individus qui luttent contre les expulsions, de qui nous avons appris et qui nous ont encouragés, en Allemagne, en Afrique de l'Ouest et ailleurs. En particulier, nous nous souvenons des luttes et du savoir de celles et ceux qui ont été expulsés ou forcés de partir. Nous remercions les relectrices Leonie Jegen, Minna Seikkula et Katharina Schoenes pour leurs contributions.

antiAtlas Journal #5 : Expulsions par voie aérienne
Dirigé par William Walters, Clara Lecadet et Cédric Parizot
Design Thierry Fournier
Secrétariat de rédaction Maxime Maréchal

antiAtlas Journal
Directeur de la publication Jean Cristofol
Directeur de rédaction Cédric Parizot
Directeur artistique Thierry Fournier
Comité de rédaction Jean Cristofol, Thierry Fournier, Anna Guilló, Cédric Parizot, Manoël Penicaud

Gambians protesting in Stuttgart against planned deportationsDecember 2017. Photo: Rex Osa / Gambian community.

Pour citer cet article : Aino Korvensyrjä & Rex Osa, "Contre-surveillance des expulsions en Allemagne et au Nigéria : stratégies asymétriques, solidarité et production de savoirs militants", publié le 5 septembre 2023, antiAtlas #5 | 2022, en ligne, URL: www.antiatlas-journal.net/05-Korvensyrja-Osa-contre-surveillance-des-expulsions-en-allemagne-et-au-nigeria, dernière consultation le Date

I. Situer la surveillance des déportations en solidarité avec les migrant·es

1 Les régimes de l'expulsion se sont multipliés depuis 2015 dans de nombreuses régions du monde, et les États européens ont eu de plus en plus recours à la coercition pour éloigner physiquement et légalement les personnes jugées indésirables. Les pratiques de l'expulsion s'étendent en de nombreux endroits, souvent difficiles d'accès. Dans ce texte, nous nous appuyons sur notre expérience militante et sur nos recherches pour réfléchir aux stratégies visant à contrer l'expulsion sous ses multiples formes et localisations ainsi qu'à la dynamique des pratiques et des stratégies des États, des activistes et des migrant.es.

En nous concentrant sur l'acte apparemment simple, mais en réalité risqué, de produire des informations publiques sur les expulsions, nous explorons en nous l'appropriant la notion de surveillance. Historiquement, la surveillance est étroitement liée à l'expansion des États coloniaux modernes et à leur arsenal de technologies d'observation pour gouverner les gens et les choses (Foucault, 1995 ; Browne, 2015). Aujourd'hui, elle est essentielle à diverses formes de contrôle des frontières (Casas-Cortes et coll., 2015 : 11-12). Dans le cadre du nexus actuel migration-droits humains, la surveillance est également utilisée pour observer et rendre compte de certaines pratiques étatiques afin de garantir leur caractère public et légitime. Des groupes d'activistes ont détourné les pratiques de surveillance pour révéler et contester l'usage de la violence d'État dans le régime des frontières et les expulsions (Casas-Cortes et coll., 2015 : 11-12). Ce n'est pas une tâche facile, car dans les États libéraux contemporains, les expulsions sont généralement entourées de secret (Oulios, 2016).

Nous déployons ici cette redéfinition militante de la surveillance pour réfléchir à ce que la production d'informations publiques et critiques sur les expulsions a entraîné après 2015, en Allemagne et au-delà. Nous défendons l'idée que pour que la surveillance puisse constituer une action contre l'exclusion et la violence d'État, elle doit non seulement rendre publiques les pratiques d'expulsion, mais aussi contribuer à rendre les personnes ciblées par ces pratiques plus fortes et reconnues.

La surveillance ne doit pas seulement rendre publiques les pratiques d'expulsion, mais aussi contribuer à rendre les personnes ciblées par ces pratiques plus fortes et reconnues.


Cette démarche s'inspire des approches élaborées et dirigées par des migrant.es auto-organisé.es et les groupes No Border. Alors que les frontières et les lois sur l'immigration ramènent les migrant·es au statut de sujets marginaux par rapport à la nation et à l'État, ces approches considèrent les personnes en situation de déplacement comme des membres à part entière de la société et comme des acteurs politiques. La solidarité, essentielle à la production de savoirs militants, implique à la fois une remise en question des idées d'appartenance et de droit centrées sur l'État-nation et des efforts pour permettre l'action et l'auto-organisation des communautés de migrant·es. L'objectif est de construire une autonomie par rapport aux frontières et aux États-Nations, en termes de conscience, d'analyse et d'action (Cissé, 1999 ; Anderson et coll., 2009 ; Osa, 2011a). Nous soulignons également la nécessité d'apprendre de l'expérience historique des luttes des migrant·es et des luttes de No Border. Dans ce qui suit, nous retraçons différents lieux et pratiques du régime des expulsions de ce point de vue.

suite...

2Notre collaboration en tant que groupe de travail Culture of Deportation a débuté en 2015. Nous avons d'abord documenté les cas de deux hommes qui ont été expulsés d'Allemagne vers le Nigéria, impliquant des formes très contestables de coopération euro-africaine en matière d'expulsion. Nous avons ensuite lancé un blog pour publier ces documents (Culture of Deportation, 2017b, 2017a) ainsi que d'autres publications, afin de rendre accessibles des connaissances et des analyses s'inscrivant dans les luttes des migrant·es contre les expulsions, de rendre compte à la fois des pratiques étatiques et des résistances. Dans les années qui ont suivi, alors que les campagnes d'expulsion se poursuivaient en Allemagne, nous avons continué à documenter et à soutenir les luttes des migrant·es en travaillant avec différents groupes et réseaux.

Le terme « culture de l'expulsion » a été forgé dans le cadre du militantisme mené par les migrant·es en Allemagne. Il met en évidence les expériences quotidiennes des migrant·es et les continuités historiques de l'expulsion en tant que pratique sociale qui implique la production continue d'une hiérarchisation de la valeur humaine couplée à la violence et au racisme (Jassey et coll., 2019). En adoptant cette expression en 2015, nous avons cherché à retourner de manière critique la notion de « culture de l'accueil » (Willkommenskultur), au moment où la mobilisation populaire pour « l'aide aux réfugié·es » a atteint son pic en Allemagne. Pendant et après « l'été des migrants » de 2015 (Hess et coll., 2017), les catégories, attitudes et institutions axées sur le contrôle et la ségrégation ont généralement été renforcées et légitimées, aussi bien dans le bénévolat que dans le discours public et celui des entreprises (Omwenyeke, 2016, 2017 ; Altenried et coll., 2018 ; Fleischmann, 2019).

Le terme "culture de l'expulsion" a été forgé dans le cadre de l'activisme mené par les migrant·es en Allemagne. Il met en évidence les expériences quotidiennes des migrant·es et les continuités historiques de la déportation.

Nous avons été amenés à collaborer alors que nous venions d'horizons différents : Rex Osa est entré dans le mouvement de contestation à partir de sa propre expérience dans le système d'asile allemand, confronté à l'expulsion peu après son arrivée du Nigéria en tant que réfugié. Pendant plus de dix ans, il a milité activement au sein du Forum des réfugié·es VOICE, un groupe dirigé par des migrant·es qui s'attaque au racisme structurel du régime allemand d'asile et d'expulsion, et au sein du réseau mixte Caravane pour les droits des réfugié·es et des migrant·es. Aino Korvensyrjä s'est engagée dans un groupe de solidarité avec les migrant·es, dans le cadre de No Border en Finlande, le Free Movement Network. En 2016, elle a commencé sa recherche doctorale sur les pratiques d'expulsion allemandes et les luttes des migrant·es ouest-africain·es contre l'expulsion.

La section suivante (II) présente le contexte général de notre collaboration en Allemagne depuis 2015. Nous passons ensuite à la description de diverses situations et aux pratiques contestées du régime d'expulsion, que nous avons surveillées aux côtés d'autres groupes et collectifs de migrant·es (sections III -VI). Nous incluons également de brèves réflexions historiques sur les pratiques qui avaient cours avant 2015. La discussion de ces points nous permettra de réfléchir à la surveillance en tant qu'outil de production de connaissances militantes, remettant en question la solidarité sociale exclusive limitée par les frontières (section VII).

suite...

II. La culture de l'expulsion en Allemagne après 2015

3 Le contexte allemand depuis 2015 a été marqué par trois tendances, toutes axées sur le système d'asile : la « culture de l'accueil » humanitaire, une « culture de l'accueil » d'entreprise et un agenda d'expulsion renforcé. En 2015, l'enthousiasme humanitaire et populaire pour « aider les réfugié·es » était le plus visible. Cette « culture de l'accueil » présentait l'Allemagne comme un havre de paix pour les personnes fuyant les guerres et les Allemand·es aux-mêmes ainsi que les personnes vivant en Allemagne comme des "aidants" pour les membres de nations plus brunes. La " culture de l'accueil " d'entreprise a également impliqué l'économie, car les employeurs et les économistes ont adressé des pétitions aux gouvernements des Länder et au gouvernement fédéral pour qu'ils puisent parmi les demandeurs d'asile afin de remédier aux pénuries de main-d'œuvre dans les secteurs à bas salaires (Altenried et coll., 2018). Ces appels ont trouvé un écho dans le gouvernement d'Angela Merkel. Aux côtés de la Commission européenne, le gouvernement a toutefois préparé parallèlement une offensive d'expulsion contre les demandeurs d'asile déboutés. À partir de 2016, les campagnes d'expulsion ont été mises sous les feux de la rampe au titre d'un « effort national » (taz, 2016).

La « culture de l'accueil » humanitaire, une « culture de l'accueil » d'entreprise et un agenda d'expulsion renforcé.

L'année 2015 a alors signalé à la fois une politique d'asile plus ouverte qu'auparavant, et une augmentation des expulsions et des pratiques connexes. Un grand nombre de personnes, notamment des migrant·es syrien·nes, ont bénéficié d'une protection en 2015-2016. Auparavant, l'Allemagne (de l'Ouest) avait régulé la plupart des migrations liées à l'asile par le rejet et la suspension temporaire de l'expulsion, le fameux Duldung (Poutrus, 2019). Contrairement aux interdictions générales de travail des décennies précédentes, le gouvernement facilitait désormais l'entrée sur le marché du travail des demandeurs d'asile pendant la procédure et même, avec  certaines restrictions, également après le rejet des leurs demandes (Altenried et coll., 2018).

La « perspective de rester » (Bleibeperspektive) - le taux de protection statistique des ressortissant·es d'une nationalité donnée - est devenue un outil administratif et de légitimation essentiel pour la campagne d'expulsion. En 2015, les pays ayant une bonne « perspective de rester » étaient la Syrie, l'Érythrée, l'Irak, l'Iran et la Somalie. En 2019, seuls les deux premiers demeuraient sur la liste. Les autres, citoyen·nes de pays sans bonne « perspective de rester », ont souvent vu leurs droits sociaux et leur accès au marché du travail restreints pendant toute la procédure d'asile, souvent longue, et après celle-ci. Au bas de cette hiérarchie des nationalités se trouvaient les « pays d'origine sûrs », dont deux pays d'Afrique de l'Ouest et six des Balkans occidentaux. Les migrant·es originaires de ces pays étaient en pratique définis comme pouvant être expulsé·es de manière catégorique.

suite...

4 En 2015, le système d'asile a continué d'être une infrastructure clé pour l'expulsion et la gestion des migrations « non désirées » (cf. Pieper, 2008 ; Ellermann, 2009). Entre 2015 et 2019, l'Allemagne a expulsé près de 114 000 personnes. En 2015-2016, environ 50% des expulsions ont été effectuées sur des vols affrétés vers les pays d'origine, principalement vers les Balkans occidentaux - définis comme « pays d'origine sûrs ». À partir de 2017, les expulsions "Dublin" vers des États de l'Union européenne se sont élevées à 30-40 % du total. Elles ont généralement été effectuées sur des vols réguliers de passagers. Une baisse significative des expulsions n'a eu lieu qu'en 2020, en raison des restrictions liées à la pandémie mondiale de COVID-19. En 2021, la campagne d'expulsion a été réorganisée. Découragé·es par les politiques sévères mises en œuvre entre 2015 et 2019, 148 000 migrant·es se sont prévalu·es du programmes fédéral dit REAG/GARP, appelé de manière trompeuse « retour volontaire » pour partir d'eux-mêmes sans escorte. De nombreuses autres personnes sont parties dans le cadre d'autres programmes de retour gérés par les États fédérés allemands (Länder), ou même sans aucune assistance.

En 2015, le système d'asile a continué d'être une infrastructure clé pour l'expulsion et la gestion des migrations « non désirées ».

Les « installations de premier accueil » (Erstaufnahmeeinrichtungen) ont été agrandies pour servir à la logistique du tri des nouveaux·elles arrivant·es et de l'expulsion des « indésirables ». Ces camps d'asile semi-ouverts, servant à l'hébergement et à l'exécution des expulsions, ont recours à l'isolement social, à une surveillance intense et au dénuement économique pour encourager les migrant·es à quitter l'Allemagne « volontairement ».

Les expulsions se sont de plus en plus normalisées dans le débat public allemand, souvent par référence aux récits sur la criminalité des migrant·es. De plus, la possibilité d'options d'expulsion plus humanitaires - « retour volontaire » et aide à la « réintégration » après l'expulsion ou le départ - a été utilisée par les acteurs étatiques pour justifier les expulsions réglementaires.

Dans ce qui suit, nous explorons les éléments clés de la stratégie allemande d'expulsion du point de vue du contrôle : l'identification, les expulsions par charter et les procédures "Dublin" ainsi que les installations d'asile semi-ouvertes. En outre, nous analysons le contrôle externalisé des frontières, en nous concentrant sur la coopération euro-africaine en matière d'expulsion et sur la « réintégration » des migrant·es expulsé·es en Afrique de l'Ouest. Ces stratégies de plus en plus sécurisées, dissimulées, externalisées, voire militarisées, répondent aux pratiques antérieures des activistes et des migrant·es. Elles visent également à discipliner les potentiel·les incontrôlés de la « culture de l'accueil » et à légitimer publiquement les expulsions. Les groupes d'activistes, les volontaires, les ONG, les migrant·es et les réseaux transnationaux ont modifié leurs tactiques et leurs stratégies, tout en continuant à s'inspirer des anciennes, afin de surveiller et de contester les pratiques d'expulsion sur ces sites.

suite...

III. Contrôle de l'identification et des ambassades

5 Les premiers cas que nous avons documentés - deux hommes expulsés vers le Nigéria en 2013 - étaient liés à l'organisation des migrant·es contre les pratiques d'identification et la coopération euro-africaine en matière d'expulsion. Depuis deux décennies (Boekbinder, (n. d.)), les communautés de la diaspora africaine en Allemagne ont mis l'accent sur les ambassades en tant que nœuds cruciaux de la « chaîne d'expulsion ».Cette section présente les pratiques d'observation et de contestation du rôle des ambassades et des gouvernements africains dans la facilitation des déportations depuis l'Allemagne.

Les communautés de la diaspora africaine en Allemagne ont mis l'accent sur les ambassades en tant que nœuds cruciaux de la « chaîne d'expulsion ».

En Allemagne, l'exécution des déportations est souvent entravée par l'absence de documents d'identité et de voyage. Pour y remédier, les services d'immigration (Ausländerbehörde) organisent ce que l'on appelle des audiences d'ambassade pour identifier les migrant·es. Celles-ci se déroulent le plus souvent dans les locaux des services d'immigration allemands. Outre les services d'immigration et la police fédérale, des fonctionnaires des ambassades nationales ou des délégations extérieures sont présents et chargés d'identifier les migrant·es. Par la suite, si l'identification est positive - les critères et les méthodes de ces contrôles n'ont pas été rendus publics par les autorités allemandes - un certificat de voyage peut être émis d'urgence par l'ambassade respective en vue de l'expulsion. Les migrant·es contraints de se présenter, sont pour la plupart des ressortissant·es de pays d'Afrique et d'Asie - désignés par les autorités allemandes par le terme à connotation raciale d'« États à problèmes » avec lesquels l'Allemagne n'a pas d'accords de réadmission pour faciliter les expulsions sans documents d'identité. En revanche, de tels accords avec les pays des Balkans occidentaux ont permis des déportations à grande échelle après 2015.

Les migrant·es contraint·es de se présenter à ces audiences sont généralement sous le coup d'une suspension temporaire de l'expulsion (Duldung). La Duldung est un instrument administratif destiné à traiter les migrant·es dont l'ordre d'expulsion ne peut être exécuté, que ce soit en raison de l'absence de titres de voyage ou pour tout autre motif. Les administrateurs et les politicien·nes de droite qualifient les sans-papiers de « réfractaires à l'identification » et donc de criminels. Pour de nombreux ressortissant·es africain·es et asiatiques, dont la mobilité a été catégoriquement restreinte par l'Allemagne et d'autres pays européens, les demandes d'asile déposées sous une identité de substitution et les voyages sans passeport sont pourtant cruciaux pour accéder à la mobilité. Le « refus d'identité » offre une protection précaire contre une expulsion par ailleurs certaine. 

suite...

1 1 Contestation de l'identification, solidarité post-expulsion

6 Avant 2015, Osa était l'un des organisateurs des fortes manifestations contre la collaboration de l'ambassade du Nigéria avec les autorités allemandes. Celles-ci ont culminé en 2012, une année de protestation généralisée menée par les migrant·es contre le régime allemand d'asile et d'expulsion (Odugbesan et Schwiertz, 2018).

En mai 2012, des journées d'action devant l'ambassade du Nigéria à Berlin ont dénoncé son rôle dans la coopération avec les autorités allemandes, et sa volonté de fonctionner comme un « centre de compensation pour l'expulsion des réfugié·es d'Afrique noire » (The VOICE Refugee Forum, 2014).

Lors d'une manifestation en juin 2012, Osa a remis un avertissement à l'ambassadeur au nom des manifestant·es, exigeant que l'ambassade mette fin aux pratiques d'identification. En octobre 2012, après que l'ambassade n'eut pas répondu à ces préoccupations, la communauté nigériane ainsi que d'autres activistes ont occupé l'ambassade.

Les manifestant·es ont dénoncé l'expulsion, qualifiée d'« injustice coloniale » qui renforce et recrée une ligne de couleur dans l'ordre post-colonial des États-nations.

Les manifestant·es ont cherché à déconstruire la rhétorique de l'« application de la loi » des autorités d'immigration. Ils et elles ont dénoncé les audiences de l'ambassade comme des procédures violentes et humiliantes visant les personnes noires et brunes, notamment les fouilles à nu, le transport avec des menottes, les interrogatoires grossiers et autres tentatives d'intimidation. Osa avait lui-même fait l'expérience de ces pratiques lors d'une audience en 2007. En outre, les participant·es aux audiences ont rapporté que la physionomie, l'accent et les marqueurs culturels, comme les cicatrices traditionnelles, étaient utilisés pour évaluer l'identité nationale. Cela rappelait la catégorisation raciale des populations colonisées, les fixant sur des territoires et sur une hiérarchie eurocentrique des cultures et des peuples (Osa, 2011b). À un niveau plus fondamental, les manifestant·es ont contesté l'expulsion, qualifiée d'« injustice coloniale » qui renforce et recrée la ligne de couleur mondiale dans l'ordre post-colonial des États-nations (Osa, 2011b ; Sharma, 2020).

suite...

7 Au cours de ces manifestations, Osa a découvert les cas de Yusupha Jarboh et de Joseph Koroma. Jarboh, un citoyen gambien, a été expulsé en juin 2013 dans le cadre d'un vol charter affrété par Frontex de l'Allemagne vers le Nigéria. À la demande des autorités allemandes d'immigration, les fonctionnaires de l'ambassade du Nigéria à Berlin l'avaient identifié comme le citoyen nigérian Joseph Doe lors d'une audience à l'ambassade. Des années auparavant, il avait demandé l'asile en tant que citoyen libérien Joseph Doe, pour éviter d'être expulsé. Les numéros de téléphone nigérians trouvés sur son téléphone portable par la police fédérale ont servi de « preuve » de son identité nigériane présumée (Culture of Deportation, 2017b). de nationalité sierra-léonaise, a été victime de la même pratique d'identification et a été expulsé sur un autre vol charter vers Lagos au cours de la même année. Son identification s'appuyait sur un test linguistique pseudo-scientifique et une évaluation de sa physionomie (Culture of Deportation, 2017a).

suite...

Photo: Certificat de voyage délivré à « Joseph Doe »  alias Yusupha Jarboh.

Vidéo : Interviews avec Yusupha Jarboh et Joseph Koroma, Kin Chui et Rex Osa (rév. Claudio Feliziani), Culture of Deportation, Banjul Gambie et Freetown Sierra Leone. 2014 / 2016 - https://vimeo.com/179603466

Photos: Rencontre avec des anciens migrants en Gambie, Kin Chui, 2014.

8 En 2014, Osa s'est rendu à Banjul et à Freetown pour rencontrer les deux hommes et d'autres personnes expulsées d'Europe. Avec le cinéaste militant Kin Chui, il a réalisé des enregistrements vidéo de ces conversations. Depuis 2015, nous avons complété cette documentation ensemble, avec Claudio Feliziani, un autre activiste et cinéaste, qui avait déjà participé aux manifestations de 2012 contre l'ambassade du Nigéria.

Dans la plupart des cas, l'action militante s'arrête au moment de l'expulsion.

En nous appuyant sur les analyses développées lors des protestations contre les audiences des ambassades, nous avons tout d'abord cherché à sensibiliser le public à cette pratique. Nous avons documenté les deux cas non pas comme des erreurs d'identification exceptionnelles ou des violations individuelles des droits de l'homme mais pour mettre en lumière les luttes contre l'accès inégal et racialisé à la mobilité, appliqué dans le cadre du régime frontalier d'expulsion, mis en œuvre lors des audiences tenues à l'ambassade et personnifié dans l'expérience migratoire des deux hommes. Les volontaires allemand·es et les organisations humanitaires cherchent souvent à protéger les migrant·es en garantissant leur incapacité à produire les documents d'identité requis, et donc leur innocence. Nous voulions plutôt nous concentrer sur la manière dont la vérité sur l'identité a été obtenue et contestée. Deuxièmement, nous avons souhaité rester en contact avec ces deux hommes après leur expulsion et continuer à travailler solidairement avec eux. Dans la plupart des cas, l'action militante s'arrête au moment de l'expulsion. Troisièmement, nous voulions exemplifier et élargir les connaissances et les analyses des migrant·es en documentant les luttes des personnes en attente d'expulsion dans le système d'asile allemand. Nous nous sommes particulièrement concentrés sur les conditions de résidence tolérée (Duldung) en vertu de laquelle Jarboh et Koroma ont également passé plusieurs années après le rejet de leur demande d'asile, avant leur expulsion. Pour eux, comme pour beaucoup d'autres, la Duldung signifiait une interdiction de travailler, une restriction des déplacements dans la municipalité (Residenzpflicht) et une intense activité policière de criminalisation.

suite...

Photos: Occupation de l'ambassade du Nigéria à Berlin en Octobre 2012, Rex Osa

Vidéo: Manifestation devant l'ambassade du Nigéria à Berlin en juin 2012.
© David Rych 2012
https://www.youtube.com/watch?v=X7wZbz_1kjY

Vidéo: : Audience d'identification pour une expulsion au bureau de l'autorité responsable des étrangers de Dortmund en mars 2016 - © Claudio Feliziani / Culture of Deportation - https://vimeo.com/181366851

2 Observation et contestation de la coopération euro-africaine en matière d'expulsion après 2015

9 Après 2015, davantage d'Africain·es de l'Ouest ont demandé l'asile en Allemagne. Elles et ils ont rapidement constitué un groupe important parmi les migrant·es menacé·es d'expulsion. L'Afrique de l'Ouest a été définie comme une région prioritaire pour la coopération euro-africaine en matière d'expulsion et d'externalisation des frontières (Korvensyrjä, 2017). Les audiences des ambassades ont continué à jouer un rôle important dans la stratégie allemande d'expulsion vers l'Afrique de l'Ouest. Dans le même temps, les communautés de migrant·es ont souvent réussi à presque stopper ou à réduire considérablement les mesures d'exécution des expulsions.

Les communautés de migrant·es ont souvent réussi à presque stopper ou à réduire considérablement les mesures d'exécution des expulsions.

Les diasporas sénégalaise et malienne ont suivi avec attention les actions de leurs ambassades à Berlin après 2015, alors que le nombre de Sénégalais·es et de Malien·nes en cours d'expulsion augmentait. Elles ont envoyé à plusieurs reprises des délégations pour négocier avec les ambassades, et ont organisé des actions de protestation, après avoir pris connaissance d'expulsions individuelles effectuées avec des certificats de voyage émis par les ambassades. Leurs actions ont également répondu aux rumeurs et aux informations des médias sur les expulsions à grande échelle et les accords de réadmission prévus. Comme dans le cas du Nigeria, elles ont demandé aux ambassades de cesser de signer les certificats de voyage et à leurs gouvernements d'arrêter les négociations sur les accords de réadmission et l'organisation d'audiences d'identification. En outre, elles ont souvent alerté leurs communautés des audiences à venir.

suite...

Certificat de voyage pour un ressortissant sénégalais expulsé d'Allemagne en 2018.

10 Dans de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest, l'expulsion est restée une question sensible après 2015. Cela s'explique par le rôle de la migration dans la vie sociale et l'importance des envois de fonds en tant que part du PIB. Les activistes savaient comment exploiter ce fait. Une organisation transnationale particulièrement efficace a réuni des communautés de migrant·es et des militant·es de pays africains et d'autres pays de la diaspora européenne.

Par exemple, des militant·es, des journalistes et des blogueur·ses sénégalais·es de la diaspora et du Sénégal ont publié des articles sur les inquiétudes et les protestations de la communauté des migrant·es en voie d'expulsion d'Allemagne. Nous avons contribué avec un court rapport écrit par Korvensyrjä sur l'une des rares opération d'expulsion par charter de l'Allemagne vers le Sénégal en juillet 2019 dont la date ait été divulguée à l'avance par des membres de la diaspora (Culture of Deportation, 2019).

Des militant·es, des journalistes et des blogueur·ses sénégalais·ses de la diaspora et du Sénégal ont publié des articles sur les inquiétudes et les protestations de la communauté des migrant·es en Allemagne.

Le rapport s'appuyait sur les informations et les appels de suivi des militant·es de la diaspora et des volontaires allemands auprès des personnes expulsées. Le rapport ne se contente pas de dénoncer la mesure comme « brutale », « irrespectueuse et perturbatrice », il fournit des informations sur les procédures administratives par lesquelles les personnes expulsées se sont retrouvées sur le vol – alors qu’elles avaient des partenaires, des enfants et des emplois en Allemagne, ou étaient gravement malades. Remettant en question le discours de l'État sur l'expulsion en tant qu’ « application de la loi », le rapport explique que les Sénégalais·es, comme de nombreux autres citoyen·nes non européen·nes, n'avaient guère d'autre choix que de demander l'asile pour rester en Allemagne, mais qu'ils et elles étaient destiné·es à être rejeté·es. S'appuyant sur les expériences des personnes expulsées, le rapport montre en outre comment leurs tentatives ultérieures d'obtenir un permis de séjour en tant que partenaires ou parents de personnes ayant une résidence en Allemagne, ou en tant que stagiaires et travailleur·ses, ont été combattues par les autorités d'immigration. Les autorités d'immigration n'ont pas hésité à tromper les migrant·es ou à violer la protection constitutionnelle de la famille pour améliorer les chiffres de l'expulsion (Culture of Deportation, 2019). Pour ce vol, et pour bien d'autres, des personnes ignorant l'ordre procédural correct de la demande de permis de séjour ont été arrêtées - ayant souvent commis l'erreur de présenter leur passeport trop tôt dans le processus. Le rapport a également souligné le rôle de l'ambassade du Sénégal à Berlin, dans la délivrance de certificats de voyage (sauf-conduits ou laissez-passer) pour les personnes sans passeport, et l'abandon des personnes expulsées à leur arrivée, « déversées au nouvel aéroport de Dakar comme s'il s'agissait de marchandises » (Culture of Deportation, 2019). Remettant ainsi en question les stigmates de la criminalité et de l'illégalité, largement associés tant en Allemagne qu'en Afrique de l'Ouest aux personnes expulsées, le rapport a également fourni des informations aux militant·es, aux migrant·es et aux personnes intéressées sur la manière de prévenir de futures expulsions. Il a été largement diffusé dans le cadre de la campagne contre l'expulsion, tant au Sénégal qu'en Allemagne.

suite...

11 Malgré les plans du gouvernement allemand d'expulser des milliers de Sénégalais, le nombre d'expulsions d'Allemagne vers le Sénégal est resté à un faible niveau à deux chiffres après 2015. De même, les protestations de la communauté malienne en Allemagne ont permis d'arrêter les expulsions à grande échelle. Des groupes au Mali, notamment l'Association Malienne des Expulsés (AME) et Afrique-Europe-Interact, ont organisé des manifestations à Bamako. À Berlin, plusieurs protestations ont été organisées devant l'ambassade du Mali. Des Maliens ont également protesté en France (Lecadet, 2017). L'expulsion de deux Maliens, Amadou Ba et Mamadou Drame, d'Allemagne en janvier 2017 sur un vol affrété uniquement pour eux est restée la dernière expulsion appuyée par des certificats de voyage depuis longtemps. Pendant l'expulsion, tous deux ont été menottés aux mains et aux pieds (Afrique-Europe-Interact, 2017). Cette mesure a provoqué une nouvelle manifestation à l'ambassade en janvier 2017. Le gouvernement malien a réagi en arrêtant les identifications et la délivrance de certificats de voyage aux Malien·nes en Allemagne contre leur gré.

suite...

Vidéo: Protestation devant l'ambassade du Mali à Berlin, en janvier 2017 © Claudio Feliziani / Culture of Deportation 2017 - https://vimeo.com/205744424​

Manifestation de la communauté gambienne. Photos: Rex Osa.

12 La diaspora gambienne en Allemagne s'est de même mobilisée contre les expulsions depuis fin 2017 et l'accord de réadmission conclu entre l'UE et la Gambie. Osa a eu un échange soutenu avec le groupe, partageant son expérience dans les luttes contre la coopération en matière d'expulsion. La communauté gambienne a remporté un succès important au début de l'année 2019 : après une manifestation organisée près de Banjul, conjointement par le groupe de la diaspora en Allemagne et des militant·es et membres de familles de migrant·es en Gambie, le gouvernement gambien a déclaré un moratoire sur les expulsions mensuelles par charter depuis l'Allemagne. Ce moratoire a duré au moins jusqu'aux élections présidentielles gambiennes de décembre 2021, à l'exception d'un vol charter en novembre 2020. Cette opération s'est appuyée sur l'extrême discrétion des deux gouvernements et sur le prétexte que les personnes expulsées étaient des « délinquants criminels ». Nous avons à nouveau contesté la manière dont la criminalité a été utilisée comme légitimation pour reprendre les déportations par charter, non seulement par le gouvernement allemand mais aussi par des volontaires allemand·es et les médias gambiens (Korvensyrjä, 2020). Après ce vol, et jusqu'aux élections de décembre 2021, le gouvernement gambien n'a plus accordé d'autorisation d'atterrissage de charters sur son territoire.

En 2017, l'Allemagne a également accentué les expulsions dans le cadre des réglements de Dublin, jugées plus faciles à réaliser, car elles ne nécessitent pas de documents d'identité.

En résumé, dans de nombreux cas, ces actions migratoires et transnationales sont intervenues de manière significative dans la faisabilité de l'exécution des expulsions. Bien qu'un peu plus d'expulsions aient été effectuées vers le Nigéria, avec un pic d'environ 400 en 2019, cela reste inférieur à l'objectif allemand d'expulsion de 30 000 Nigérian·nes (Deutsche Welle, 2018). Ce succès précaire s'est appuyé sur le refus des migrant·es de présenter des documents et sur l'importance des transferts de fonds de la diaspora pour les économies et les politiques électorales ouest-africaines, stratégiquement évoqués par les manifestant·es.

Les autorités allemandes ont réagi par des mesures sévères. Diverses politiques ont été renforcées pour rendre la vie intolérable aux migrant·es demandeur·ses d'asile dans les camps et encourager ainsi les expulsions « volontaires ». En 2017, l'Allemagne a également accentué les expulsions dans le cadre des règlements de Dublin, jugées plus réalisables car elles ne nécessitent pas de documents d'identité. Les Africain·es de l'Ouest étaient un groupe très ciblé, principalement déporté vers l'Italie. Avec l'UE, l'Allemagne a fait pression sur les pays africains pour qu'ils concluent des accords de réadmission sous la menace de sanctions, et les a attirés avec divers « paquets » financiers et offres de « coopération ». L'UE a également financé des bases de données biométriques au Sénégal et en Sierra Leone (Privacy International, 2020), qui pourraient à l'avenir contourner les stratégies de protection militante et communautaire. En outre, les pays européens ont cherché à contenir les migrations qui arrivent en Europe. À partir de la fin 2017, les Africain·es de l'Ouest ont été de plus en plus expulsés à partir des pays de « transit » du continent africain, comme la Libye et le Niger, via des « évacuations » prétendument humanitaires et des « retours volontaires » (Alpes, 2020). Le Maroc et l'Algérie ont également procédé à des milliers d'expulsions d'Africain·es de l'Ouest, surveillées par Alarme Phone Sahara.

suite...

IV. Vols affrétés : Garantir l'application de la loi ?

13 La plupart des charters ont été organisés vers des pays avec lesquels l'Allemagne avait conclu des accords de réadmission - notamment les Balkans occidentaux - en contournant l'exigence de documents de voyage. Outre les considérations logistiques, la préférence allemande pour les vols affrétés après 2015 a suivi une stratégie visant à sécuriser et à dissimuler l'exécution des expulsions. Cette stratégie répondait aux pratiques de solidarité et aux actions des migrant·es - surveiller, intervenir, scandaliser, éluder et résister. Cette stratégie a également permis de se prémunir contre la « culture de l’accueil», qui, outre son humanitarisme et son adhésion à des catégories sanctionnées par l'État (Omwenyeke, 2016, 2017), contient des potentiels de politisation et de contestation des politiques publiques (Hinger, 2016).

Restreindre les possibilités de résistance des migrant·es, les actions de solidarité à l'aéroport, dans l'avion et d'autres facteurs susceptibles de suspendre l'application de la loi.

Depuis 2015, l'isolement des migrant·es demandant l'asile dans des installations de premier accueil, à partir desquelles les expulsions peuvent être menées sans intervention extérieure, a protégé leur exécution des actions de solidarité. En 2015, un amendement a également interdit l'annonce des dates d'expulsion aux migrant·es avant qu'elles aient lieu. Le ministère fédéral de l'Intérieur a ainsi contré les stratégies des militant·es et des migrant·es visant à empêcher l'exécution des expulsions par des manifestations de blocage dans les camps, par l'absence des migrant·es, par des actions juridiques de dernière minute et par des campagnes de solidarité.

Les expulsions par charter amplifient ces effets visant à restreindre les possibilités de résistance des migrant·es, les actions de solidarité à l'aéroport, dans l'avion et d'autres facteurs susceptibles de suspendre l'application de la loi (Ellermann, 2009 ; Walters, 2018). Elles sont mises à exécution en dehors des horaires de vol normaux, souvent à partir d'aéroports plus petits et avec des compagnies aériennes spécialisées dans les services affrétés. Un grand nombre d'agents de police et d'autres personnels de sécurité sécurisent ces vols, dépassant de loin le nombre de personnes expulsées. De rares cas d'action directe ont permis de lutter contre cette pratique. Le groupe Stansted 15 y est parvenu en 2017, au prix d'une lutte juridique prolongée contre des accusations criminelles en lien avec le terrorisme (Institute of Race Relations, 2019 : 22).

Les autorités allemandes ont également utilisé les vols charter comme stratégie pour accroître l'acceptabilité publique des déportations depuis 2015. Les expulsions par charter cachent les pratiques violentes de l'État à la vue de tous. L'investissement dans les vols charter a commencé après le débat et la campagne suscités par la mort du Soudanais Aamir Ageeb, asphyxié par la police allemande sur un vol de passagers à destination du Caire en 2001 (Ellermann, 2009).

Après 2015, l'Allemagne a également commencé à renforcer sa capacité de détention, et une nouvelle législation a facilité la rétention à court terme dans l'attente d'une expulsion, souvent ordonnée avant les expulsions par vols charter.

suite...

Vidéo : Campagne Lufthansa Deportation Class, Kino-Spot, 2001

14 Les militant·es ont développé des pratiques de surveillance inédites pour agir contre les expulsions par charter mises en œuvre depuis 2015. Annoncer publiquement les dates des expulsions par charter est devenue une stratégie militante répandue en Allemagne. En s'appuyant sur des sources diverses, des groupes inventifs tels que Aktion Bleiberecht à Freiburg ont pu produire des calendriers de vols presque complets, même plusieurs mois à l'avance, pour avertir les communautés de migrant·es et de militant·es. Les conseils de réfugié·es régionaux et l’organisation qui les chapeaute, Pro Asyl, se sont également impliqués, en surveillant les déportations vers l'Afghanistan. Le Deportation Alarm développé par No Border Assembly depuis 2020 est le calendrier le plus complet à ce jour. Leur méthode de surveillance des vols à l'aide d'un logiciel en ligne gratuit semble également produire des informations sur les vols charter plus précises que les sources gouvernementales allemandes.

suite...

Photos: Aktion Bleiberecht.

Photo : Capture d'écran, site Web Deportation Alarm.

15 Les militant·es de Freiburg ont également surveillé en personne les vols à l'aéroport de Karlsruhe Baden-Baden, utilisé comme plaque tournante nationale pour les déportations dans les Balkans. Avec des membres de la communauté rom, ils et elles se sont rendu·es à l'aéroport pour rencontrer les personnes qui y étaient escortées par la police. Elles et ils ont surtout observé depuis la distance requise par la police, et ont rédigé des comptes rendus. Les militant·es ont organisé des actions de protestation à l'aéroport, notamment des manifestations et des conférences de presse, qui coïncidaient souvent avec les horaires des jets affrétés.

suite...

16 En août 2019, Osa s'est rendu à Lagos pour surveiller une expulsion par charter en provenance de Francfort. Le 19 août, avec des journalistes et des membres de groupes locaux de défense des droits des migrant·es, il a attendu à la porte de la section cargo de l'aéroport principal Murtala Muhammed de Lagos, pour rencontrer les personnes arrivant d'Allemagne. C'est là que les personnes expulsées sont relâchées, après avoir été gérées par les services d’immigration nigérians et littéralement traitées comme du fret.

Plus tard, Osa a répété l'observation et l'accueil à la porte d'entrée chaque fois qu'un vol charter arrivait d'Allemagne. Une équipe locale assiste désormais aux atterrissages, lorsqu'il ne peut pas être présent lui-même. Il informe généralement les journalistes basés à Lagos à l'avance des débarquements. Ayant suivi les cas de personnes en cours d'expulsion, ses comptes rendus s'appuient généralement sur des informations obtenues en Allemagne avant l'exécution de l'ordre ainsi que sur des conversations avec les personnes expulsées après leur arrivée.

suite...

17 La surveillance au Nigéria vise à susciter une prise de conscience critique de l'expulsion des deux côtés, en Allemagne et au Nigéria. Au Nigéria, les expulsions n'ont jusqu'à présent pas été publiquement politisées, contrairement à de nombreux autres pays d'Afrique de l'Ouest. En plus du soutien d'urgence apporté aux personnes expulsées, l'équipe d'Osa maintient le contact avec ces dernières et documente leurs histoires. Osa a souvent connaissance de leur cas avant l'expulsion, les ayant accompagnés en Allemagne dans des procédures juridiques. S'appuyant sur ces sources, ses comptes rendus remettent en question le déni de violence et de brutalité associé à l'expulsion et montrent la violence de la loi (européenne) sur l'immigration dans la pratique. Grâce aux informations issues de cette activité de surveillance, Osa a pu aussi contribuer à des enquêtes parlementaires sur les expulsions par charters vers le Nigéria ouvertes en Allemagne . De telles enquêtes, souvent initiées par le parti de Gauche, prolongent les inquiétudes exprimées par divers groupes et elles sont cruciales pour obtenir des informations sur les expulsions. Le ministère fédéral de l'Intérieur est pour sa part réticent à partager des données détaillées.

Ses comptes rendus remettent en question le déni de violence et de brutalité associé à l'expulsion.

Début 2019, le ministère fédéral de l'Intérieur a annoncé son intention de faire de la communication à l'avance des dates d'expulsion une infraction pénale. Cela faisait partie de l'avant-projet du Orderly Return Act, un ensemble élargi durcissant la politique d'expulsion. Il s'harmonisait avec la récente tendance des gouvernements européens à criminaliser la solidarité (Institute of Race Relations, 2019). Le projet comprenait également un plan dont la formulation ambiguë visait à criminaliser tout conseil aux migrant·es sur les façons d'éviter l'exécution des expulsions. Après des critiques publiques venant de différents côtés, ces plans ne sont pas entrés dans la version finale de la loi adoptée en 2019. Seuls les fonctionnaires se sont vus interdire la divulgation les dates des expulsions. L'offensive des expulsions s'est cependant poursuivie, et leur légitimation par des récits criminalisant les migrant·es et donnant des justifications humanitaires s'est encore renforcée.

suite...

Photos: Rex Osa / DERS.

V. Les camps et le règlement de Dublin

Vidéo: « Nous sommes des réfugié·es, pas des prisonnier·es ! » Manifestation des résident·es du centre d'hébergement-d'expulsion de Bamberg, en Bavière, en janvier 2018. © Aino Korvensyrjä / Culture of Deportation
https://vimeo.com/252197618​

Photos: Aino Korvensyrjä / Culture of Deportation.

18 Dès 2017, nous nous sommes impliqué·es dans la documentation et le soutien des luttes des occupant·es des grandes structures de premier accueil. Dans le sud de l'Allemagne – Bavière et Bade-Wurtemberg –, où se concentraient notre activisme et nos recherches, les conditions réglementaires des camps étaient particulièrement dures. Pourtant, dans toute l'Allemagne, le gouvernement fédéral visait à expulser les demandeurs d'asile sans « perspective de rester » directement à partir des grandes installations de premier accueil. Nous évoquons d'abord brièvement les luttes précédentes.

suite...

Voir la série de photos en dessous: Rex Osa, 2010.

1 L'émergence des camps et l'organisation anti-camp

Bienvenue au camp d'isolement qui se trouve derrière les arbres de la colline.

Surveillance de l'entrée

Contrôle administratif

Poste de sécurité et bureau social/Point de collecte postal {point de violation de la vie privée}

Lettre affichée derrière la vitre

Énième exemple de privation d'intimité dans un autre camp du Bade-Wurtemberg

Stock disponible de produits laitiers et de yaourts

Lait au choix avec date de péremption au 12.11.10

Saucisse sans date de fabrication ni de péremption

Beurre périmé 2 jours plus tard

Offre de nourriture (disponible plus que préférable) pour deux victimes réfugiées
{Quel genre de repas peut-on faire avec ça ?}

Yogourt périmé depuis le 14.05.2009
{"Néanmoins, nous devons être reconnaissants à l'Allemagne d'offrir ce que notre pays ne peut se permettre.}

La plupart des portes ont été forcées et réparées.

Horaire des visites médicales (non régulières)

Lits mis à la disposition des réfugié·es

Machines à laver desservant plus de 100 personnes {l'une d'entre elles est hors service}

Espace cuisine pour plus de 30 personnes

19 Les militant·es font référence aux installations d'asile de l'Allemagne (de l'Ouest) en utilisant le terme Lager (camp) ou Isolationslager (camp d'isolement). Il s'agit d'une infrastructure visant à garantir "l'expulsabilité" au sens large, qui remonte à la fin des années 1970 et au début des années 1980. La Bavière et le Bade-Wurtemberg ont joué un rôle important en influençant le développement de ce modèle combinant hébergement et expulsion (Pieper, 2008). Au cours de la « crise de l'asile » des années 1990, les organisations dirigées par des migrant·es ont remis en question ce modèle. Le Forum des réfugié·es VOICE a été lancé en 1994 par des migrant·es ouest-africain·es vivant dans des camps dans l'ancienne Allemagne de l'Est. Le réseau "Caravan for the Rights of Refugees and Migrants" est né d'une tournée nationale des camps plus tard dans la décennie. "Women in Exile" a été fondé par des femmes réfugiées dans le Brandebourg en 2002. Grâce à des méthodes inventives, ces organisatrices migrantes et citoyennes ont apporté un suivi critique, une responsabilisation et une protestation dans les camps, souvent des bâtiments abandonnés, réaffectés en tant que logements pour demandeurs d'asile dans des zones rurales éloignées. Au cours de la campagne "Break Isolation" de 2010, à laquelle Osa a participé, les activistes de ces réseaux se sont rendus dans les lieux reculés des camps, pour rencontrer les occupant·es, discuter de leurs problèmes et inspecter ensemble les installations.

suite...

20 Les tournées transrégionales en bus visaient à renforcer la solidarité entre les personnes vivant dans les camps. Ces personnes ont généralement vécu une peur intense de l'expulsion, de la perte d'autonomie et de la dépendance engendrée par les nombreuses restrictions légales et administratives, qui font partie de la gouvernance humanitaire répressive de leur existence. Les visites, la documentation et les comptes rendus produits au cours de leur parcours avaient également pour but d'informer les communautés plus larges de militant·es et les populations locales, permettant ainsi la solidarité des personnes vivant en dehors des camps.

Peur intense de l'expulsion, de la perte d'autonomie et de la dépendance engendrée par les nombreuses restrictions légales et administratives.

L'organisation contre les camps a culminé en 2012-2014. Début 2012, plusieurs grèves de la faim ont eu lieu dans les établissements bavarois. Leurs occupant·es ont abandonné les camps et occupé les espaces des centres-villes avec des tentes. La marche de protestation des réfugié·es de Bavière à Berlin a suivi à l'automne. De 2012 à 2014, les manifestant·es ont campé sur une place centrale de Berlin, l'Oranienplatz à Kreuzberg, et ont occupé une école voisine, jusqu'à ce que les deux soient vidées par des milliers de policiers.

suite...

Vidéo : La tournée 2013 du Bus de la libération visite Witthoh, mai 2013. - https://www.youtube.com/watch?v=7wJAgQbeGng

Photos: Ulrich Riebe

2 Le camp, un espace contesté après 2015

21 Lorsque la "culture d’accueil" a atteint son apogée en 2015, de nombreux militant·es qui avaient mené les protestations précédentes étaient épuisé·es. La sécurisation croissante des structures de premier accueil après 2015 a également rendu plus difficiles les pratiques de solidarité et d'organisation collective. De nombreux nouveaux camps en Bavière et dans le Bade-Wurtemberg étaient désormais dotés de contrôles d'accès électroniques, avec des limitations de visiteurs, voire une interdiction totale de visite. Tout·e résident·e qui s'absentait plus de trois jours était rayé·e du registre du camp. Des amendements fédéraux ont introduit des restrictions successives pour les résident·es, notamment des interdictions de travail, des restrictions de mouvement et la transition d'une allocation en espèces à une allocation en nature. La Bavière a aménagé les centres ANKER, inspirés des centres d'hébergement-expulsion extra-larges pouvant accueillir jusqu'à quelques milliers de personnes, établis à Bamberg et Ingolstadt-Manching en 2015. Le modèle ANKER a été adopté par le gouvernement fédéral en 2018. Ce modèle proposait d'héberger les demandeurs d'asile dans de grandes installations, jusqu'à la décision positive ou bien leur expulsion, en réunissant toutes les autorités compétentes sous le même toit. Les contacts des habitant·es avec le monde extérieur devaient être minimisés afin de maximiser leur possibilité d'expulsion.

La sécurisation croissante des structures de premier accueil après 2015 a également rendu plus difficiles les pratiques de solidarité et d'organisation collective.

Avec d'autres groupes locaux, nous avons accompagné de nombreuses protestations dans les camps, offrant un soutien pratique et politique pour publier les préoccupations des manifestant·es, lancer des actions juridiques et militantes et faciliter la mise en réseau transrégionale.

suite...

Vidéo : Manifestation des résident·es du centre de premier accueil de Deggendorf, en Bavière, en décembre 2017. © Aino Korvensyrjä / Culture of Deportation, 2017
https://vimeo.com/248613638

22De nombreuses protestations portaient sur les conditions de vie immédiates dans les camps : expulsions nocturnes régulières, refus du droit de travailler, d'étudier, de recevoir de l'argent et de quitter les camps, maintien de l'ordre et violence des gardes. Dans plusieurs centres bavarois, les personnes en attente d'expulsion ne recevaient aucun document autre qu'une carte de résident du camp. En quittant le camp, la police pouvait les traiter comme des « illégaux » lors des fréquents contrôles s'appuyant sur le profilage racial. Ces conditions, l'intensité de l'action policière et les fréquents « transferts » de migrant·es vers d'autres camps, notamment après des manifestations, ont contribué à fragiliser ces organisations.

Les descentes de police dans les camps d'asile bavarois sont devenues une routine hebdomadaire en 2017.

Les descentes de police dans les camps d'asile bavarois sont devenues une routine hebdomadaire en 2017, après qu'un amendement à la loi sur la police eut désigné tous les hébergements d'asile bavarois comme des « lieux d'insécurité » (jargon policier). Cela a permis de procéder à des contrôles d'identité sans soupçon raisonnable (Ziyal, Yunus et Böhm, Johanna, 2020). La violence incontrôlée des agents de sécurité a intimidé les résident·es et a été communément abordée dans les manifestations. Ces deux formes de maintien de l'ordre ont renforcé le sentiment d'isolement des habitant·es des camps, ont permis d'étouffer les protestations potentielles et réelles, et ont produit des idées publiques de groupes « dangereux » et « non méritants ». Beaucoup ont quitté les camps et l'Allemagne.

suite...

23 Pendant la campagne d'expulsion liée au réglement Dublin en 2017-2019, les fréquentes mesures d'expulsion nocturnes ont transformé les installations en lieux de cache-cache. Changer de lit dans le centre ou rester éveillé·e pendant la nuit, lorsque la plupart des contrôles ont lieu, étaient des tactiques courantes pour échapper à l'expulsion.

Les médias et les politiciens ont reproduit et amplifié le récit policier des demandeurs d'asile criminels et des hommes noirs violents.

En 2018, une série de descentes de police encore plus spectaculaires a ciblé des hommes ouest-africains dans différents camps en Bavière et dans le Bade-Wurtemberg. La police a présenté ces raids liés aux expulsions selon le règlement de Dublin comme des réponses à des résident·es mettant en place des « systèmes d'alarme » pour avertir les autres et à des « émeutes » - c'est-à-dire relevant d'une solidarité collective et spontanée qui faisait obstacle à l'exécution nocturne des expulsions. Ces raids ont été menés par des centaines de policiers anti-émeute, qui ont procédé à des contrôles d'identité, à des fouilles des chambres, et à de multiples arrestations. Les médias et les politiciens ont reproduit et amplifié le récit policier présentant les demandeurs d'asile comme des criminels et les hommes noirs comme violents. Ces paniques morales ont stimulé de nouveaux projets législatifs et politiques en faveur d'une politique d'expulsion plus sévère.

La première descente de ce type, le 14 mars 2018, a visé la communauté gambienne de Donauwörth, en Bavière. Elle a mis fin à un long mouvement de protestation de ses membres. Pendant des mois, ils et elles avaient réclamé l'accès aux soins de santé, au travail, à l'argent et aux documents. Une semaine avant le raid, ils et elles s'étaient mis en grève pour la deuxième fois pour soutenir leurs revendications, en cessant tout travail dans le camp où elles et ils effectuaient des travaux d'entretien essentiels comme le nettoyage et la vaisselle pour 80 centimes l'heure. Le raid a mis fin à cette grève : 30 Gambien·es ont été placés en détention, accusés de « trouble à l'ordre public » pendant l'exécution d'une expulsion selon le règlement de Dublin. Après deux mois, le tribunal local les a tous déclaré·es coupables.

suite...

Photos: Rex Osa / Culture of Deportation.

Vidéo : Interview avec David Jassey sur la descente de police à Donauwörth. © Aino Korvensyrjä / Culture of Deportation, 2017https://vimeo.com/296197583

24 Le 3 mai 2018, à Ellwangen, dans l'État du Bade-Wurtemberg, plus de 500 agents ont fait une descente dans un centre de premier accueil. L'action a produit une panique morale à l'échelle nationale à propos d'hommes noirs « violents empêchant une expulsion » vers l'Italie trois jours avant le raid (Jakob, 2018). Un raid similaire a été mené en octobre 2018, après une tentative d'expulsion "Dublin" ratée dans le Stephansposching bavarois, une grande installation hébergeant des personnes originaires de pays d'Afrique de l'Ouest. 

suite...

25 Surmontant leur crainte initiale de la répression, les résident·es de ces camps ont communiqué publiquement leur point de vue, contestant les rapports de la police et des médias et dénonçant les raids comme une violence policière raciste. Avec d'autres groupes, nous avons soutenu leur organisation et leur action juridique, et suivi les procédures judiciaires ultérieures au cours desquelles les migrant·es ont été accusé·es de rébellion contre la police ou de « trouble à l'ordre public ». Cela nous a donné des informations sur les tactiques de la police, qui a souvent contourné la loi pour atteindre les objectifs qu'elle souhaitait. Par exemple, lors de la procédure au tribunal local d'Ellwangen contre des habitant·es des installations, arrêté·es lors de la descente du 3 mai 2018, nous avons appris qu'aucun mandat de perquisition n'avait été délivré par le tribunal pour perquisitionner le camp. Un tel mandat est nécessaire pour que la police puisse pénétrer dans les maisons et les logements en Allemagne (Loi fondamentale, art 13). Un ancien résident de l'établissement, Alassa M., était désormais fondé à intenter une action en justice contre la perquisition. Cependant, les organismes d'État ont élaboré d'autres arguments juridiques pour légitimer l'autorité de la police dans les camps.

Les descentes étaient également une réponse aux pratiques de contre-surveillance des migrant·es.

Les récits de criminalisation des migrants qui accompagnaient les raids ont facilité l'adoption de la loi de 2019 dite "Orderly Return Act" et la mise en œuvre d'expulsions et d'une politique plus sévère dans les camps. Pourtant, les protestations des migrant·es et les rapports indépendants basés sur leurs témoignages, qui dénonçaient les camps comme des espaces fondés sur la violence de l'expulsion, sont parvenus à susciter une solidarité militante à l'échelle nationale.

Comme nous l'avons noté, les descentes étaient également une réponse aux pratiques de contre-surveillance. Elles visaient à saper les tactiques des migrant·es qui cherchaient à se protéger et à protéger leur communauté contre les expulsions. Dans certains cas, elles avaient pour but d'empêcher directement l'organisation des protestations, y compris les grèves et les occupations.

suite...

Vidéo : Conférence de presse des résident·es du centre de premier accueil d'Ellwangen, dans le Bade-Wurtemberg, en mai 2018, après une descente de police dans le camp. © Aino Korvensyrjä / Culture of Deportation, 2018
https://vimeo.com/269728539

VI. Suivi de la « réintégration » et de la post-expulsion, création d'espaces autonomes

26 La stratégie européenne d'externalisation des frontières après 2015 a confié davantage les contrôles migratoires à des pays tiers, des entreprises et des organisations internationales et para-étatiques. Déplacer des contrôles migratoires contestés au-delà du territoire européen et loin de la responsabilité publique était en partie une réponse aux luttes des migrant·es et des activistes en Europe. Elle témoignait des efforts visant à externaliser la politique d'expulsion, l'Afrique de l'Ouest étant une région cible prioritaire.

Déplacer des contrôles migratoires contestés au-delà du territoire européen et loin de la responsabilité publique était en partie une réponse aux luttes des migrant·es et des activistes en Europe

Comme l'a prédit l'activiste malien Ousmane Diarra (AME, Association Malienne des Expulsés) lors d'un atelier en mai 2016 à Vienne, le Plan d'Action Conjoint de La Valette convenu entre les gouvernements européens et africains en novembre 2015 à Malte, transformerait le paysage du contrôle des migrations en Afrique (de l'Ouest). Le plan a couplé l'aide au développement avec un contrôle migratoire externalisé (Korvensyrjä, 2017). Les bailleurs de fonds européens ont de plus en plus chargé les sociétés et les ONG ouest-africaines de prévenir la migration des jeunes et de « réintégrer » les personnes expulsées d'Europe et des « pays de transit » nord-africains (Alpes, 2020), en offrant une aide financière modeste, des conseils sur le marché du travail et des formations courtes. De nombreuses organisations financées par l'Europe ont lancé ou développé de telles activités en Afrique de l'Ouest. Ces politiques, avec leurs euphémismes sur la « réintégration » et le « retour », faisaient partie de la stratégie de l'UE visant à rendre l'expulsion plus acceptable pour les États africains, leurs ressortissants et les publics européens.

Osa était préoccupé par cette extériorisation continue en Afrique des politiques de contrôle contre lesquelles il s'était battu en Allemagne. Inspiré par des initiatives comme l'AME qui politisait l'expulsion et soutenait l'auto-organisation des personnes expulsées en Afrique de l'Ouest francophone, il avait commencé à explorer les possibilités d'établir un soutien post-expulsion efficace au Nigéria. La visite qu'il a rendue en 2014 à Yusupha Jarboh en Gambie et à Joseph Koroma en Sierra Leone après leur expulsion d'Allemagne en 2013 en tant que « Nigérians » a été déterminante. Après plusieurs voyages d'étude et de réseautage dans les pays d'Afrique de l'Ouest depuis 2016, il a initié le projet en 2018 dans sa ville natale de Benin City, la capitale nigériane de la migration sortante vers différentes parties du monde. Une intuition clé guidant The Migration Information Point (MIP) a été de travailler solidairement avec les personnes après leur expulsion - un objectif qui, comme nous l'avons mentionné, a été rarement envisagé par les militant·es en Europe. Après 2015, en raison des politiques décrites plus haut, cet objectif est devenu plus urgent.

Le MIP ambitionne de créer un espace dans la ville de Benin City où les personnes ayant vécu l'expérience de la migration peuvent se sentir chez elles et échanger entre elles. L'objectif plus large est de construire une plateforme pour une connaissance critique de la migration, basée sur l'autonomisation des personnes ayant une expérience de la migration en tant qu'expertes en la matière et acteurs politiques, capables de défier radicalement la perspective du contrôle. Le centre vise également à développer les échanges avec des militant·es et des chercheur·ses d'autres pays africains et d'Europe, en mettant l'accent sur le réseau des militant·es d'Afrique de l'Ouest. Le MIP est étroitement lié à la surveillance régulière des expulsions de charters de l'Allemagne vers Lagos.

suite...

Photos: Rex Osa / MIP.

27 Un défi important abordé par le projet est de créer au Nigeria une conscience publique critique des politiques migratoires européennes, au-delà des récits européens dominants. Ceux-ci sont imposés par les acteurs européens et internationaux de la gouvernance migratoire actifs au Nigéria et à Benin City, une nouvelle ville-champignon de l'industrie migratoire euro-africaine (Andersson, 2014). L'Organisation internationale pour les migrations (OIM), l'agence allemande de coopération internationale pour le développement (GIZ) et d'autres organismes de pays européens visent à limiter et à arrêter la migration. Adopter leur discours sur la migration « illégale » ou « irrégulière » et la « lutte contre la traite » est une condition préalable pour obtenir des financements, tant pour les ONG locales que pour les migrant·es à titre individuel. La recherche sur la migration africaine est également touchée par cet agenda. Ce travail idéologique est souvent proposé aux populations locales sous forme d’« information » sur la « migration sûre » et les « risques de la migration irrégulière ».

La rhétorique de la « réintégration », qui a vu le jour après le sommet de La Valette et qui a été diffusée par des programmes tels que le programme allemand Perspektive Heimat, cherche à neutraliser les critiques des activistes qui considèrent l'expulsion comme une violence et un racisme postcolonial. Tout comme le terme « rapatriement », il suggère un retour harmonieux à la place supposée de chacun, en tant que bénéficiaire de l'aide européenne. Lorsque l'OIM ou la GIZ parlent de « donner aux rapatriés les moyens de créer des entreprises », de « sensibiliser » et de renforcer les échanges « entre pairs », ces termes s'approprient le discours des initiatives de terrain. Bien qu'ayant une consonance similaire, ils sont toutefois mobilisés en vue d'un objectif différent : renforcer la gouvernance européenne en matière de migration en Afrique. Ces dernières années, le programme "Les Migrant·es comme messagers" de l'OIM a en outre engagé des « rapatriés » individuels en tant que « messagers », pour diffuser des récits de la migration en Europe comme leurs « histoires authentiques par le biais des médias sociaux et d'un travail de conviction. En guise de compensation, ils perçoivent de maigres indemnités de déplacement et des repas.

Dans ce contexte, les formules de réintégration proposant des formations professionnelles courtes pour les « rapatriés » d'Europe et d'Afrique du Nord et des conseils pour faire face à la misère du marché du travail assurent de multiples fonctions. Ils légitiment discursivement les politiques de contrôle européennes, disciplinent les victimes du contrôle migratoire par des méthodes participatives et visent à les empêcher de repartir.

La rhétorique de la « réintégration » cherche à neutraliser les critiques militantes de l'expulsion comme violence et racisme postcolonial  

Depuis 2018, le suivi de la branche « réintégration » de l'industrie migratoire en expansion est devenu central dans le travail d'Osa à Benin City. Confronter les organisations financées par l'Allemagne et l'Europe au Nigéria et les agences gouvernementales nigérianes sur la négligence des personnes déportées et le mensonge de leur rhétorique, a, selon son expérience, souvent abouti à ce que ces agences adaptent leurs façons de travailler et de parler. Au lieu d'un changement de perspective, ces adaptations ont visé à améliorer la gouvernance de la « migration de retour », présumée plus humaine et acceptable. De nombreux « rapatriés » avec lesquels Osa travaille participent en même temps à des programmes financés par l'Europe, offrant une formation ou un soutien financier modeste, avec toutes les conditions idéologiques qui s'y rattachent.

Le contexte de travail des initiatives plus radicales comme le MIP reste donc déterminé par des contradictions et des défis alors que le boom de l'exportation de l'« aide » et de l'« information » allemandes en Afrique de l'Ouest se poursuit. Le secteur des ONG ne cesse d'inventer des projets financés par des fonds publics et des volontaires allemand·es mettent en place des initiatives humanitaires et de développement dans ces pays. 

suite...

VII. La surveillance en tant qu'intervention

28 L'expulsion est un champ de luttes complexe et mouvant. Nous avons analysé certains des mouvements sur le terrain après 2015. Pendant cette période, l'État allemand et l'UE ont affiné les stratégies d'expulsion, répondant aux pratiques et aux critiques des activistes et des migrant·es, et adaptant la « culture de l’accueil » allemande. Les pratiques et stratégies des activistes et des migrant·es que nous avons présentées ont utilisé la surveillance comme un outil pour contester l'identification au service de l'expulsion et la coopération des ambassades en matière d'expulsion, les expulsions par charter, la politique des camps semi-ouverts et les expulsions du règlement de Dublin, ainsi que la gouvernance des situations post-expulsion et de la « réintégration » en Afrique de l'Ouest.

Le problème est la manière dont la politique d'expulsion, les frontières et les lois sur l'immigration fabriquent des non-citoyen·nes comme cibles de contrôle.

Pour conclure, nous soulignons l'importance de la contre-surveillance en tant qu'intervention dans les pratiques de l'État. La surveillance effectuée par les activistes et les migrant·es, décrite dans cet article, ne visait et ne vise pas simplement à dénoncer publiquement la politique d'expulsion de façon abstraite. Plutôt que «d'éveiller l'attention du public tout en ne touchant pas au cœur du problème » (Osa, 2011a), , il s'agit d'affronter le problème. Le problème est la manière dont les lois sur l'immigration, les frontières et la politique d'expulsion font des non-citoyen·nes comme des cibles de contrôle, et non des membres à part entière de la société ou des sujets politiques. La surveillance comme production d'un savoir militant doit contribuer à « soutenir l'auto-organisation des opprimés ». (Osa, 2011a).

Ce soutien est ce que nous entendons par "empowerment". Dans une situation notoirement précaire et asymétrique, l' "empowerment" a néanmoins le potentiel d'ouvrir un processus multidimensionnel de production de savoir : nous apprenons à connaître les réalités de ce que c'est que vivre sous le régime des frontières et du contrôle policier à mesure que d'autres partagent leurs expériences et leurs analyses, et nous surmontons la peur commune de la répression, la honte ou le doute de toute possibilité de changement. L' "empowerment" commence par la possibilité du partage d'informations de base et de l'échange critique, que ce soit par les membres d'une communauté ou par des activistes extérieurs. Le « savoir que porte la migration » (Güleç et Kowalska, 2018) émergeant de ces échanges, peut être engagé plus avant dans des critiques structurelles du droit et des frontières par des (migrant·es) activistes et des universitaires. De cette façon, les formes systémiques de racisme, générées par le droit et les frontières, peuvent être dénoncées en lieu et place de simples « violations des droits de l'homme » individuelles. De telles analyses peuvent à leur tour renforcer la solidarité et l'action des migrant·es.

Une telle perspective de construction d'une autonomie par rapport aux politiques frontalières et à l'État-nation (Cissé, 1999 ; Anderson et coll, 2009 ; Osa, 2011a) distingue notre approche du contrôle mené par les agences étatiques, mais aussi du suivi journalistique et humanitaire aux objectifs réformistes. Elle contraste fortement avec l'utilisation du terme d' "empowerment" dans les programmes européens de « retour » et de « réintégration », qui, par le biais d'une rhétorique participative, disciplinent et instrumentalisent les migrant·es pour qu'ils et elles acceptent et promeuvent les politiques migratoires européennes. Notre conception de l'autonomisation des migrant·es préfigure une société et un monde au-delà des frontières, dont les personnes ayant migré sont membres à part entière. Nous pensons que travailler à partir de ce point de vue radical peut déplacer les logiques actuelles centrées sur le contrôle - humanitaire, répressif et exploiteur - et produire un changement systémique.

suite...

Références

29

Afrique-Europe-Interact, 2017, Folter: Gefesselt als Paket nach Mali. (en ligne, consulté le 19 janvier 2022). https://afrique-europe-interact.net/1605-0-Gefesselt-als-Paket-nach-Mali.html

Akkerman Mark, 2018, "Expanding the fortress. The policies, the profiteers and the people shaped by EU’s border externalisation programme", Amsterdam, Transnational Institute. (en ligne, consulté le 19 janvier 2022). https://www.tni.org/files/publication-downloads/expanding_the_fortress_-_1.6_may_11.pdf

Alpes JIll, 2020, "Emergency returns by IOM from Libya and Niger. A protection response or a source of protection concerns?", Berlin and Frankfurt am Main, Brot für die Welt, medico international e.v. (en ligne, consulté le 19 janvier 2022). https://www.medico.de/fileadmin/user_upload/media/rueckkehr-studie-en.pdf

Altenried Moritz, Bojadžijev Manuela, Höfler Leif, Mezzadra Sandro, and Wallis Mira, 2018, "Logistical Borderscapes", South Atlantic Quarterly, vol. 117, n° 2: 291–312.

Anderson Bridget, Sharma Nandita, and Wright Cynthia, 2009, "Editorial: Why No Borders?", Refuge: Canada’s Journal on Refugees, vol. 26, n° 2: 5–18.

Andersson Ruben, 2014, Illegality, Inc.: Clandestine Migration and the Business of Bordering Europe, Oakland, California, University of California Press.

Boekbinder Gerit, (n. d.), "Identitätsfeststellungen und der Handel mit ’Heimreisepapieren’: Gemeinsam gegen das korrupte Geschäft", Afrique-Europe-Interact (en ligne, consulté le 19 janvier 2022). https://afrique-europe-interact.net/239-0-artikel-ebs.html

Browne Simone, 2015, Dark Matters: On the Surveillance of Blackness, Durham, Duke University Press.

Casas-Cortes Maribel, Cobarrubias Sebastian, De Genova Nicholas, et coll., 2015, "New Keywords: Migration and Borders", Cultural Studies, vol. 29, n° 1 : 55‑87.

Cissé Madjiguène, 1999, Parole de sans-papiers, Paris, La Dispute.

Culture of Deportation, 2017a, "FILE: Joseph Koroma in Germany 2006 – 2013" (en ligne) 1er juin 2017 (consulté le 19 janvier 2022). http://cultureofdeportation.org/2017/06/01/file-joseph-koroma-in-germany-2006-2013/

———, 2017b, "FILE: Yusupha Jarboh in Germany 1994-2013" (en ligne) 1er juin 2017 (consulté le 19 janvier 2022). http://cultureofdeportation.org/2017/06/01/file-yusupha-jarboh-in-germany-1994-2013/

———, 2019, "Charter Deportation Germany-Senegal 16.07.19: Report (EN) – Rapport (FR) – Bericht (D)"( en ligne) 19 juillet 2019 (consulté le 19 janvier 2022). http://cultureofdeportation.org/2019/07/19/charter-160719-muc-senegal/

Culture of Deportation and Justizwatch, 2018, "Security guard violence in the AEO Bamberg – state-sanctioned criminalisation and persecution of refugees" (en ligne) 8 mai 2018 (consulté le 19 janvier 2022). http://cultureofdeportation.org/2018/05/07/bamberg/

———, 2021, "VG Stuttgart legitimiert rassistische Polizeigewalt in Ellwangen: Prozessbericht 18.2.2021 / Trial Report 18th Feb 2021" (en ligne, consulté le 19 janvier 2022). http://cultureofdeportation.org/2021/02/23/vg-stuttgart-ellwangen-bericht/

Dahlkamp Jürgen and Stark Holger, 2006, "Achse der Aussitzer", Spiegel (en ligne) 5 novembre 2006 (consulté le 19 janvier 2022). https://www.spiegel.de/politik/achse-der-aussitzer-a-98a4888f-0002-0001-0000-000049450805

Deutsche Welle Deutsche, 2018, "Germany proposes plan to repatriate 30,000 Nigerians" (en ligne) 17 mai 2018, consulté le 19 janvier 2022). https://www.dw.com/en/germany-proposes-plan-to-repatriate-30000-nigerians/a-43824080

Ellermann Antje, 2009, States Against Migrant·es: Deportation in Germany and the United States, Cambridge (England); New York, Cambridge University Press.

Fleischmann Larissa, 2019, "Making Volunteering with Refugees Governable: The Contested Role of ‘Civil Society’ in the German Welcome Culture", Social Inclusion, vol. 7, n° 2: 64–73.

Foucault Michel, 1995, Discipline and punish: the birth of the prison, London, Penguin Classics.

Güleç Ayse and Kowalska Patrycja, 2018, "Vom Rand ins Zentrum", analyse & kritik 635 (en ligne), 20 février 2018 (consulté le 19 janvier 2022). https://archiv.akweb.de/ak_s/ak635/15.htm

Hess Sabine, Kasparek Bernd, Kron Stefanie, Rodatz Mathias, Schwertl Maria, and Sontowski Simon, 2017, Der lange Sommer der Migration, Berlin, Assoziation A.

Hinger Sophie, 2016, "Asylum in Germany: The Making of the ‘Crisis’ and the Role of Civil Society", Human Geography, vol. 9, n° 2: 78–88.

Hinger Sophie and Kirchhoff Maren, 2019, "Andauerndes Ringen um Teilhabe: Dynamiken kollektiver Proteste gegen Abschiebung in Osnabrück (2014-2017)", Forschungsjournal Soziale Bewegungen, vol. 32, n° 3: 350–363.

Institute of Race Relations, 2019, "When witnesses won’t be silenced: citizens’ solidarity and criminalisation", London, Institute of Race Relations. (en ligne, consulté le 19 janvier 2022). https://irr.org.uk/product/when-witnesses-wont-be-silenced-citizens-solidarity-and-criminalisation/

Jakob Christian, 2018, "Neuer Blick auf Vorfall in Unterkunft: Was geschah in Ellwangen?", taz (en ligne) 3 mai 2018 (consulté le 19 janvier 2022). https://taz.de/!5500584/

Jassey David, Korvensyrjä Aino, Naiumad Seda, and Osa Rex, 2019, "Culture of Deportation. Surviving the German Asylum System. Seda Naiumad in Conversation with Aino Korvensyrjä, David Jassey and Rex Osa", in Ankersentrum (surviving in the ruinous ruin), ed. by Natascha Süder Happelmann and Franciska Zólyom, Berlin, Archive Books.

Korvensyrjä Aino, 2017, "The Valletta Process and the Westphalian Imaginary of Migration Research", movements. journal for critical migration and border regime studies, vol. 3, n° 1 (en ligne, consulté le 19 janvier 2022). https://movements-journal.org/issues/04.bewegungen/14.korvensyrjae--valletta-process-westphalian-imaginary-migration-research.html

———, 2020, "Resumption of charter deportations from Germany to The Gambia. Exploring the integration – deportation nexus", Migration Control, (en ligne) 16 décembre 2020 (consulté le 19 janvier 2022). https://migration-control.info/resumption-of-charter-deportations-from-germany-to-the-gambia-exploring-the-integration-deportation-nexus/

Lecadet Clara, 2017, "Accords de réadmission : tensions et ripostes", Plein droit, vol. n° 114, n° 3 : 15–18.

———, 2018, "Deportation, nation state, capital", Radical Philosophy, n° 2.03 (en ligne, consulté le 19 janvier 2022). https://www.radicalphilosophy.com/article/deportation-nation-state-capital

Odugbesan Abimbola and Schwiertz Helge, 2018, "“We Are Here to Stay” – Refugee Struggles in Germany Between Unity and Division", in Sieglinde Rosenberger, Verena Stern, and Nina Merhaut (eds.), Protest Movements in Asylum and Deportation, Cham, Springer International Publishing: 185–203.

Omwenyeke Sunny, 2016, "The Emerging Welcome Culture_ Solidarity instead of Paternalism", The VOICE Refugee Forum (en ligne) 1er mai 2016 (consulté le 19 janvier 2022). http://thevoiceforum.org/node/4155

———, 2017, "Refugees Welcome!!! – The Necessary but Missing Dimensions ", The VOICE Refugee Forum (en ligne) 5 avril 2017 (consulté le 19 janvier 2022). http://thevoiceforum.org/node/4348

Osa Rex, 2011a," Die Stimme der Unterdrückten – gegen falsch verstandene Solidarität", The VOICE Refugee Forum (en ligne), 16 novembre 2011 (consulté le 19 janvier 2022). http://thevoiceforum.org/node/2318

(English translation: "The Voice of the Oppressed: Against Misunderstood Solidarity",  http://cultureofdeportation.org/2021/12/10/voice/)

———, 2011b, "Rassistische Kollaboration mit dem Abschiebungsregime", Solidarité sans Frontières, n° 4.

Oulios Miltiadis, 2016, Blackbox Abschiebung: Geschichte, Theorie und Praxis der deutschen Migrationspolitik, 2. Edition, Berlin, Suhrkamp.

Pieper Tobias, 2008, Das Lager als Struktur bundesdeutscher Flüchtlingspolitik, Dissertation, Freie Universität, Berlin.

Poutrus Patrice G., 2019, Umkämpftes Asyl: vom Nachkriegsdeutschland bis in die Gegenwart, Berlin, Ch. Links Verlag.

Privacy International, 2020, "Here’s how a well-connected security company is quietly building mass biometric databases in West Africa with EU aid funds" (en ligne) 10 novembre 2020 (consulté le 19 janvier 2022). http://privacyinternational.org/news-analysis/4290/heres-how-well-connected-security-company-quietly-building-mass-biometric

Sharma Nandita Rani, 2020, Home rule: national sovereignty and the separation of natives and migrant·es, Durham, Duke University Press.

taz, 2016, "Rede der Kanzlerin bei der Jungen Union: Merkel will konsequente Abschiebung", taz (en ligne) 15 octobre 2016 (consulté le 19 janvier 2022). https://taz.de/!5348767/

The VOICE Refugee Forum, 2014, "Court Process against Rex Osa for participation in Nigerian Embassy action in Berlin", (en ligne), 24 mars 2014 (consulté le 19 janvier 2022). http://thevoiceforum.org/node/3519

Walters William, 2018, "Aviation as deportation infrastructure airports planes and expulsion", Journal of Ethnic and Migration Studies, vol. 44, n° 16.

Ziyal, Yunus and Böhm, Johanna, 2020, "Ungebetener Besuch von Männern in dunkler Kleidung", Hinterland, n° 45 : 15‑20. (en ligne, consulté le 19 janvier 2022). https://www.hinterland-magazin.de/wp-content/uploads/2020/05/Hinterland-Magazin_45-15.pdf​

suite...

Notes

30

1 Dans le contexte allemand, européen et euro-africain, nous faisons référence à des réseaux tels que Alarm Phone Watch the Med, Statewatch, Migration Control, Border Violence Network, Alarme Phone Sahara, l'Initiative Oury Jalloh, NSU Watch, The VOICE Refugee Forum, Caravan for the Rights of Refugees and Migrant·es, Afrique-Europe-Interact, International Women Space, Aktion Bleiberecht, No Border Assembly, Justizwatch, Campaign for the Victims of Racist Police Violence (KOP), et bien d'autres. En outre, les analyses développées dans le réseau de recherche allemand kritnet (Critical Migration and Border Regime Studies) ont grandement influencé notre perspective.

2 Voir http://cultureofdeportation.org/. Pour la documentation du cas de Yusupha Jarboh, v. http://cultureofdeportation.org/2017/06/01/file-yusupha-jarboh-in-germany-1994-2013/ et pour celui de Joseph Koroma: http://cultureofdeportation.org/2017/06/01/file-joseph-koroma-in-germany-2006-2013/

3 Y compris Refugees 4 Refugees (https://refugees4refugees.wordpress.com/), Justizwatch (https://justizwatch.noblogs.org/), et d'autres groupes militant·es trop nombreux pour être cités.

4 L'utilisation de ce terme par Osa fait suite à son engagement dans des luttes qui se sont identifiées au mouvement des réfugié·es. Ses participants ont redéfini le terme réfugié comme une identité produite à l'intersection du système d'asile allemand, du régime frontalier européen, de la dépossession (post)coloniale et de la résistance. Korvensyrjä est en accord avec cette critique, mais préfère parler de migrant d'asile, qui souligne le rôle de la pratique étatique (le système d'asile) dans la production de catégories de contrôle après 2015, à une époque où l'utilisation du mot réfugié a été renforcée en tant que terme sociopolitique fétichisé et stigmatisant.

5 Omwenyeke (2016, 2017) analyse les dimensions paternalistes et racistes de la « culture d'accueil ».

6 Sénégal, Ghana, Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Monténégro, Macédoine du Nord et Serbie

7 Abschiebung : Éloignement forcé après une décision négative ou un ordre d'expulsion. Les expulsions dans les six mois suivant l'entrée (Zurückschiebung), les refus d'entrée (Zurückweisung) ou les expulsions « volontaires » ne sont pas incluses. Les chiffres de cette section sont tirés des enquêtes parlementaires posées par les membres du parti de gauche (Die LINKE) du Bundestag au gouvernement fédéral entre 2015 et 2020.

8 Reintegration and Emigration Programme for Asylum-Seekers in Germany/Government Assisted Repatriation Programme.

9 Il n'existe pas de données gouvernementales complètes sur ces deux derniers groupes.

0 Démarche qui remonte à la fin des années 1970 et au début des années 1980 (Pieper, 2008).

11 Par le terme « chaîne d'expulsion », le Forum de réfugié·es VOICE désigne à la fois à l'oppression raciale et à la nature de régime de l'expulsion qui se répand sur différents sites.

12 L'agence allemande qui octroie les permis de séjour et organise les expulsions.

13 L'existence d'une telle liste a été rendue publique par Der Spiegel en 2006 (Dahlkamp and Stark, 2006).

14 Ils peuvent également être sanctionnés en infraction de l'article 95 de la loi allemande sur l'immigration (Aufenthaltsgesetz) pour « séjour non autorisé sans passeport » (généralement assorti d'une amende, rarement d'une peine de prison).

15 Agence européenne de garde-frontières et garde-côtes

16 http://cultureofdeportation.org/2017/06/01/file-yusupha-jarboh-in-germany-1994-2013/

17 http://cultureofdeportation.org/2017/06/01/file-joseph-koroma-in-germany-2006-2013/

18 V. également Lecadet (2018).

19 http://cultureofdeportation.org/2019/07/19/charter-160719-muc-senegal/

20 https://afrique-europe-interact.net/1605-0-Gefesselt-als-Paket-nach-Mali.html

21 https://migration-control.info/resumption-of-charter-deportations-from-germany-to-the-gambia-exploring-the-integration-deportation-nexus/

22 En lieu et place, une correspondance d'empreintes digitales dans la base de données EURODAC est généralement suffisante. Cette base de données est utilisée pour faire appliquer le règlement Dublin III, qui stipule que les demandeurs d'asile doivent déposer leur demande dans le pays européen de première arrivée et ne pas se rendre dans un autre État signataire.

23 https://alarmephonesahara.info/fr/

24 Pour les blocages des expulsions Dublin dans les centres d'asile d'Osnabrück autour de 2014-2015, voir Hinger et Kirchhoff (2019). Les campagnes dans les aéroports se sont concentrées depuis le début des années 2000 sur la plus grande plate-forme d'expulsions par voie aérienne d'Allemagne, à Francfort. La campagne Deportation Class, contre les expulsions sur les vols de passagers de la Lufthansa, a été mémorable et très efficace.

25 2017 Act to Improve the Enforcement of the Obligation to Leave the Country; 2019 Orderly Return Act.

26 https://www.aktionbleiberecht.de/

27 https://noborderassembly.blackblogs.org/deportation-alarm/

28 L'accueil et le soutien d'urgence aux personnes expulsées comprend des personnes ayant une expérience de la migration.: https://refugees4refugees.org/2019/08/30/deportees-emergency-reception-and-support-nigeria/

29 Pour un reportage journalistique sur le vol du 19 août 2019, voir Refugees 4 Refugees, 2019.

30 Le précédent paquet ayant un objectif similaire était la loi de 2017 visant à améliorer l'exécution de l'obligation de quitter le pays (Act to Improve the Enforcement of the Obligation to Leave the Country).

31 Voir Section I. Le groupe s'est d'abord appelé The VOICE Africa Forum, avant d'être rebaptisé.

32 Le suicide du demandeur d'asile iranien Mohammed Rahsepar à Würzburg a servi de catalyseur.

33 Abrégé de Arrivée, Décision, Rapatriement (Ankunft, Entscheidung, Rückführung).

34 Aujourd'hui, peu d'autres Länder, à part la Bavière, ont rebaptisé leurs structures de premier accueil en centres ANKER. En décembre 2021, le nouveau gouvernement de coalition fédéral a annoncé la fin de l'ANKER en tant que modèle fédéral. Toutefois, la différence avec les centres de premier accueil ordinaires est minime.

35 Voir par ex., Culture of Deportation etustizwatch (2018), http://cultureofdeportation.org/2018/05/07/bamberg/

36 Principalement défensives, contre des ordonnances de sanction qui auraient autrement conduit à une condamnation sans audience.

37 La Loi sur le retour ordonné de 2019 a introduit la possibilité d'« entrer » (Betreten) dans les camps pour exécuter les expulsions sans mandat de perquisition. Dans le cas d'Alassa M., en février 2021, le tribunal administratif de Stuttgart a décrété que les installations de premier accueil n'étaient pas protégées par l'article 13 de la Loi fondamentale, contrairement aux autres lieux de vie. En outre, le tribunal a estimé que le centre de premier accueil d'Ellwangen avait été un « lieu dangereux » pendant l'opération de police, v. Culture of Deportation et Justizwatch (2021).

38 Browne (2015) appelle de telles pratiques « sombre sousveillance ».

39 Nous avons co-organisé l'atelier avec Afrique-Europe-Interact et l'AME lors d'une conférence de kritnet, Network of Critical Border and Migration Regime Research, 26-29 mai 2016.

40 Voir également Alarme Phone Sahara: Réseau de surveillance des migrations dans l'espace sahélo-saharien, https://alarmephonesahara.info/fr/

41 Le concept de Heimat, qui signifie littéralement patrie, convoie un lourd bagage historique de nationalisme et de racisme.

42 Voir Lecadet (2018) pour une critique du « retour ». Les associations de naturalisation sont effectuées au nom de programmes gouvernementaux, tels que Perspektive Heimat de l'État fédéral allemand ou Coming Home, le programme d'aide au « retour volontaire » de Munich, la capitale de la Bavière.

43 C'est le langage qu'adopte, par exemple, le programme de l'OIM « Migrant·es comme messagers », https://www.migrant·esasmessengers.org/fr

44 Ibid.

45 Traduction anglaise : http://cultureofdeportation.org/2021/12/10/voice/

retour au début de l'article...

-
100%
+
Twitter Facebook