antiAtlas Journal #5 – 2022

LUTTES CONTRE LA « MACHINE À EXPULSER » : SUR LA PISTE ANARCHISTE

Clara Lecadet et William Walters

Résumé : Cet article examine les luttes anarchistes  contre les expulsions en France, en reconstruisant leur histoire fragmentée. Nous mettons en évidence l'idée d'une « machine à expulser » que ces campagnes ont popularisée, et nous nous demandons comment ces mouvements étendent le champ de l'action politique au-delà de l'État, en faisant des compagnies aériennes, des aéroports, des agents de voyage et d'autres acteurs commerciaux autant d'enjeux dans la lutte contre les expulsions.

Clara Lecadet est chercheuse au Centre national de la recherche scientifique. Ses travaux portent sur les politiques d'expulsion, les mouvements auto-organisés des expulsés en Afrique et les camps de réfugiés.

William Walters enseigne la sociologie politique à l'Université Carleton d'Ottawa, au Canada. Il s'intéresse à la sécurité, au secret, à la migration et à la gouvernementalité.

 

Mots-clés :  activisme anti-expulsion ; machine à expulser; anarchisme; sans-papiers

Remerciements : Nous sommes également reconnaissants au Conseil de recherches en sciences humaines (Canada) qui a apporté son soutien à cette recherche (subvention no 435-2017-1008).

antiAtlas Journal #5/no 5 : Air Deportation/Expulsions par voie aérienne
Dirigé par William Walters, Clara Lecadet et Cédric Parizot
Conception graphique: Thierry Fournier
Bureau de rédaction : Maxime Maréchal

antiAtlas Journal
Directeur de la publication : Jean Cristofol
Directeur de rédaction : Cédric Parizot
Directeur artistique : Thierry Fournier
Comité de rédaction : Jean Cristofol, Thierry Fournier, Anna Guilló, Cédric Parizot, Manoël Penicaud

Pour citer cette article: Lecadet, Clara et Walters, Williams, Luttes contre la « Machine à Expulser » : Sur la piste anarchiste, publié le 1er juin 2022, antiAtlas #5 | 2022, URL: https://www.antiatlas-journal.net/05-luttes-contre-la-machine-a-expulser-sur-la-piste-anarchiste/, dernière consultation le Date

Collectif Anti-Expulsions, October 2003 (Excerpt), Source : pajol.eu.org

Pourquoi les luttes anarchistes contre les expulsions sont importantes.

1Dans cet essai, nous appelons à une plus grande attention aux discours politiques, aux cadres interprétatifs et aux pratiques de lutte diffusés par  certains groupes et réseaux anarchistes  dans le domaine de la lutte contre l'expulsion. Nous nous concentrons spécifiquement sur l'activisme anti-expulsion en France, bien que certaines résonances puissent sans aucun doute être trouvées dans d'autres pays européens où les acteurs et les mouvements politiques se sont également appuyés logiques et des tactiques anarchistes. Alors que la recherche sur les mouvements sociaux et les luttes politiques autour des questions de migration s'est considérablement développée ces dernières années, les idées et les pratiques des mouvements anarchistes ont été marginalisées dans la plupart de ces études. Les chercheurs prennent très au sérieux les mouvements d'extrême droite anti-immigration, alors que l'anarchisme politique n'a pas reçu le même niveau d'attention. Peut-être l'anarchisme est-il considéré comme un élément très marginal et plutôt sans importance. Nous donnons deux raisons de prendre au sérieux l'anarchisme en tant que force au sein de l'activisme dans le champ des migrations et des luttes aux frontières.

Tout d'abord, sur le plan sociologique, cette démarche contribue à mieux rendre compte du champ plus large des mobilisations autour des questions de politiques migratoires et des mouvements de solidarité. L'argument en faveur d'une étude « indisciplinée » de la migration, qui refuse d'essentialiser des types de personnes (par exemple, « l'immigrant ») et évite de privilégier un axe de lutte particulier (par exemple, les États contre les migrants), a déjà été  avancé (Garelli et Tazzioli, 2013). Cette  dé-disciplinarisation considère la politique migratoire comme un champ hétérogène peuplé de nombreux types d'acteurs et de luttes. Nous cherchons à renforcer une telle perspective avec cette contribution. Bien que les anarchistes ne soient pas aussi omniprésents que les humanitaires dans le domaine de la migration, ou aussi visibles que les mouvements sociaux d'extrême droite, un compte rendu approprié de ce domaine exige certainement qu'ils soient reconnus. L'un des avantages de cette démarche est d'éclairer des dynamiques de lutte au sein de ce domaine. Nous soulignons en particulier la manière dont les anarchistes deviennent des cibles de la répression policière, à l’origine de campagnes de solidarité et de soutien  aux militants confrontés à des arrestations et à des condamnations. De cette façon, l'accent mis sur l'anarchisme illustre le caractère itératif, en boucle et centrifuge des mobilisations relatives aux politiques migratoires. 

Rejeter le principe même des citoyennetés qui s'arrêtent aux frontières et de la territorialité éthatique

Deuxièmement, nous soutenons que les mouvements anarchistes sont importants en raison des formes de connaissance et de normativité ainsi que des tactiques d'action directe qu'ils ont apportées au domaine de la lutte contre les expulsions déportation. C'est une caractéristique de nombreux mouvements anarchistes que de rejeter la volonté de l'État de différencier les migrants ayant un " statut " de ceux qui n'en ont pas (Mudu et Chattopadhyay, 2016 : 26). Comme le souligne le désormais célèbre slogan "No one is illegal", ces mouvements remettent en question l'idée même que les humains , en tant que tels, peuvent ou doivent être catégorisés selon une logique de légalité, et que ces désignations doivent circonscrire tout droit de circuler ou droit de résider (Nyers, 2010). En tant que tel A ce titre, l'anarchisme est important parce qu'il a ouvert un espace pour la critique de l’expulsiona déportation non pas sur la base de la compassion, des droits de l'homme, du processus administratif ou de l'équité, mais sur la base du rejet du principe même des citoyennetés délimitées et de la territorialité de l'État. 

L'anarchisme n'est pas seulement important pour l'espace normatif qu'il ouvre. Il fournita également fourni des outils analytiques. Pendant plusieurs décennies, les études sur la gouvernance des migrations ont privilégié l'angle des institutions, des politiques et des groupes d'intérêt. Bien que ces approches restent influentes, on assiste depuis peu à un élargissement de la perspective. À l'aide des concepts tels que ld'assemblage, dl'industrie de la migration, lde complexe disciplinaire, lde paysage frontalier et dela géographie carcérale, les chercheurs ont commencé à regarder au-delà  de l'État, à explorer l'interconnexion des acteurs étatiques et non étatiques, et le rôle des facteurs commerciaux, technologiques et logistiques dans la médiation des relations de pouvoir et des leurs résultats politiques. Nous insistons sur le fait que cette évolution nécessaire et importante n'est pas entièrement le fait du monde universitaire. Bien avant ce « tournant » dans les études critiques sur la migration, nous montrons que la tendance à explorer les économies politiques, les industries et les espaces au-delà de l'État , et à mettre en avant les pratiques et les mécanismes réels par lesquels le contrôle de la migration s’effectue, a été anticipée par la praxis anarchiste. 

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2Dans cet essai, nous soulignons la façon dont les anarchistes ont mobilisé la notion de « machine à expulser ». Dans la mesure où les compagnies aériennes, les aéroports et les agences de voyage y tiennent une place prédominante, l'attention portée sur la machine à expulser est particulièrement pertinente pour ce recueil sur les expulsions par voie aérienne. En effet, ces luttes anarchistes nous permettent de tirer une sorte de fil souterrain pour reconstituer la généalogie de l’expulsion par voie aérienne. En effet, c'est ici que l'on voit une tentative originale et prémonitoire de nommer et de théoriser l'infrastructure de l'aviation comme un site  d'intervention tactique et stratégique dans les luttes contre l'expulsion. En faisant ce pas, les groupes anarchistes ont élargi le terrain même de la lutte : les bureaux des compagnies aériennes commerciales et les agences de voyage sont devenus des cibles de protestation et de perturbation, tout comme les logos et les slogans des compagnies aériennes sont devenus des supports de détournement et des grammaires de protestation. Dans le même temps, ces mouvements ont également reconnu les limites d'une telle approche. Par conséquent, l'anarchisme peut être traité en termes d'« espace exigu » (Walters et Lüthi, 2016), où l'inventivité politique prend forme dans la confrontation avec le blocage, la limitation et l'impossibilité.

Les groupes anarchistes ont élargi le terrain même de la lutte.

Il s’agit ici de tenter de restituer à partir de quel lexique, de quel cadre d’analyse politique et de quelles stratégies d’action, ont émergé et se sont succédés au tournant des années 1990 et 2000 des collectifs anarchistes engagés dans la lutte contre les expulsions. Nous cherchons à revenir, non seulement sur la chronologie de ces collectifs en France, sur les stratégies et les enjeux autour desquels ils se sont constitués ainsi que sur les tensions et les critiques auxquels ils se sont heurtés et qui ont contribué à leur dissolution, mais aussi sur leur contribution à la compréhension et à la saisie, dans une perspective infrastructurelle et logistique, des différents rouages de la « machine à expulser ». La pensée critique et la réflexivité politique qui accompagnent l’action directe, participent en effet de la construction d’une vision d’ensemble du dispositif d’expulsion, de ses ressorts politiques et économiques. Nous chercherons ensuite à montrer que l’évolution des mobilisations des collectifs en France et en Europe dans les années 2000 a consisté à réinscrire la question spécifique de l’enfermement et de l’expulsion des étrangers dans le thème général du tout-carcéral et de la société de surveillance. Alors que les collectifs s’étaient initialement concentrés sur la dénonciation des expulsions en ciblant particulièrement les compagnies aériennes et en inventant des formes d’intervention au sein des aéroports, les années 2000 ont davantage été marquées par les révoltes dans les centres de rétention et les mouvements de protestation qui les ont accompagnées à l’extérieur. Les anarchistes ont également cherché à reformuler l’enjeu de ces luttes ; des luttes qui ne seraient plus exclusivement fondées sur la figure de l’immigré mais sur la proclamation d’une condition commune face à l’emprise du tout carcéral, de la précarité et de la société de surveillance. Il s’agira enfin de réfléchir à la façon dont la judiciarisation croissante des actes et des mouvements de protestation contre les expulsions par avion, et la qualification de certaines actions des collectifs anarchistes par l’arsenal juridique de l’anti-terrorisme, sont devenues une composante intrinsèque des politiques d’expulsion.

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Lexique et registres d’action

3 En investissant le terrain de l’aéroport et de la rétention administrative par des actions concrètes d’alerte, de blocage, de manifestation, les anarchistes, autonomes et libertaires investissent à partir de la fin des années 1990 la lutte contre les expulsions et contribuent à visibiliser la rétention, l’aéroport, le transport aérien, comme des espaces structurants dans le déploiement des dispositifs d’expulsion. Le renforcement de ces dispositifs est devenu à partir des années 1980 un enjeu politique dans un double sens ; à la fois comme un outil des gouvernements en matière de contrôle et de répression des migrations dites irrégulières, et comme un nouvel enjeu de lutte et de mobilisation.

Les "collaborations" et les complicités qui ont permis à ce système de fonctionner et de prospérer.

La chronologie de ces actions, l’émergence et la disparition des groupes, collectifs, réseaux, éphémères ou plus pérennes, qui les ont portées, la transformation de leurs mots d’ordre et de leurs modes actions, dévoilent un champ d’action, de construction discursive et de théorisation politique contre les expulsions, qui illustre l’investissement par les anarchistes, autonomes, libertaires et anti-autoritaires, agissant en réseau à l’échelle nationale et internationale, du combat immigré. Les Collectif Papiers pour tous !(1996-97), Boycottez Harcelez Air France (BHAF, 1997), Collectif Anti-Expulsions (1998-2005, puis 2006-2011), permettent d’appréhender la structuration d’une lutte contre les expulsions par voie aérienne. Les anarchistes sont liés et accompagnent pour une part le mouvement des sans-papiers qui se développe dans les années 1990 (Blin, 2005 ; Diop, 1997 ; Cissé, 1999 ; Siméant, 1998) The anarchists were linked to, and on the one hand worked with the “sans-papiers” movement which developed in the 1990s (Blin, 2005; Diop, 1997; Cissé, 1999; Siméant, 1998) mais ils contribuent aussi à questionner les enjeux de ces luttes et appellent à leur élargissement.
Dans un dialogue incessant entre réflexion critique et intervention concrète, ils ne tardent pas à constater les limites du seul investissement de l’espace de l’aéroport et de la question du transport comme possibles leviers pour empêcher les expulsions. Le choix de l’aéroport comme cible d’intervention s’accompagne d’une déconstruction des dispositifs d’expulsion par un inventaire précis des acteurs publics et privés, politiques, économiques, humanitaires qui concourent à leur fonctionnement ; il s’agit ainsi de déplier l’ensemble des « collaborations » et complicités permettant au système d’opérer et de prospérer, en soulignant notamment les intérêts indissociables de l’Etat et du système capitaliste dans la gestion d’une main d’œuvre étrangère, prise entre contrôle et exploitation. Dans cette analyse du système social, économique, politique, légal qui sous-tend la mise en œuvre des expulsions, l’aéroport est à certains égards la partie qui figure le tout, le lieu qui cristallise, condense et constitue la partie émergée d’un dispositif complexe, dont les ramifications sont profondément enracinées dans tous les aspects de la société. L’aéroport apparaît ainsi comme une sorte de synecdoque politique.

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4 Se constitue en même temps dans les textes et brochures publiés par les anarchistes en référence à la lutte contre la machine à expulser un lexique se référant explicitement aux crimes de la Seconde guerre mondiale. Son but est de dénoncer ceux qui participent et profitent de ce régime de surveillance et d’expulsion des étrangers et de faire de la question de l’expulsion une zone de conflit ; les termes de « déportation », de « collaboration », de « camps », de « rafle », de « totalitarisme », de « concentration », pourtant délaissés dans la langue française en raison de leur charge historique et symbolique, sont réintroduits comme des clefs de compréhension de ce que les anarchistes considèrent comme une continuité entre passé et présent. Le risque des amalgames et des fausses analogies est non seulement assumé mais devient un outil politique à part entière pour alerter sur la routinisation et la normalisation de situations d’oppression et de violence qui ont fini par constituer le cadre ordinaire de la politique et passent la plupart du temps inaperçues, comme l’illustre le titre du bulletin anarchiste « Chronique ordinaire de la guerre aux immigrés ».

L’expression « machine à expulser » concentre et synthétise la description faite par les anarchistes de tous les rouages d’un dispositif d’expulsion, dont le caractère industriel est, là encore, une référence plus ou moins explicite au processus d’extermination de masse nazi. Transformée en mot d’ordre, elle se diffuse dans les milieux militants pour désigner la déshumanisation et la violence inhérentes au système des renvois forcés. Les collectifs qui se forment dans les années 1990, et ensuite, font tous référence à la « machine à expulser », qui renvoie à l’existence d’une logistique et d’une infrastructure nécessaires à la mise en œuvre routinière des expulsions d’étrangers. Cet approche matérialiste ancre la dénonciation du système des renvois forcés dans une analyse concrète des organisations, des méthodes, des moyens, des personnes qui concourent à la réalisation de ces politiques.

Si l’État et le capitalisme sont considérés comme les ennemis à combattre pour mettre fin à ce système, en droite ligne avec la matrice idéologique de l’anarchisme telle qu’elle s’est développée au XIXe siècle, l’analyse de la « machine à expulser » fait aussi apparaître des enjeux nouveaux tels que l’implication d’organisations comme la Croix Rouge qui, sous couvert d’assistance humanitaire, participe selon les anarchistes de la mise en œuvre et de la légitimation de ces politiques, le rôle des entreprises dans la construction et la maintenance des centres de rétention, l’implication des sociétés de transport dans les renvois forcés ; à une grille d’analyse anarchiste classique reposant sur une critique générale de l’Etat et du capitalisme, se superpose une réorganisation des mots d’ordre, des discours et des stratégies d’intervention autour d’enjeux ciblés.

L’expression « la machine à expulser » déborde d’ailleurs bientôt le cadre des seuls collectifs anarchistes.

L’expression « la machine à expulser » déborde d’ailleurs bientôt le cadre des seuls collectifs anarchistes dans leur lutte contre les expulsions. Elle est l’enjeu d’usages militants et d’investigation qui gagnent les sphères médiatiques et académiques. A la tête de l’Institute for Race Relations en Angleterre, Liz Fekete (2005) a fait de cette expression un enjeu de la dénonciation du durcissement des politiques migratoires et du décompte de leurs morts et de leurs violences ; son ouvrage, intitulé The deportation machine: Europe, asylum and human rights, s’appuie sur des rapports journalistiques et des enquêtes de réseaux et d’associations de défense des droits de l’homme, pour montrer le processus de déshumanisation et de violence inhérent à ces politiques. Expression-passerelle, la « machine à expulser » a été largement diffusée et a constitué dans les années 2000 un outil critique et un outil de lutte dans les cercles militants et académiques (Goodman, 2020).

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Collectif Anti-Expulsions, octobre 2003, Source : pajol.eu.org

5 La mise à jour et l’identification des différents maillons de la « machine à expulser », et la diffusion d’un lexique de lutte contre les expulsions s’accompagnent d’actions ciblées, d’actes de sabotage au sein des agences de la compagnie Air France, de banques, de lieux de rétention, etc. Dans le processus d’élargissement et de décloisonnement des luttes lancé par les anarchistes, il s’agit également de sortir la question de la rétention des immigrés de l’acception selon laquelle elle constituerait un mode d’enfermement spécifique, pour la réinscrire dans le champ de l’enfermement et du « tout carcéral ». Dès la fin des années 1990 en effet, l’intervention des anarchistes dans les aéroports, l’appel et l’incitation faites aux passagers de s’élever pour empêcher à bord la mise en œuvre de l’expulsion – l’avion devenant un microcosme où s’expérimentent de nouvelles stratégies de micro-insurrection – vont de pair avec une critique radicale de la rétention, qui se traduit par exemple par l’occupation de chantiers pour la création de nouveaux centres et par la demande de fermer ceux qui existent déjà.

Il s’agit enfin de contribuer à la reformulation de l’enjeu même de luttes contre les expulsions, par l’appel à un décloisonnement des luttes, à l’issue duquel l’immigré ne serait plus la figure centrale et spécifique mais où serait mise en avant l’idée d’une condition commune de l’étranger et du citoyen face à la précarisation, à la société de contrôle et au tout carcéral. Dans la perspective anarchiste, la machine à expulser devient l’angle d’attaque de l’État et du capitalisme dans leur globalité. La lutte contre la machine à expulser peut dès lors être interprétée comme un levier par rapport aux objectifs traditionnels du mouvement anarchiste d’un renversement de l’Etat et du capitalisme. C’est pourquoi la réponse apportée par l’Etat aux actions menées contre les expulsions par ces collectifs anarchistes apparaît d’une particulière importance pour comprendre les enjeux politiques d’une lutte contre les expulsions portée par des mots d’ordre et des méthodes radicales, si l’on considère avec Sayad que « l’Etat se pense lui-même en pensant l’immigration » (Sayad, 2006 [1991]: 146). Si, depuis la fin des années 1990, en France et dans de nombreux pays européens, tous les contrevenants aux procédures d’expulsion – au premier rang desquels les immigrés tentant de résister à leur propre expulsion, ainsi que les passagers s’interposant à bord des vols commerciaux à la mise en œuvre de ces mesures – ont été l’objet d’une intensification des poursuites judiciaires, il est également crucial de réfléchir au glissement qui s’est produit, lorsque les actions des anarchistes et des antiautoritaires dans le cadre de luttes autonomes sont progressivement tombées sous le coup de l’arsenal judiciaire de l’anti-terrorisme.

Intensification des poursuites judiciaires

L’exacerbation des poursuites judiciaires vis-à-vis des luttes radicales semble illustrer le fait que les luttes contre les expulsions touchent au cœur des intérêts de l’Etat. Elle s’inscrit également dans la continuité d’une histoire d’intense répression et de surveillance, ainsi que de judiciarisation par les instances étatiques des crimes réels ou supposés attribués au mouvement anarchiste depuis son émergence au XIXe siècle (Woodcock 2019). Si les groupes qui menacent l’autorité de l’Etat et demandent son renversement ont été réprimés, poussés à la clandestinité, dispersés et/ou détruits, le contrôle et la répression étatiques ont aussi contribué à renforcer ces mouvements en légitimant leurs luttes et leurs mots d’ordre politiques. Le fait que la lutte anti-expulsion soit devenu un enjeu politique et juridique à la fin du XXe siècle montre aussi que la répression de ces mobilisations est un élément-clef dans le maintien et la poursuite des politiques d’expulsion. Pour le dire simplement, la répression et la criminalisation de ces mouvements ne sont pas une donnée annexe par rapport à la mise en œuvre des dispositifs d’expulsion ; non seulement elles en sont une composante intrinsèque mais elles garantissent le maintien et la possibilité de politiques contestées par des associations, collectifs et/ou par de simples citoyens. Il semble ainsi nécessaire d’inclure aux analyses traditionnelles sur le déploiement des dispositifs d’expulsion par des moyens juridiques, policiers, politiques, humanitaires, la question des luttes et de leur répression.

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Esquisse d’une chronologie des luttes anarchistes contre la « machine à expulser »

6 Dans sa célèbre histoire de l’anarchisme, l’écrivain, historien et poète George Woodcock explique que l’échec de la tentative des anarchistes de fonder pendant presque un siècle une organisation internationale pérenne s’explique certainement par l’esprit même de l’anarchisme, rétif à toute structure centralisatrice et à l’idée même de représentation ou de formulation d’un programme politique. Le groupe local en a été la matrice privilégiée, ceci n’empêchant pas les échanges entre groupes, la circulation des idées et la diffusion de pratiques et de modalités d’intervention directe. La reviviscence de la mouvance anarchiste à partir des années 1960 en Europe rompt selon Woodcock avec le schéma originel de l’anarchisme tel qu’il s’est développé au XIXe siècle autour de la question ouvrière et des modalités d’une réorganisation sociale affranchie de l’État, pour davantage s’attacher à des enjeux particuliers :

« La plupart des groupes anarchistes se consacrent en fait à une propagande motivée par des enjeux particuliers, une activité pour laquelle des contacts informels entre villes, régions et pays sont généralement suffisants. » (Woodcock, 2019, p. 239)

Ce renouveau du mouvement anarchiste s’ancre selon Woodcock dans des enjeux de lutte tels que l’environnement, le féminisme, le désarmement nucléaire. L’émergence dans les années 1990 de petits groupes autonomes qui développent une grille d’analyse critique et des pratiques d’intervention autour des dispositifs d’expulsion paraît rentrer dans le cadre de cette analyse sur la réorganisation de la mouvance anarchiste dans une période récente autour de fronts nouveaux et d’enjeux ciblés. Mais le caractère apparemment ciblé de la lutte anti-expulsion est en fait un trompe-l’œil, puisqu’elle repose en arrière-plan sur des mots d’ordre plus généraux de renversement de l’État et du capitalisme, de libre-circulation, de proclamation d’une condition commune entre citoyens et étrangers, de dénonciation du système carcéral, qui s’inscrivent dans le sillage des idées qui ont constitué le terreau de l’anarchisme au XIXe siècle. Les collectifs en lutte contre les expulsions renouvèlent certainement certains thèmes et objectifs de la lutte anarchiste, tout en gardant une ligne historique de défiance et d’aspiration à renverser l’État et le capitalisme. C’est aussi la raison pour laquelle ces groupes minoritaires et marginaux s’inscrivent dans un processus de déconstruction critique et d’attaque de l’État, qui les rend particulièrement vulnérables à la surveillance et à la répression.

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7 La mobilisation contre les expulsions en France à partir des années 1990 est le fait de petits groupes, éphémères, et qui n’ont laissé de traces que par la constitution d’archives par les anarchistes via des publications sur papier ou en ligne, qui établissent des chronologies d’événements (manifestations, interventions dans les aéroports, actions ciblées contre les rouages de la « machine à expulser ») et relaient des textes d’intervention relatant par exemple la formation des camps pour les étrangers en Europe, l’histoire de leur enfermement et de la mise en place des dispositifs d’expulsion. Ce qui est visé à travers la question du traitement des étrangers, c’est toujours le caractère oppressif de l’Etat et l’institutionnalisation, intrinsèque à la création des Etats-nations modernes, de la distinction entre citoyens et étrangers.

Des groupes qui n'ont laissé aucune trace, si ce n'est dans les archives anarchistes.

En 1996, le Collectif Papiers pour tous ! prend pour objectif de combattre la politique xénophobe et discriminatoire de l’Etat français à l’égard des étrangers :

« Comment organiser au quotidien la lutte contre les pratiques discriminatoires ? Le Collectif a, pour le moment, choisi deux formes d’intervention : des actions visant à freiner la machine à expulser et un travail d’information. A chacun et chacune d’essayer de perturber le fonctionnement des divers rouages du dispositif de contrôle. Objectif : empêcher l’application des lois xénophobes. Il ne tient donc qu’à nous d’intervenir collectivement et systématiquement dans les administrations ou entreprises qui participent à la mise en place de la politique xénophobe de l’Etat français»

Cet objectif se traduit par une série d’occupations, dont celle de l’agence Air France des Champs-Elysées le 13 avril 1996, et par l’interpellation des fonctionnaires, de police notamment, impliqués dans les dispositifs d’expulsion lors d’une manifestation de la fonction publique le 17 octobre 1996 ; « Fonctionnaires ! Refusez de fonctionner au service d’une logique barbare ! » peut-on lire sur un tract distribué à cette occasion. Défendant le principe de la liberté de circulation et demandant le vote d’une loi sur la régularisation de tous les sans-papiers, le Collectif Papiers pour tous ! accompagne les actions du 3e Collectif de sans-papiers et des résidents du foyer Nouvelle France à Montreuil, dans un esprit d’ouverture, de visibilisation et de convergence des luttes. La proximité avec le mouvement des sans-papiers, l’occupation commune du théâtre de l’Odéon à Paris, font de l’ouverture de négociations autour de la régularisation des sans-papiers une priorité du collectif. Mais ce ralliement au mot d’ordre sur la régularisation des sans-papiers est jugé sévèrement par certains militants, qui reprochent en interne la perte d’autonomie du mouvement et sa subordination à des tâches bureaucratiques uniquement centrées sur la question de la régularisation. Des dissensions politiques apparaissent également avec un autre mouvement, Jeunes contre le Racisme en Europe, issu d’une manifestation internationale contre le racisme et le fascisme ayant eu lieu à Bruxelles en 1992, qui, à la même époque, se rend régulièrement à l’aéroport de Roissy pour s’opposer aux expulsions. Le Collectif Papiers pour tous ! aura au final vécu moins d’un an, mais les questions que son évolution a posées et les raisons de sa dissolution apparaissent comme des enjeux pour tous les collectifs qui lui succéderont. Garder une totale autonomie ou se rallier dans un but stratégique à la logique des partis politiques et de la bureaucratie étatique pour avancer sur des objectifs ciblés comme la régularisation ? Faire du champ médiatique un enjeu dans la stratégie de communication et de diffusion des enjeux de lutte ou s’en tenir à une pure logique de confrontation, supposant de se tenir à l’écart de tous les espaces institués du débat public ?

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8 Boycottez Harcelez Air France émerge en 1997 et affirme, dans son texte d’appel du 6 février, le caractère insuffisant du mot d’ordre « Des papiers pour tous » et de la seule revendication pour la régularisation des sans-papiers, dans une tentative explicite de se démarquer du Collectif des papiers pour tous !. Si ce mot d’ordre garde son importance, dans la mesure où il refuse le principe de trier les immigrés et de privilégier certaines catégories de sans-papiers dans les procédures de régularisation, il doit aller de pair avec des actions concrètes contre la « machine à expulser », dont l’avion fait figure de pièce-maitresse. Le texte intitulé « Enrayons la machine à expulser », qui explicite les ressorts de la campagne Boycottez Harcelez Air France (BHAF), présentée comme « un outil de conscientisation et de mobilisation contre un des rouages de l'arsenal répressif anti-immigré », insiste sur le rôle des compagnies aériennes, rouage central et banal du dispositif d’expulsion :

« Même si une fraction non négligeable des expulsions sont effectuées par train ou par bateaux, les compagnies aériennes sont des pièces maitresses du dispositif d’expulsion, l’embarquement constitue le moment le plus concret de la procédure de déportation forcée et en même temps le moment qui tend le plus à se banaliser (petit à petit chaque passager devra s’habituer à voyager aux côtés d’un ou deux expulsés) c’est le moment le plus civil, le plus « social » du parcours police/justice/camps de rétention/expulsion. »

Le boycott et sa publicité négative, ne doivent pas se limiter à un acte de refus individuel, mais poursuivre avant tout un but politique, le refus des expulsions et la libre-circulation pour tous. La renommée de la compagnie donne particulièrement prise à cette campagne appelant au boycott, comme cette pétition signée par « plus de 50 intellectuels, cinéastes, juristes et citoyens appelant au boycott d’Air France ». BHAF demande à Air France de cesser sa participation aux expulsions, insistant sur le problème qu’elles constituent vis-à-vis de sa clientèle et de son personnel. Mais ce combat est également mené au nom de l’égalité des droits ; le durcissement de l’Etat vis-à-vis des droits des étrangers ne fait que préfigurer les atteintes qui seront bientôt commises à l’encontre des citoyens et leur précarisation sociale. Se profile ici l’idée selon laquelle le combat pour les sans-papiers ne peut être isolé d’un combat social et pour la justice global.

Le durcissement de l'attitude de l'État à l'égard des droits des étrangers

Le collectif occupe le 4 février 1997 les agences Air France de Paris, Lyon et Lille, et appelle dans le cadre de manifestions plus larges contre la loi Debré, au boycott et au harcèlement d’Air France. En mars et en avril 1997, des agences Air France à Paris, Lyon et à Lille sont occupées et dégradées, un comptoir Air France dans l’aéroport de Roissy bloqué pour stopper une expulsion. La compagnie aérienne devient dès lors la cible privilégiée des activités qui se déploient pendant plus d’une décennie, que ce soit par ce collectif ou ceux qui lui succéderont, pour tenter de dénoncer le système des expulsions à bord des vols commerciaux, et plus largement le contrôle et la répression des immigrés sans-papiers. Si la compagnie aérienne n’a jamais répondu à ces interpellations des collectifs libertaires, autrement que par les modalités de l’action judiciaire pour les dégâts occasionnés dans ses agences ou pour les perturbations ayant lieu à bord des avions pour empêcher les expulsions, se sont en revanche progressivement formées une opposition et un refus à l’intérieur de la compagnie au fait que l’aviation civile soit devenu le véhicule et l’exécutant des décisions gouvernementales en matière de contrôle migratoire. En ce sens, si les actions des collectifs anarchistes n’ont pas fait l’objet de réponse sur le fond de la part de la compagnie, elles ont en revanche certainement contribué à l’instauration d’un contexte de mobilisation qui a permis d’éveiller les professionnels sur la violence de ces politiques et d’alimenter leur propre opposition à l’usage des vols commerciaux dans la mise en œuvre de ces mesures.

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9 Les premiers collectifs français d’intervention dans les aéroports ont par conséquent accompagné les nouvelles formes de mobilisations contre les expulsions, en premier lieu du fait des sans-papiers eux-mêmes, dans un mouvement d’auto-organisation qui cherchait à s’émanciper des hiérarchies et des formes de paternalisme propres à la mobilisation des collectifs citoyens pour la défense des immigrés (Stierl et coll., 2021). Mais leur existence a été brève, et ils ont souvent été minés par les dissensions sur les stratégies à adopter, s’agissant notamment de rentrer dans la logique bureaucratique de la régularisation ou d’en récuser le principe, d’appeler à un boycott qui supposait de dénoncer la complicité de la compagnie tout en légitimant la logique commerciale et de profit qui en sous-tend le fonctionnement.

Le Collectif Anti-Expulsions, fondé le 7 avril 1998, développe et intensifie des modes d’intervention directe dans les aéroports. Le collectif signe un texte-manifeste de six pages, intitulé Libre circulation pour tous !, en septembre 1998. Se structure alors une véritable pratique d’intervention dans le temps, qui puise à la fois dans les pratiques déjà existantes de protestation de passagers voyageant sur les vols où sont régulièrement transportés les expulsés et dont ils partagent la nationalité, et dans la volonté de les formaliser pour inciter le plus grand nombre à faire barrage à ces mesures. Il s’agit d’inciter les passagers à rester debout, ce qui interdit à l’avion de décoller. Le CAE organise à cette fin une pratique régulière d’intervention à l’aéroport, qui apparaît comme un relais entre différents types de luttes et d’acteurs. Les membres du collectif s’inscrivent dans le prolongement de la lutte des sans-papiers, et les anarchistes soulignent souvent dans leurs publications que leurs luttes s’appuient sur les stratégies de résistance que les immigrés ont d’abord mis en place pour tenter d’échapper à l’expulsion. Le lieu de l’aéroport a d’ailleurs été ponctuellement investi par les collectifs sans-papiers, comme la Coordination 75 des sans-papiers (CSP 75) qui se rendait à l’aéroport pour protester contre l’expulsion d’un compatriote ou le mouvement des Gilets noirs qui a organisé un sit-in de plusieurs centaines de personnes le 19 mai 2019 dans le terminal 2 de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulles (Gilets noirs, 2019). Mais pour les sans-papiers, l’aéroport est par définition un espace d’extrême exposition et d’extrême risque, y compris dans les stratégies de manifestation collective, car ils peuvent à tout moment être arrêtés et placés en rétention, avant d’être expulsés. L’avantage des militants appartenant à des collectifs anarchistes, libertaires, anti-autoritaires résidait dans la protection que leur procurait leur nationalité par rapport aux risques encourus par les sans-papiers dans l’espace même de l’aéroport.

Le Collectif Anti-Expulsions met en place une modalité d’intervention régulière à l’aéroport, dont le but est d’abord d’informer et d’inciter les passagers présents sur ces vols à contrer ces mesures. L’intervention repose ainsi sur un passage de relais entre les activistes et les passagers, sur un processus de médiation. L’objectif du collectif est que leurs consignes sur les modalités d’intervention pour stopper les expulsions à bord soient appropriées et partagées, grâce à la distribution d’un guide d’intervention aux passagers et aux réseaux militants en France et à l’étranger. Est ainsi formalisé un véritable mode opératoire pour que les passagers puissent devenir les acteurs de l’empêchement des expulsions. Cette pratique d’intervention s’accompagne d’un soutien aux passagers interpellés, dans un contexte de judiciarisation croissante de toutes les formes de protestation, organisées ou spontanées, qui visent à stopper ces expulsions. La campagne organisée par le Collectif Anti-Expulsions pour défendre les passagers inculpés pour avoir protesté à bord contre l’expulsion d’un étranger, a notamment consisté dans la diffusion et l’envoi en octobre 2003 d’une lettre type, adressée au PDG d’Air France par de multiples signataires, et par l’occupation d’agences d’Air France en novembre de la même année.

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10Mais la position défendue par le Collectif Anti-Expulsions est que leur action ne peut ni se limiter ni se résumer à leur intervention dans l’aéroport et doit être envisagée comme une lutte contre toutes les composantes d’une société punitive et de surveillance, dont le traitement des étrangers est un révélateur puissant :

« Se rendre sur les aéroports pour s’opposer aux expulsions, c’est être en même temps contre les centres de rétentions, les zones d’attente, les prisons, c’est être contre toutes les formes d’enfermement, contre le fichage de tous dans le SIS ou ailleurs, contre toutes les formes de contrôle et de répression, contre toutes les formes d’exploitation ; mais c’est aussi être contre tous les tribunaux, c’est refuser leurs règles, leurs lois, qui réglementent le contrôle social et institutionnalisent l’exploitation. C’est lutter pour la liberté de circulation et d’installation. »

Lutter pour la liberté de mouvement

Entre 1998 et 2000, le Collectif Anti-Expulsions investit des espaces divers de la rétention, comme les locaux de la Police des frontières et son local de rétention dans la gare du Nord, le centre de rétention de Vincennes, l’hôtel Ibis de Roissy utilisé pour la rétention, la nouvelle zone d’attente « Zapi 3 » de Roissy, des agences Air France et des comptoirs de compagnies aériennes.

Un autre collectif également appelé Collectif Anti-Expulsions se recrée entre 2006 et 2011, après la dissolution en 2005 du premier CAE. Il convient de préciser que la majorité des archives dont nous disposons a été rassemblé par ce deuxième collectif, qui tout en faisant un travail considérable d’historisation des luttes anarchistes contre les expulsions depuis la fin des années 1990 et en établissant une chronologie détaillée des manifestations, interventions, actes de sabotage réalisées contre la machine à expulser, propose également une lecture rétrospective et critique du sens de ces mobilisations, de leurs objectifs et de leurs limites. Le deuxième Collectif Anti-Expulsions prône une radicalisation des méthodes utilisées par les précédents collectifs, en appelant à s’attaquer par des actes de sabotage, de destruction, d’intrusion, à tous les maillons de la machine à expulser et en refusant toute forme de médiation politique. En ce sens, l’aéroport perd de sa centralité dans les modalités de l’intervention, même si son intérêt stratégique pour tenter d’arrêter des expulsions individuelles n’est pas perdu de vue. Dans les années 2000, alors que l’Etat français ne cesse d’augmenter ses capacités en matière de rétention administrative, auxquelles sont assortis un allongement de la durée de rétention et une routinisation des expulsions à bord des vols commerciaux, les anarchistes, libertaires et anti-autoritaires défendent l’idée d’une lutte qui s’attaque à la complexité et à l’enchevêtrement des intérêts politiques et économiques qui fondent la machine à expulser.

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Déplier la « machine à expulser » : chaines, maillons et collaborations

Un dépliant reproduit dans le « A chacun le sien... Recension de vautours qui se font du fric avec la machine à expulser » Source : http://infokiosques.net/spip.php?article763

11Il nous paraît important de réinscrire les manifestations, les actes de sabotage, la distribution de tracts opérés par la mouvance anarchiste contre la machine à expulser dans un cadre d’analyse préalable, qui consiste littéralement à déplier le système de l’expulsion en identifiant, en listant, en rendant public l’ensemble des entreprises, organisations, personnes qui sont parties prenantes d’un ensemble qui ne peut être réduit au seul acte de l’expulsion, mais inclut la rétention administrative, les acteurs économiques et associatifs. Le courant anarchiste, que ce soit en France ou dans d’autres pays européens comme la Belgique, l’Italie, la Grèce, met ainsi en lumière dans le courant des années 2000 la logistique et l’infrastructure de la machine à expulser ; elles comportent les entreprises du BTP et de sous-traitance qui construisent les CRA, les entreprises qui assurent au quotidien la maintenance, la restauration à l’intérieur des CRA, les transports (avions, bus, trains, bateaux) qui assurent les mouvements et transferts des étrangers sur le territoire et lors de l’expulsion, les avocats, les associations d’aide aux étrangers, qui, comme la Cimade, operated in detention centres interviennent en centres de rétention et participent institutionnellement de leur légitimité.

Une structure financière-industrielle-humanitaire complète

Cet inventaire des acteurs publics et privés de la machine à expulser, la logique du profit qui sous-tend leur participation à ce système, sortent l’expulsion d’une prérogative abstraite, inhérente à la souveraineté étatique, pour en faire l’enjeu et l’intérêt de tout un complexe financier-industriel-humanitaire. Dans cette perspective, les visées et la symbolique politiques de l’expulsion sont indissociables d’une considération de ce complexe en termes de profit et de rentabilité pour des acteurs privés. La pratique militante anarchiste déconstruit ainsi une conception politique abstraite de l’expulsion pour en faire une lecture pragmatique et matérialiste, en termes de pratique, de logistique, d’infrastructure, qui renvoie à la question des intérêts et profits croisés de l’Etat et du capitalisme.  A cet égard, les anarchistes établissent, dans cet exercice de contextualisation historique et de théorisation politique qui accompagne leurs pratiques d’intervention, une sorte de cartographie critique des agencements et des collaborations nécessaires à la mise en œuvre d’une politique d’expulsion, à un moment où le champ de la recherche pensait encore le plus souvent les politiques d’expulsion à partir du droit, de la politique et de l’administration. L’expression de machine à expulser est ainsi emblématique de la volonté de comprendre la mécanique d’une politique, ses rouages, ses intervenants, etc. L’expulsion apparaît à différents égards comme une matrice, dans laquelle la question du traitement des étrangers en situation irrégulière permet de saisir l’ensemble des aspects de la vie sociale et politique, notamment le caractère indissociable des enjeux privés/publics, la complémentarité des actions de police et des mesures d’assistance humanitaire (Fischer, 2013 ; Andersson, 2014).

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12 Ces intérêts et profits croisés dévoilent un système de co-production du dispositif d’expulsion par des acteurs variés, perçus parfois comme hétérogènes, mais en fait complémentaires et co-dépendants. Le dispositif d’expulsion repose sur et révèle la co-construction de l’Etat et de la société de marché. La machine à expulser se compose des transporteurs, des constructeurs des centres de rétention, des agences qui assurent pour l’Etat la réservation des vols, des banques qui confisquent l’argent des immigrés une fois que ceux-ci ont été expulsés, des syndicats qui ont contribué à faire du travail un motif crucial de la légitimité des immigrés à rester et un critère essentiel de leur régularisation par les préfectures, au détriment de tous les autres critères, des ONG et de l’humanitaire comme parties prenantes des dispositifs d’expulsion et de leur légitimation.

Les collectifs anarchistes mènent ainsi des campagnes récurrentes pour dénoncer le rôle actif de la Croix-Rouge dans les dispositifs de rétention, de refoulement et d’expulsion :

« Ce qui dégoûte le cœur, que la main s’y attaque. Les rafles et les expulsions ne peuvent fonctionner qu’avec des Bouygues qui construisent prisons et centres de rétention, des BNP qui balancent des sans-papiers venus ouvrir un compte, des Croix-Rouge qui cogèrent les camps de rétention, des hôtels Ibis ou Mercure qui s’engraissent en se transformant en « zone d’attente », des Air France qui déportent ou la RATP qui fait le tri de la préfecture.»

L’identification d’une variété de cibles pour mener la lutte contre les expulsions devient une ressource commune pour une diffusion et une multiplication des mobilisations dans plusieurs pays européens. Des publications sur des sites anarchistes font la chronologie et la recension sous l’intitulé « Brèves du désordre » des actions menées en Belgique, Allemagne et Italie En Italie, où le mouvement semble particulièrement vivace, une série d’actions a lieu en 2005 contre des transporteurs, des banques, la police, la Croix-Rouge au nom de la lutte contre les expulsions. A Parme, des actes sont revendiqués par la Cooperativa artigiana fuoco e affini (occasionalmente spettacolare) contre les centres de rétention et les expulsions : « La Bnl [Banca Nazionale del Lavoro] finance la guerre et les lagers pour immigrés. Troupes hors d’Irak, détruisez les centres de rétention », « La Croix-Rouge gère le CPT [Centro di permanenza temporanea] de Piandel lago : solidarité avec les immigrés. »
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Stickers de la campagne contre la Croix Rouge, par le Collectif Anti-Expulsions, Octobre 2003, Source: pajol.eu.org

Reformuler les enjeux et les objectifs des luttes : le tout-carcéral et la proclamation d’une condition commune

13 Une partie des critiques adressées au Collectif des Papiers pour tous ! a consisté à dénoncer l’impasse des luttes pour la régularisation, qui reconstituent l’Etat en seul interlocuteur légitime et en seul arbitre des légalités, et qui jouent de l’ambivalence entre son action répressive en matière d’enfermement et d’expulsion, et de ses prérogatives en matière de régularisation. L’Etat français a certainement, à partir du mouvement des sans-papiers, utilisé le pouvoir de la régularisation dans une perspective à la fois d’apaisement et de division des luttes, car l’entrée dans les négociations suppose de choisir ses interlocuteurs, d’en légitimer certains et d’en disqualifier d’autres. Les régularisations ont par ailleurs une double fonction ; celle de répondre à l’indignation suscitée par la situation des sans-papiers mais aussi à une logique utilitariste sur le plan économique. Elles peuvent être ainsi simultanément utilisées par les services préfectoraux comme un outil de « pacification » des mouvements sociaux et comme un outil économique au service des employeurs. On comprend que le seul objectif de la régularisation ait été considéré non seulement comme insuffisant, mais aussi comme délétère et contreproductif par les anarchistes, car il repose sur le principe d’entrée en négociation avec les services de l’Etat et consolide leur légitimité. Il semble que l’évolution des collectifs anarchistes français dans le courant des années 2000 a consisté à tourner le dos à l’objectif de la régularisation (qui est en revanche resté central dans l’organisation des collectifs sans-papiers) pour chercher à créer un rapport de confrontation direct et frontal avec l’Etat.

Il semble que le dépassement d’une lutte centrée sur la seule question de la régularisation ait alors été cherché dans la convergence entre les luttes autour des prisons et celles contre la rétention et l’expulsion, selon un processus d’identification d’un tout-carcéral qui deviendrait l’objet des luttes, et non plus seulement d’isolement des formes d’enfermement spécifiques pour les étrangers. Cette articulation entre prison et rétention devient tangible dans les années 2006-2007, avec des actions visant et émanant à la fois des prisons et des lieux de rétention des sans-papiers, et dans un continuum des luttes anarchistes européennes qui étendent, généralisent la réflexion autour du carcéral à partir de la question de la rétention des étrangers.

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14 S’affirme autour de la rétention une perspective politique antiréformiste et abolitionniste. Deux flyers intitulés « Pourquoi nous voulons la destruction des centres de rétention » et « Beau comme des centres de rétention qui flambent » listent les arguments selon lesquels aucun objectif d’amélioration et d’humanisation des centres ne doit être poursuivi. Au contraire, leur condamnation de principe et l’appel à leur destruction doivent être constamment maintenus et affirmés. Cette perspective abolitionniste s’accompagne d’incendies, d’évasions et de mutineries survenus en 2008 dans des centres de rétention en France, en Espagne, en Italie et en Belgique. On peut lire sur une affiche bruxelloise en 2008 « Diffusons la révolte… Détruisons les centres fermés et les prisons ». Les anarchistes européens relient ainsi la lutte contre les centres de rétention et contre la machine à expulser à la question des prisons.On peut d’ailleurs entendre dans le slogan « Ils disent que c’est un centre de rétention mais c’est une prison » un écho aux mouvements qui ont eu lieu autour des prisons dans les années 1970 et à la manière dont Foucault a thématisé la question carcérale en l’étendant à l’ensemble des institutions qui ont historiquement contribué à la mise en place des technologies disciplinaires au sein des États-nations (Foucault, 1975).

« Diffusons la révolte… Détruisons les centres fermés et les prisons ».

Se développe au cours des années 2000 un mouvement de protestation contre les centres de rétention, que les anarchistes accompagnent d’actions et de publications, mais dont l’origine est d’abord et avant tout à situer dans la fatigue et la colère des étrangers enfermés. Entre décembre 2007 et mars 2008, des incendies de centres de rétention ont lieu dans la région parisienne, en province et dans plusieurs pays européen. Le caractère concomitant de ces incendies semble correspondre aux analyses de Hardt et Negri (2000) sur le « cycle des luttes », dans lequel un mouvement se diffuse et se dissémine simultanément autour d’enjeux et d’actions de protestation commune par-delà les frontières. Les incendies dans les centres s’inscrivent en effet dans un mouvement européen pour l’abolition des centres et contre la rétention. Les actions qui prennent place ont aussi cette particularité de permettre une circulation entre le dedans et le dehors des centres, les actions de sabotage et les manifestations à l’extérieur prolongeant les actes de destruction à l’intérieur par les étrangers enfermés. Les anarchistes tissent en 2007-2008 des liens avec les mutins.  A la suite de ces événements, des campagnes ont lieu pour soutenir les anarchistes poursuivis et les étrangers qui ont déclenché les incendies.

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Légende de la première image (gauche) : Collectif anarchiste parisien Non Fidesdépliant, 2008 Source : non-fides.fr. Légende de la première image (droite) : Affiche, 2008 Source : non-fides.fr

15 L’action des anarchistes est sous-tendue par une réflexion politique qui relève à la fois de la déconstruction critique de l’État et du capitalisme, et de la critique de la structuration, des hiérarchies et des relations de pouvoir inhérentes aux luttes. Pour tenter de déconstruire les places occupées dans les luttes et leurs objectifs, un point central de la réflexion anarchiste sur les luttes réside dans la critique de l’isolement et de l’objectivation de la figure de l’immigré. C’est le principe d’une lutte spécifique, que celle-ci soit menée par ceux qui entendent s’ériger en défenseurs d’une « cause » immigrée ou par les immigrés eux-mêmes dans des formes diverses d’auto-organisation, qui est non seulement dénoncé et remis en cause, mais considéré comme responsable de la reconduction perpétuelle des catégorisations étatiques dont il faut viser la suppression. Les anarchistes mentionnent les enjeux de classe et de pouvoir qui traversent les luttes, y compris dans l’organisation du mouvement et des collectifs sans-papiers. L’enjeu même des luttes anarchistes est ainsi l’objet d’un glissement, d’un déplacement de l’immigré comme sujet de l’oppression vers l’aspiration à une lutte commune, dans laquelle citoyens et étrangers se retrouveraient côte à côte pour dénoncer les conditions d’une oppression commune, dans laquelle se mêle contrôle, surveillance généralisée et précarisation globale.

Nous revendiquons la réciprocité

La notion de réciprocité entre tous les acteurs des luttes, qu’ils soient des nationaux ou des étrangers, apparaît comme une condition pour repenser une lutte qui ne soit pas seulement centrée autour des enjeux propres à la condition des étrangers illégalisés mais une lutte commune autour des mots d’ordre anarchistes :

« C’est ainsi que notre exigence de réciprocité peut prendre sens. Plutôt que de continuer un lien qui n’a d’autre raison d’être que de maintenir la fiction d’un sujet politique qui aurait, au nom de son statut de principale victime, le monopole de la raison et de donc de la lutte, il nous reste bien d’autres pistes à explorer. Pour être plus clairs, on pourrait dire que la solidarité nécessite une reconnaissance réciproque dans les actes et/ou dans les idées. Il est en effet difficile d’être solidaire avec un sans-papier ‘en lutte’ qui revendique sa régularisation et celle de sa famille sans être aucunement intéressé par une perspective de destruction des centres de rétention.»

La volonté d’entrer dans une lutte contre un système plutôt que contre des enjeux spécifiques et ciblés, fussent-ils emblématiques de l’injustice et de la violence de la condition d’immigré, apparaît comme une position typiquement anarchiste. Un point également essentiel de la réflexion anarchiste sur la politique des luttes, tient dans l’idée d’une lutte sans médiation, c’est-à-dire non seulement sans représentant ou porte-parole, mais aussi libérée de la tutelle des syndicats, associations et ONG qui orientent les mobilisations en fonction d’intérêts particuliers. On voit ainsi que l’objectif apparemment ciblé de la lutte contre les expulsions fait en réalité fond sur un motif plus général de renversement du système, constitutif des mouvements anarchistes depuis leur émergence :

« Le mécanisme démocratique de la citoyenneté et des droits, bien qu’élargis, présupposera toujours l’existence d’exclus. Critiquer et essayer d’empêcher les expulsions des immigrés signifie critiquer en acte à la fois le racisme et le nationalisme ; cela signifie chercher un espace commun de révolte contre le déracinement capitaliste qui nous touche tous ; entraver un mécanisme répressif tant important qu’odieux ; cela signifie briser le silence et l’indifférence des civilisés qui restent là à regarder ; cela signifie, enfin, discuter le concept même de loi, au nom du principe « nous sommes tous clandestins ». Bref, il s’agit d’une attaque à un des piliers de la société étatique et de classe : la compétition entre les pauvres, le remplacement, aujourd’hui de plus en plus menaçant, de la guerre sociale par la guerre ethnique ou religieuse. […] »

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Les luttes contre la « machine à expulser » et le cœur de l’État : réflexions sur la criminalisation des mouvements

16 Les perturbations survenant sur les vols commerciaux du fait des expulsés eux-mêmes luttant pour ne pas être embarqués (Kinté, 2020) ou du fait des passagers s’opposant à la présence d’un expulsé à bord, ont fait l’objet de condamnations d’abord prononcées sur le registre moral, mais qui ont très vite été suivies de poursuites sur le plan judiciaire. En 1998, Jean-Pierre Chevènement, le ministre de l’intérieur français, stigmatisait ainsi l’action des Jeunes contre le racisme en Europe (JRE) et des passagers, qui à Roissy et à bord des avions, cherchaient à entraver le déroulement des expulsions ; celui-ci appelait explicitement à ce que des sanctions soient prises contre les « fauteurs de troubles », accusés « anti-social conduct ». Les protestations à bord des vols font ainsi l’objet d’un processus de judiciarisation croissant, qui contribue à instaurer autour des possibles actes d’opposition aux mesures d’expulsion un environnement d’intimidation et de peur. Au début des années 2000, la Police aux frontières (PAF) commence à distribuer aux passagers un formulaire leur indiquant les poursuites dont ils sont passibles en cas d’obstruction au processus d’expulsion, dans la même période où les militants du Collectif Anti-Expulsions diffusent leur guide d’intervention pour expliquer aux passagers quel comportement adopter pour faciliter le débarquement par le commandant de bord de l’étranger en cours d’expulsion. La distribution du formulaire de police et du guide d’intervention dans les aéroports par les anarchistes montre la simultanéité et la confrontation entre une technique policière, qui vise à l’intimidation des passagers et à la création d’un environnement susceptible de désamorcer tout acte de rébellion (quand bien même ceux-ci sont entièrement pacifiques et non-violents), et une stratégie de mobilisation et de lutte dans laquelle les passagers peuvent jouer un rôle décisif, le commandant de bord étant in fine l’arbitre de cet affrontement et la personne souveraine s’agissant de décider de garder sur le vol ou au contraire de débarquer l’expulsé (Hamant, Lecadet, 2019).

Une technique policière visant à intimider les passagers

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17Au début des années 2000, la stratégie du Collectif Anti-Expulsions est dès lors de concentrer son action sur l’aéroport pour tenter d’empêcher des expulsions, mais aussi de réorienter une partie de ses efforts sur des campagnes de soutien aux passagers poursuivis par Air France et passibles de peines. Le champ de la mobilisation s’élargit au terrain judiciaire, un élément essentiel pour comprendre comment les expulsions se sont finalement banalisées et se sont imposées comme une composante presque ordinaire au sein de l’aviation civile. Les campagnes des collectifs anarchistes ainsi que la couverture médiatique qui ont accompagné les procès des passagers, semblent avoir joué en faveur d’une modération des peines et des demandes de la compagnie Air France, celle-ci se contentant d’une revendication symbolique d'un euro de dommages et intérêts aux passagers, mais elles n’ont pas non plus permis d’empêcher ces procès de jouer un rôle décisif en matière de dissuasion. Les mobilisations ont sans doute eu un impact à la fois pour atténuer la lourdeur des peines des passagers récalcitrants et pour influer sur les décisions des gouvernements de trouver une sorte d’équilibre entre les pratiques « ouvertes » et publiques d’expulsion à bord des vols des commerciaux et l’affrètement de charters décollant généralement depuis des aéroports ou dans des zones aéroportuaires fermées au public et donnant à première vue peu de prise aux tentatives d’obstruction des militants. C’est d’ailleurs à partir de ces vols charters que sont développés dans les années 2010, notamment au Royaume-Uni, de nouvelles stratégies de résistance consistant à tenter de bloquer l’avion et d’empêcher son décollage. Le cas le plus marquant est celui du collectif Stansted 15 (Brewer, ce volume) qui s’est opposé le 28 mars 2017 au départ d’un charter pour le Nigéria, le Ghana et la Sierra Leone depuis l’aéroport de Stansted, en s’enchaînant à la carlingue de l’avion ; le collectif a été poursuivi et jugé pour des faits de terrorisme, avant que le verdict ne soit révoqué en appel. Ce procès retentissant a montré comment l’obstruction aux expulsions a été progressivement investie par un processus de qualification juridique, révélateur de la place occupée par ces mobilisations dans les stratégies sécuritaires et judiciaires étatiques.

Si l’on en revient au contexte français du début des années 2000, le glissement qui se produit entre les actions judiciaires intentées contre les passagers pour « obstruction à la circulation dans un aéronef » et celles intentées contre les anarchistes suite à l’occupation et à la dégradation de plusieurs agences Air France, est qu’elles vont pour certaines commencer à être menées au nom de l’anti-terrorisme, avec des implications judiciaires et pénales sans communantie mesure avec celles des actions intentées contre les passagers. A plusieurs reprises, le Collectif Anti-Expulsions fait face aux poursuites de ses membres. Les luttes contre les expulsions ne consistent alors plus seulement en des actions contre la machine à expulser et ses différents maillons, mais aussi dans des campagnes et des stratégies pour tenter de contrer la juridicisation croissante de ce champ de l’activisme : soutien aux inculpés, présence dans les tribunaux, etc. Ce glissement peut s’expliquer par un élément contextuel plus général : une tendance à ce que les poursuites judiciaires contre la mouvance anarchiste soient lancées  dans le cadre de l'antiterrorisme. Mais ce glissement peut aussi être interprété au regard de la place occupée par la question du contrôle des étrangers dans la « pensée de l’Etat » (Sayad, 2006 [1991]) et dans la hiérarchie et l’ordre de ses préoccupations sécuritaires.

Les actions des collectifs anarchistes contre les expulsions agissent ainsi comme des révélateurs de la centralité des dispositifs d’expulsion dans les techniques de gouvernementalité actuelles et de la menace que constituent aux yeux de l’Etat les formes d’opposition organisées. Nous considérons ainsi que l’analyse des politiques d’expulsions ne peut reposer uniquement sur la mise en perspective des dispositifs légaux, politiques, policiers qui permettent le recours aux expulsions, et de leurs contestations ; elle doit aussi inclure et comprendre comment les poursuites judiciaires contre toutes les formes d’entrave à ces dispositifs sont progressivement devenues une part intrinsèque de ces dispositifs, permettant la pérennité et le maintien de leur mise en œuvre. L’ampleur et la gravité des poursuites judiciaires montrent que ces mouvements sont considérés comme touchant le cœur de la sécurité de l’Etat.

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18 Concluons cet essai en inscrivant ce point sur la nature inflationniste de la réponse de l'État au militantisme anti-expulsion dans une compréhension plus large des politiques de l'expulsion. Il est clair que celles-ci  ne sont en aucun cas réductibles au contrôle de l'immigration, à la surveillance des frontières et au maintien de l'intégrité de la procédure d'asile - des fonctions que les fonctionnaires citent souvent comme les principaux objectifs et justifications de ces politiques. Le fait qu'il existe un « fossé »dans l’application et la mise en œuvre des mesures d’expulsion (Paoletti, 2010), que tant de personnes exposées et visées par une obligation de quitter le territoire ne sont pas effectivement expulsées, en témoigne. L'expulsion est autant une forme de performativité politique qu’un mode dur et violent de signalisation des frontières et des appartenances. Ainsi, les poursuites engagées contre les militants anti-expulsion et la répression des mouvements anarchistes se superposent et résonnent avec cette logique politique et symbolique de l'expulsion. Elles deviennent également le prétexte pour la mise en scène du pouvoir souverain de l'État. Mais ce n'est pas un espace que l'État peut monopoliser ou contrôler entièrement. Les luttes que nous avons documentées ici attestent de l'indécidabilité et de l'excès génératif de l'anti-expulsion.

L'anarchisme éclaire l politique de l'expulsion.

Mais l'anarchisme éclaire aussi les politiques relatives à l'expulsion d'autres manières. Dans cette contribution, nous avons appelé les spécialistes de la migration à prendre au sérieux les mouvements anarchistes et anti-autoritaires. L'anarchisme n'est certainement pas un mouvement de masse. Ce n'est même pas un champ stable, car, comme nous l'avons vu, les groupes et les réseaux vont et viennent. Pourquoi, malgré leur caractère marginal, ces mouvements méritent-ils qu'on s'y intéresse ? C'est précisément parce que les anarchistes refusent de tenir pour acquis l'existence et la forme mêmes de l'État et du capitalisme, qu'ils ouvrent une ligne de visibilité sur le domaine de la migration qui est autrement fermée à de nombreux chercheurs. Les critiques habituelles  selon lesquelles l'anarchisme est repose sur un projet irréaliste ou utopique ne constituent pas ici un enjeu. L'anarchisme dénaturalise ce qui nous est donné comme relativement fixe. En tant que tel, il donne une vision différente des expulsions.

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Sources

19

« A chacun le sien... Recension de vautours qui se font du fric avec la machine à expulser », 23 December 2009 https://www.infokiosques.net/spip.php?article763

“Aux errants, Agli Erranti”, in Cette Semaine n°85, August/September 2002 https://infokiosques.net/lire.php?id_article=757

“Brèves du désordre italiennes” in Cette Semaine n°88, March 2006.

“Brèves du désordre grecques” in Cette Semaine n°88, March 2006.

“Brèves du désordre belges” in Cette Semaine n°90, September 2006.

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Références


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Notes

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1 L'anarchisme apparaît au moins de deux façons dans les recherches sur la migration. Premièrement, les spécialistes des mouvements sociaux ont exploré la contribution des pratiques, des espaces et de l'éthique anarchistes aux mouvements de solidarité, notamment la création de squats et d'autres centres sociaux destinés à accueillir les personnes en déplacement (par exemple, Micinski, 2019 ; Mudu et Chattopadhyay, 2016 ; Ataç et coll., 2021). Deuxièmement, certains courants de l'anarchisme et de l'autonomisme, souvent en conversation avec les traditions marxistes et postcolonialistes, informent les théories radicales et les critiques des frontières, du contrôle des migrations et de la gouvernance étatiste de la citoyenneté (par exemple, Mezzadra 2004 ; King 2011 ; Nyers, 2010 ; Walia 2013 ; De Genova 2017).

Ces trois termes sont utilisés dans la documentation qui a servi de base à la rédaction de cet article pour qualifier les mouvements qui se réclament de la lutte contre la machine à expulser. Ils recouvrent néanmoins des embranchements historiques spécifiques dans l’évolution du mouvement anarchiste. Si la question de l’autonomie, en tant que processus d’émancipation par rapport à l’État et au capital, est constitutive du mouvement anarchiste au XIXe siècle, l’émergence du mouvement autonome en tant que tel est situé par les historiens après 1968, avec l’apparition en Italie, en Espagne, en France, en Allemagne, de groupes influencés par les thèses léninistes, situationnistes, conseillistes, qui prônent le recours à l’action insurrectionnelle. Néanmoins il semble que les collectifs qui se sont formés pour lutter contre la machine à expulser n’entretiennent qu’une relation lointaine aux formations historiques de la mouvance autonome.

En 1996, l’implication du Collectif Papiers pour tous ! dans les actions du 3ème Collectif de sans-papiers et des résidents du foyer Nouvelle France à Montreuil et l’investissement de ses membres dans les tâches administratives liées au dépôt de dossiers de demande de régularisation, évoqués plus loin, illustrent le compagnonnage entre le mouvement sans-papiers et les anarchistes, mais ils sont aussi à l’origine de vives tensions et critiques autour la forme que doit prendre la lutte contre les expulsions. Comme le montre l’évolution des stratégies des collectifs anarchistes en France et en Europe dans les années 2000, le fait de se focaliser seulement sur la question de la régularisation des sans-papiers est non seulement jugé insuffisant mais comme desservant une lutte radicale contre la machine à expulser.

4 Dans Une lutte contre la machine à expulser [Paris, 2006-2011], 2017, Mutines Séditions, p. 24 et 39.

5 « L’État se pense lui-même en pensant l’immigration. »

6 Dans Une lutte contre la machine à expulser [Paris, 2006-2011], Ibid., p. 301. « Enrayons la machine à expulser », Courant alternatif, mensuel édité par l’Union communiste libertaire, juin 1997, p. 7-8 https://archivesautonomies.org/IMG/pdf/communismelib/courantalternatif/ns/courant-alternatif-serie2-n070.pdf

5 « L’Etat se pense lui-même en pensant l’immigration.»

6 . Dans Une lutte contre la machine à expulser [Paris, 2006-2011], Ibid., p. 301.

7 “ Dans Courant alternatif, mensuel publié par l'Union libertaire communiste, juin 1997, p.7.^^
https://archivesautonomies.org/IMG/pdf/communismelib/courantalternatif/ns/courant-alternatif-serie2-n070.pdf

8 « Enrayons la machine à expulser », Courant alternatif, mensuel édité par l’Union communiste libertaire, juin 1997, p. 7-8 https://archivesautonomies.org/IMG/pdf/communismelib/courantalternatif/ns/courant-alternatif-serie2-n070.pdf

9  Ibid., p. 9.

10 Face aux campagnes exigeant que certaines compagnies aériennes cessent de s'engager dans l'expulsion de personnes en situation irrégulière, les dirigeants des compagnies aériennes ont parfois affirmé qu'ils n'avaient pas le choix. Par exemple, lorsqu'il a été interrogé sur sa participation à l'expulsion de demandeurs d'asile déboutés, un porte-parole de British Airways a déclaré: « C'est la loi britannique et nous nous y conformons - c'est comme si on nous demandait si nous étions contents de payer l'impôt sur le revenu. ». (‘Major airline refuses to help with forcible removal of immigrants”, The Independent, October 8, 2007.) Étant donné que certaines des plus grandes entreprises du monde ont réussi à éviter de payer l'impôt sur les sociétés, l'analogie est assez éloquente !

11 La loi du 24 avril 1997 portant diverses dispositions relatives à l’immigration s’inscrit dans une série de lois, dites « lois Pasqua-Debré » qui ont contribué entre 1986 et 1997 à la mise en place d’un arsenal législatif fixant et durcissant les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, et qui ont renforcé la construction de l’immigration comme problème social et politique (Lessana, 1998).

12 Le syndicat Alter, le Syndicat des pilotes d’Air France (SPAF) et la CGT Air France mènent en 2007 une campagne pour que les actionnaires de l’entreprise votent une motion destinée à stopper les expulsions et à faire ainsi pression sur la direction de la compagnie. Le Bulletin syndical du personnel naviguant Air France (BSPN), la publication bimensuelle d’Alter, titre le 21 juin 2007 : « Reconduite à la frontière : ce n’est pas le métier d’Air France ! » (Hamant, Lecadet, 2019).

13 Voir « S'opposer aux expulsions ? », Plein droit, 62, 2004, p.35-38.

14 “« Guide pratique d’intervention dans les aéroports », rédigé en juillet 2000 et publié dans la revue Vacarme, 2000, 3, p. 14-18.

15 “Lettre au président d’Air France de protestation contre les expulsions” 8 décembre2003, http://pajol.eu.org/spip.php?article278

16 “Se rendre sur les aéroports pour s’opposer aux expulsions, c’est être en même temps contre les centres de rétentions, les zones d’attente, les prisons, c’est être contre toutes les formes d’enfermement, contre le fichage de tous dans le SIS ou ailleurs, contre toutes les formes de contrôle et de répression, contre toutes les formes d’exploitation ; mais c’est aussi être contre tous les tribunaux, c’est refuser leurs règles, leurs lois, qui réglementent le contrôle social et institutionnalisent l’exploitation. C’est lutter pour la liberté de circulation et d’installation.” ‘Interventions contre les expulsions : quelques pistes”, juillet 2004, http://pajol.eu.org/spip.php?article644

17 Brochure « A chacun le sien... Recension de vautours qui se font du fric avec la machine à expulser », 23 décembre 2009 :  https://www.infokiosques.net/spip.php?article763

18 Dans Une lutte contre la machine à expulser [Paris, 2006-2011], 2017 p. 11.

19 Traduction de De Nar, n°206, septembre/octobre 2006, « Brèves du désordre belges », dans Cette Semaine n°90, septembre 2006, p.39.

20 Traduit de l’allemand. Tiré d’Interim n° 641, 14 septembre 2006 « Brèves du désordre allemandes », dans Cette Semaine" n°91, décembre 2006, p.22-23.

21 “ « Brèves du désordre italiennes »,  dans Cette Semaine n°88, mars2006, p.24-28.

22 « La perspective abolitionniste est également développée dans les années 2000 dans les milieux activistes anglo-saxons et aujourd’hui extrêmement présente et structurée au Royaume-Uni et aux Etats-Unis où le mouvement Abolish ICE, popularisé sous le hashtag #AbolishICE, a gagné en puissance en 2017 avec l’arrivée de l’administration Trump. »

23 Feu au centre de rétention. Des sans-papiers témoignent, 2008, Paris, Libertalia

24 Textes extraits de à Corps Perdu n° 1, décembre 2008, p. 10. Ils étaient regroupés sous forme de dossier intitulé Étrangers de partout, http://www.acorpsperdu.net (site inaccessible)

25 Dans Aux errants/Agli erranti, texte traduit de l’italien et publié dans Cette Semaine no 85, aout/septembre 2002, p. 5-7.

26 « Chevènement veut « punir » les opposants aux expulsions. Il fustige les « fauteurs de troubles » à « l’incivisme fondamental ». » par Abdi Niram et Virot Pascal, Libération, 1er avril 1998.

27 « Faisons en sorte que cet euro leur coûte très cher ! », 2003, document consultable à ce lien : http://pajol.eu.org/spip.php?article276

28 « Brèves du désordre grecques », dans Cette Semaine n° 88, mars 2006, p. 36-38

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https://www.antiatlas-journal.net/pdf/antiatlas-journal-05-lecadet-walters-struggles-against-the-deportation-machine-on-the-anarchist-track.pdf

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