antiAtlas #5 - 2022

Voix aériennes - Pratiques d’interprétation en instance dans la zone d’attente de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle

Maxime Maréchal

Résumé: La zone d’attente de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle est un espace nodal du dispositif frontalier de non-admission des étrangers sur le territoire. L’aborder comme un environnement sonore permet de saisir la part cruciale des sons dans le réseau des relations de pouvoir qui s’y déploie. En particulier, les pratiques d’interprétation linguistique se situent à l’articulation entre l’ordre policier et l’ordre politique à la frontière.

Maxime Maréchal est doctorant en sociolinguistique à l’Université Paris Cité, en contrat CIFRE avec l’association ISM Interprétariat. Il est bénévole à l’Anafé (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) et membre de l’Institut Convergences Migrations.

Mots-clés : Zone d’attente, interprétation, environnement sonore, sociolinguistique, administration de l’asile, frontières

antiAtlas Journal #5 "Déportations aériennes"
Dirigé par William Walters, Clara Lecadet and Cédric Parizot
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antiAtlas Journal
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Photo: J.C. Hanché pour le CGLPL (Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté)

Pour citer cet article : Maréchal Maxime, "Voix aériennes. Pratiques d’interprétation en instance dans la zone d’attente de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle"paru le 1er juin 2022, antiAtlas #5 | 2022, en ligne, URL : www.antiatlas-journal.net/05-marechal-voix-aeriennes-pratiques-interpretation-en-instance-dans-la-zone-attente-aeroport-roissy-charles-de-gaulle, dernière consultation le Date

I. La zone d’attente de Paris-Charles-de-Gaulle : un nœud du dispositif frontalier

A. Situation de l’instance

1 La zone d’attente est l’espace dans lequel sont « maintenues » les personnes considérées comme « inadmissibles » sur le territoire français lors d’un contrôle de police à la frontière, et placées en instance jusqu’à leur renvoi vers l’aéroport de provenance ou leur admission sur le territoire.

La zone d’attente est un nœud dans le « continuum » reliant les politiques migratoires européennes aux procédures de demande d’asile sur le territoire national

Les voies de sortie de la zone d’attente ne doivent pas masquer sa finalité principale, qui est l’expulsion des « migrants illégalisés » (Bauder, 2014). Légalement instituée en 1992, la zone d’attente est un nœud dans le « continuum » reliant les politiques migratoires européennes aux procédures de demande d’asile sur le territoire national (Clochard, 2007). Elle participe pleinement du filtrage des mobilités selon la dichotomie imposée entre motifs économiques ou politiques de la migration qui est fréquemment revendiquée dans le champ politico-médiatique au nom de la défense du droit d’asile (Brice, 2019). Dès lors, elle est « un des nombreux dispositifs mis au point par les États pour tenir les demandeurs d’asile loin de leur territoire et constitue le dernier mécanisme de non-entrée, quand tous ceux déployés en amont ont échoué » (Maillet, 2020 : 15).

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Photo: Yann Castanier/Hans Lucas

Photo: JC Hanché pour le CGLPL

2 La temporalité de la privation de liberté en zone d’attente participe de sa « malléabilité » (Iserte, 2009). En effet, « le cadrage temporel des délais procéduraux se superpose à celui du quotidien de l’enfermement » (Makaremi, 2007) dans une combinaison éprouvante de l’attente et de l’urgence. L’alternative entre l’expulsion et l’autorisation d’accès recouvre des situations très diverses, pendant et après le maintien 

Cette « extra-territorialité » permet de légitimer un ensemble de « pratiques d'exclusion qui ont lieu sur les territoires des États »

Certaines personnes font l’objet d’un « ping-pong » administratif entre la zone d’attente et l’aéroport du pays de provenance qui refuse lui aussi de les admettre sur son territoire ; d’autres, de plus en plus nombreuses, entrent dans un « cercle vicieux de l’enfermement » (Anafé, 2020b : 14) qui porte la durée réelle de privation de liberté bien au-delà des vingt jours prévus comme limite au maintien en zone d’attente.

La zone d’attente est un « pays de nulle part »
(Bourguet, 1992) où les personnes se voient attribuer en accéléré différents statuts. Sous le sceau de l’inadmissibilité, et en l’espace de quelques jours seulement, la personne peut être successivement déclarée « non admise » ou « en transit interrompu », « demandeur d’asile » puis – en cas de refus de sa demande d’entrée au titre de l’asile – redevenir « non admise » et donc expulsable. Cette condensation spatiale et temporelle des « carrières de papier » (Spire, 2005) instaure un régime d’exception pour les personnes maintenues par rapport aux personnes retenues (sur le territoire). Cette « extra-territorialité » permet de légitimer un ensemble de « pratiques d'exclusion qui ont lieu sur les territoires des États » entraînant une diminution des droits, en particulier pour les demandeurs d’asile et les mineurs isolés (Maillet, 2020). La ZAPI 3 de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle concentre le plus grand nombre de personnes maintenues et d’entretiens d’asile à la frontière, avec 70% des demandes en 2020 (OFPRA 2021). Conçue par l’État comme une « vitrine » des autres zones d’attente, différents acteurs y sont implantés, comme L’Anafé, la Croix-Rouge, ou encore un médecin. Une annexe du tribunal judiciaire de Bobigny a été spécialement construite en 2017 dans le prolongement du bâtiment. Cette organisation spatiale traduit la pluralité des étapes du parcours administratif des personnes maintenues, et la rapidité de leur succession.

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B. A l’écoute de la frontière

3 La zone d’attente est ainsi configurée comme un lieu à la fois marginal et nodal dans la gestion des mobilités spatiales et administratives des étrangers illégalisés à la frontière. En effet, les zones apparemment marginales de l’État sont les lieux où se manifestent avec le plus de force ses fonctions régaliennes et où les pratiques de ses agents marquent l’écart le plus important vis-à-vis des normes censées les encadrer (Fassin et al., 2013). Pour saisir cette centralité occultée, les enquêtes sur la zone d’attente s’organisent majoritairement autour de l’enjeu de la visibilité. Les rapports militants défendent le « droit de regard » associatif, se demandant « Mais que cache la PAF ? » et dénoncent « l’invisibilisation des zones d’attente et des personnes qui y sont maintenues » (Anafé, 2020 : 27). Les travaux universitaires sont confrontés aux difficultés liées à « l’occultation » de cet espace (Maillet et al., 2017). « Dessiner les frontières » apparaît alors comme un enjeu à la fois politique et épistémologique afin d’interroger la perception et la production des frontières par les différents acteurs. Mais pour cela, il est nécessaire de proposer des « approches théorico-méthodologiques frontalières, interdisciplinaires, qui entrent ainsi en résonnance avec l’objet qu’elles se proposent d’étudier » (Auzanneau et Greco, 2018). Dès lors, la réduction à la dialectique du visible et de l’invisible doit être questionnée.

L’attention au sonore vise à appréhender plus finement le caractère processuel et relationnel des dynamiques frontalières

La focalisation sur la question du visible semble en effet avoir entraîné une moindre attention à celle de l’audible. Or la matérialité sonore de la frontière est de plus en plus étudiée au sein des border studies par des travaux qui critiquent la prévalence épistémologique de la vision dans les analyses des frontières voire dans les sciences sociales en général. L’attention au sonore vise à appréhender plus finement le caractère processuel et relationnel des dynamiques frontalières, en ce que les sons relèvent d’une matérialité vibratoire et multidirectionnelle et affectent différemment les personnes qui les produisent et les perçoivent. Les soundborderscapes – des enregistrements effectués sur des espaces frontaliers – permettent ainsi de remettre en cause l’acception « traditionnelle de la frontière comme ligne de séparation » afin de « de rendre audibles et amplifier les conflits et les processus qui ont lieu à la frontière » (Biserna, 2017 : 2). L’analyse sonore des relations entre les dispositifs frontaliers et les corps migrants peut, quant à elle, saisir la frontière comme « panaudicon » (en référence au panopticon foucaldien) articulant, sous de multiples formes, des « politiques de sécurité fondées sur le son » (Weitzel, 2018 : 6) à l’échelle des individus.

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4 Le tropisme visuel dans les recherches sur les frontières pourrait expliquer que les enjeux langagiers, pourtant cruciaux dans les contextes migratoires (Galitzine-Loumpet & Saglio-Yatzimirsky, 2020), sont peu abordés dans les études de la zone d’attente alors que les pratiques langagières plurilingues y sont déterminantes et impliquent divers cadres, acteurs et langues.

Les pratiques langagières plurilingues sont en effet centrales dans le parcours administratif des personnes maintenues en ZAPI 3

Outre leur inscription dans la matérialité sonore de la frontière, les pratiques langagières plurilingues sont en effet centrales dans le parcours administratif des personnes maintenues en ZAPI 3. C’est ce que signalent les dispositions juridiques prévoyant l’intervention d’un interprète, mais aussi les dénonciations récurrentes par l’Anafé des défauts « d’interprétariat » (Anafé 2018, 2020). A ce dernier terme sera préféré ici celui d’interprétation, moins dévalorisant (Navarro, 2013) mais signifiant la même chose : la traduction orale consécutive, par un interprète, des énoncés de deux locuteurs dans deux langues différentes. Si les interventions d’interprètes sont souvent négligées par les études des politiques d’asile en France, elles ont tout de même été étudiées dans le cadre d’associations de soutien aux personnes exilées (Clappe, 2019), de la Cour Nationale du Droit d’Asile (Pian, 2020), ou dans des situations non institutionnelles (Galitzine-Loumpet et Saglio-Yatzimirsky, 2019) ; mais pas en zone d’attente. Quant aux rares travaux de la littérature spécialisée sur l’interprétation (Interpreting studies) qui s’intéressent aux contextes frontaliers, ils adoptent un angle purement visuel, en fondant leurs analyses sur des photographies où figurent des interprètes dans des situations historiques de conflictualité (Fernández-Ocampo et Wolf, 2014) ou d’action humanitaire transfrontalière (Nuč et Pöllabauer, 2021).

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Photos: J.C. Hanché pour le CGLPL

C. Voix interdites

5 La ZAPI 3, comme d’autres « lieux occultés » à la frontière (Maillet et al., 2017), présente des obstacles à la fois politiques, éthiques et méthodologiques. L’accès est réservé à certaines associations habilitées, dont l’Anafé dans le cadre notamment de sa permanence juridique. Cela exige du chercheur et bénévole qu’il ne mette pas en danger cette habilitation, le confrontant à la difficulté de « participer en observant » (Makaremi 2008) dans ce lieu : recueillir les signes de la violence subie par les personnes maintenues sans provoquer une dégradation de leur condition et en même temps tenter de leur apporter une assistance juridique sans reconduire, face à l’urgence et au nombre de sollicitations lors de certaines permanences, les critères administratifs d’évaluation des situations que l’action associative risque d’intégrer par isomorphisme vis-à-vis des institutions (D’Halluin-Mabillot 2008).

Les prestataires de services d’interprétation, quant à eux, sont dans une situation particulièrement délicate. Les interprètes professionnels sont tenus à distance de la ZAPI 3, puisqu’ils n’y interviennent que par téléphone, alors qu’ils sont présents lors des entretiens d’asile au siège de l’Office – ou tout au moins visibles dans les entretiens en visioconférence. Les structures prestataires reconduisent l’opacité et le silence dans lesquels l’administration place la ZAPI 3 : contacté par téléphone, le directeur de l’entreprise d’interprétation et de traduction ayant remporté les marchés publics passés par la police aux frontières (PAF) pour intervenir aux postes de police des différents terminaux de l’aérogare de Roissy m’indique qu’il ne peut accéder à ma demande d’entretiens en raison du « devoir de réserve » auquel son entreprise est tenue, et que je dois m’adresser directement au
ministère de l’Intérieur.

Tenter de saisir la place des pratiques d’interprétation comme autant de relations sonores dans le contexte du maintien à la frontière.

De plus, l’enregistrement (audio comme vidéo) est strictement interdit en ZAPI 3. Mais cela ne signifie pas que les voix en transit sont vouées à rester ignorées : une ethnographie de la ZAPI 3 par la participation à de nombreuses permanences juridiques de l’Anafé, des entretiens avec des interprètes qui sont intervenus en zone d’attente et une analyse du cadre juridique et institutionnel de l’interprétation permet d’appréhender la place des pratiques d’interprétation dans l’économie des relations en ZAPI 3 perçue comme un « environnement sonore ». Aussi ne s’agit-il pas « de proposer la description d’un paysage sonore ni d’étudier les relations écologiques ou bioacoustiques entre des êtres et leur milieu, mais bien de comprendre en quoi les relations sonores peuvent constituer des relations sociales » (Féraud, 2010 : 239). Appréhender la ZAPI 3 comme un environnement sonore frontalier, c’est donc ne pas la réduire à « une pure géographie entourant les données langagières » (Boutet, 2008 : 102), et tenter de saisir la place des pratiques d’interprétation comme autant de relations sonores dans le contexte du maintien à la frontière.

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II. Interpréter (à) la frontière

A. La ZAPI 3 comme environnement sonore

6 Selon une approche sensible à la matérialité sonore de la frontière : « Comprendre le son comme une force vibratoire qui affecte la matière qui l'entoure met en évidence non seulement la fonction du son en tant qu'actant à part entière, mais aussi la position du son dans le réseau de relations de pouvoir qui l'enveloppe, le produit et en subit l'impact » (Weitzel, 2018 : 5). Pour comprendre le son comme un « actant » au sein de la ZAPI 3 et le situer ainsi dans le réseau de relations de pouvoir qui s’y déploie, il faut commencer par présenter les principales sources qui structurent l’environnement sonore : les téléphones, les hauts parleurs, les avions.

L’utilisation du téléphone structure des expériences différentes de la privation de liberté selon l’occupation de l’espace, les compétences linguistiques et les possibilités matérielles des personnes.

Des rangées de postes téléphoniques fixés au mur sont réparties dans la ZAPI 3, en particulier aux intersections des couloirs desservant les chambres. Les téléphones portables équipés d’une caméra étant confisqués par la police pendant la durée du maintien, ces postes sont, pour la majorité des personnes, les seuls relais de communication orale avec l’extérieur. Au-delà de quelques appels, la possibilité de continuer à les utiliser est conditionnée à l’achat d’une carte auprès de la Croix-Rouge, et suppose donc de disposer d’argent en espèces ou de bénéficier de la solidarité d’une autre personne maintenue. Les appels peuvent servir à informer des proches, à prendre de leurs nouvelles, ou à tenter de trouver des voies de recours, notamment en contactant un avocat ou la permanence de l’Anafé lorsque celle-ci se tient depuis le siège parisien de l’association. Les téléphones permettent aussi de recevoir des appels, émis par des proches qui rappellent un poste en particulier, ou bien des bénévoles de l’Anafé (ou parfois des avocats) qui appellent au hasard pour proposer une assistance ; dans ce dernier cas, le contact dépend de la présence d’une personne à proximité au moment de l’appel et de sa décision de décrocher. L’utilisation du téléphone structure ainsi des expériences différentes de la privation de liberté selon l’occupation de l’espace, les compétences linguistiques et les possibilités matérielles des personnes.

Les appels s’inscrivent dès lors dans l’environnement sonore plus général de la ZAPI 3. Ces sons peuvent en effet se juxtaposer voire entrer en concurrence : comme le souligne un homme
lors d’une permanence, il peut être difficile de communiquer par téléphone lorsque l’environnement sonore des couloirs est saturé par d’autres appels passés en même temps ou du fait de l’occupation des couloirs, en particulier par des enfants. La position subalterne de ces sons dans le réseau de relations de pouvoir qui les enveloppe, les produit et en subit l’impact est manifeste dès que résonnent les annonces de la police diffusées par les haut-parleurs installés dans les couloirs. La plupart du temps, en effet, les personnes s’interrompent pour écouter l’annonce ou dans l’attente qu’elle cesse afin de se faire entendre de leur interlocuteur.

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Photo: JC Hanché pour le CGLPL

7 Ces annonces sont audibles partout dans la zone d’hébergement de la ZAPI 3, aussi bien dans les espaces communs que dans la relative intimité des chambres. Elles sont destinées à convoquer les personnes maintenues au poste de police, notamment en vue de l’entretien OFPRA, de l’audience au tribunal judiciaire (TJ), de l’accompagnement en salle de visites ou d’une tentative de renvoi vers l’aéroport de provenance ; elles peuvent surgir à tout moment de la journée ou de la nuit. Construites sur un modèle apparemment standard déclinant le nom de la personne et l’injonction à « se présenter au poste de police munies de ses papiers de police et de ses bagages », les annonces n’explicitent jamais le motif de la convocation, et varient dans leur contenu (certains policiers précisant par exemple la nationalité de la personne après son nom), dans la langue utilisée (français ou anglais) et dans leurs traits prosodiques.

Ces signaux unilatéraux exigent une attention constante de la part des personnes, puisqu’ils peuvent annoncer le franchissement d’une étape du parcours administratif ou faire surgir le risque d’un renvoi. Dans la temporalité étirée de l’attente en ZAPI 3, ils représentent l’irruption de l’urgence et de la menace. Aussi ont-ils pu être analysés comme des techniques de gouvernement des corps des personnes maintenues lorsque, intervenant de manière répétée et au milieu de la nuit, ils les privent de repos et réduisent ainsi les possibilités de résistance aux mesures de renvoi (Makaremi 2009).

Tout aussi unilatéral que les annonces diffusées par les haut-parleurs, le bruit des avions est un instrument du « biopouvoir » spécifique de la ZAPI 3

Enfin, la ZAPI 3 est régulièrement traversée par les bruits de décollage des avions. Dus au voisinage immédiat des pistes, ces sons sont dénoncés comme des sources de tension et d’anxiété pour les personnes maintenues (Anafé, 2018 : 120). De ce fait, ils sont des éléments centraux de l’environnement sonore frontalier, puisqu’ils rendent directement sensible aux personnes l’extra-territorialité dans laquelle elles sont maintenues. Une approche ethnographique des politiques britanniques de déportation fait apparaître que « Le fait d'entendre les avions aller et venir rappelait constamment [à la personne retenue] qu'elle était sur le point de partir. En ce sens, l'IRC [Immigration Removal Centre, équivalent britannique du Centre de Rétention Administrative (CRA) français] est déjà un espace de transition où les migrants, bien que se trouvant physiquement au Royaume-Uni, sont contraints de se sentir plus proches de leur pays d'origine » (Hasselberg, 2012 : 106). Cette analyse d’un son structurant un « espace de transition » peut être transposée au « pays de nulle part », où les personnes sont aussi contraintes de se « sentir plus proches de leur pays » d’origine ou de provenance. Tout aussi unilatéral que les annonces diffusées par les haut-parleurs, le bruit des avions est un instrument du « biopouvoir » spécifique de la ZAPI 3 (Makaremi, 2009 : 60) : il est un « actant » sonore à part entière, qui s’impose à tout moment aux personnes et vient leur rappeler l’horizon toujours menaçant de leur renvoi.

En ZAPI 3, les sons sont ainsi étroitement imbriqués dans le réseau des relations de pouvoir selon leur portée, leur source, et leur impact. Dans ces conditions, les interactions langagières elles-mêmes occupent une position dans ce réseau de relations de pouvoir, que leur seul contenu sémantique ne suffit pas à situer. Aussi les actes d’interprétation ne se réduisent-ils pas à la mise en œuvre d’un droit des personnes maintenues non francophones ; ils constituent des relations dans l’environnement sonore de la ZAPI 3 et participent donc à la distribution des positions que les différents sons – et leurs différents émetteurs – occupent dans le réseau des relations de pouvoir.


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Photo Yann Castanier/Hans Lucas

B. Les entretiens OFPRA en ZAPI 3 : l’interprétation au seuil de l’asile

8 Plusieurs situations de recours à un interprète sont prévues dans la procédure ; les cadres, modes, et types d’interprétation se multiplient tout au long du maintien.

Le recours aux interprètes relève dans ce cas, selon un capitaine de police responsable de plusieurs terminaux, du « régime du démerde-toi » 

Un interprète intervient, par téléphone ou en étant présent physiquement en aérogare, lors de la notification par la police du refus d’entrée. Indexé aux exigences administratives (« faire du chiffre »), le recours aux interprètes relève dans ce cas, selon un capitaine de police responsable de plusieurs terminaux, du « régime du démerde-toi » : contrairement à ce qui est prévu dans les appels d’offres passés par le ministère de l’Intérieur, les interprètes censés se déplacer effectuent presque toujours leur prestation par téléphone, afin de faire gagner du temps aux policiers qui rédigent les procès-verbaux. En revanche, les interprètes se déplacent systématiquement lors des audiences devant un juge des libertés et de la détention (JLD) ou auprès du tribunal administratif en cas d’appel à la décision de refus d’admission sur le territoire au titre de l’asile. Comme dans les autres situations d’interprétation judiciaire, l’interprète peut être expert auprès de la cour d’appel de la juridiction, mais pas nécessairement. Dans ce cas, cela implique des critères de sélection moins stricts, puisqu’une simple prestation de serment au moment de l’audience suffit à être habilité.

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9 Mais les situations où le recours à un interprète sont les plus encadrées juridiquement et institutionnellement en ZAPI 3 sont les entretiens de la « Mission de l’asile aux frontières » (MAF) de l’OFPRA. Comme pour les entretiens se déroulant au siège, le « concours » d’un interprète y est devenu extrêmement fréquent, concernant 83% des cas en 2020 (OFPRA 2021). Les entretiens à la frontière sont différents de ceux qui ont lieu au siège : extrêmement brefs pour la plupart, ils ne visent qu’à formuler un avis auprès du ministère de l’Intérieur quant à l’admission sur le territoire du demandeur d’asile maintenu et, de ce fait, ne sont pas censés examiner les motifs de départ. Les officiers de protection (OP) qui les conduisent appartiennent à une division dédiée, et sont donc moins spécialistes des régions de provenance des demandeurs d’asile que des modalités particulières de l’instruction des demandes à la frontière. Enfin, les interprètes n’y interviennent que par téléphone, signe de « l’extra-territorialité » (Maillet 2020) dans laquelle s’inscrivent ces entretiens.

Les interactions interprétées lors des entretiens OFPRA en ZAPI 3 sont configurées par l’objectif d’efficacité gestionnaire au service du contrôle des mobilités qui régit l’action de la mission de l’asile aux frontières de l’Office.

L’OFPRA est responsable de ces entretiens d’admission au titre de l’asile depuis 2003, quand la loi française intègre les nouvelles notions du droit d’asile (en particulier celle de demande manifestement infondée) et fait de l’Office le « guichet unique de l’asile » (Djegham 2011). Devenu « une véritable usine de prise de décisions » selon son directeur de l’époque, l’OFPRA est alors étroitement intégré au dispositif général de contrôle et d’expulsion des étrangers, puisque « Les agents du ministère des Affaires Étrangères (puis de l’OFPRA à partir de 2004), gardiens du droit d’asile en zone d’attente, semblent plutôt travailler dans une logique de gardiens des frontières » (Clochard, 2007 : 353). Si l’interprétation est formalisée dans le dispositif avec la loi de 2003, qui prévoit la systématisation de l’intervention d’un interprète lors des entretiens ainsi que la mise en marchés publics des lots de langues à interpréter, c’est également avec elle que cesse l’obligation de la présence physique des interprètes en ZAPI 3.

Dès lors, les interactions interprétées lors des entretiens OFPRA en ZAPI 3 sont configurées par l’objectif d’efficacité gestionnaire au service du contrôle des mobilités qui régit l’action de la mission de l’asile aux frontières de l’Office. Cette instrumentalisation s’opère sur le plan sonore : les policiers sont souvent audibles à travers la porte ou la fenêtre des bureaux de la
mission de l’asile aux frontières. De plus, l’interprétation par téléphone contribue fortement à l’isolement des demandeurs d’asile, notamment parce qu’elle empêche les mécanismes d’identification : cette décontextualisation des sons contribue ainsi à la confusion ressentie par de nombreux demandeurs d’asile quant à la diversité des rôles et des affiliations des acteurs de l’interaction. Elle accentue encore leur « vulnérabilité linguistique » (Määttä, Puumala, et Ylikomi 2020). Enfin de nombreux demandeurs d’asile témoignent auprès de l’Anafé de la brièveté de leur entretien, et de la tendance des OP et des interprètes à imposer un format resserré et accéléré à leurs propos. Ce trait typique de l’« entextualisation » (Jacquemet 2009) des paroles en corpus administratif est renforcé par l’utilisation du téléphone ; les interprètes doivent en effet fournir davantage d’efforts pour garantir la compréhension, ce qui entraîne une accélération du rythme prosodique (Määttä et Wiklund 2019). Le « format bureaucratique » de l’entretien de demande d’asile (Maryns, 2006), s’il déforme le contenu subjectif des propos des demandeurs, détermine aussi largement les vibrations sonores qu’ils sont en mesure de produire. Abrégées, brusquées : la matérialité sonore même de ces productions marque leur position minorée dans l’environnement sonore de la ZAPI 3 et, partant, celle des personnes qui les émettent.

L’interprétation dans les entretiens de l’OFPRA en ZAPI 3 fournit ainsi un exemple de la diminution des droits des demandeurs d’asile dans cet espace du fait de son extra-territorialité, telle qu’elle se traduit dans le réseau sonore des positions de pouvoir. En témoignent certaines retranscriptions des entretiens où l’officier de protection note en italique que « l’intéressé utilise un terme en [langue] incompris par l’interprète », ou « 
Incompréhension interprète », ou encore « Réponse incompréhensible selon l’interprète », avant d’aborder un autre point du récit du demandeur. Ces remarques dénotent une tolérance à l’incompréhension inenvisageable dans le cadre des entretiens au siège de l’Office.

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BIG Photo: J.C. Hanché pour le CGLPL

C. Des interprètes mobilisés dans l’action associative

10 Mais les pratiques d’interprétation ne sont pas circonscrites aux rencontres institutionnelles prévues par la procédure. L’Anafé sollicite par exemple des interprètes bénévoles pour des interventions ponctuelles par téléphone. L’action militante est souvent limitée pour eux à ces prestations et relève donc d’une forme particulière d’investissement. Si des travaux ont décrit la subjectivation de personnes exilées par le biais de leur rôle d’interprète pour la structure associative dont elles étaient initialement elles-mêmes bénéficiaires (Pian 2017), ce genre de trajectoire ne se retrouve pas au sein des associations présentes en zone d’attente.

« J’ai expliqué OQTF à Monsieur, parce que ce n’est pas la première fois que je travaille avec des policiers »

A l’Anafé, la fonction d’interprète prévaut ainsi sur celle de bénévole, ce qui s’explique par l’importance des besoins en interprétation, surtout dans certaines langues. Ces interprètes bénévoles ont un rôle de médiation bien plus important que celui des interprètes professionnels (Navarro, Benayoun, et Humbley 2016). Il arrive que certains fournissent spontanément des explications aux personnes maintenues, une interprète indiquant par exemple « J’ai expliqué OQTF à Monsieur, parce que ce n’est pas la première fois que je travaille avec des policiers ». Certains prodiguent même des conseils, comme une interprète en langue russe sollicitée pour communiquer avec un homme dont le « réacheminement » pour lui et sa famille est imminent, et qui déclare : « Je lui ai donc conseillé de refuser d’embarquer ».

Si les situations d’interprétations prévues par la procédure ont un format très normé, les interactions interprétées
ad hoc, lors des permanences de l’Anafé occupent des positions diverses dans l’environnement sonore de la ZAPI 3. Le bureau de l’association est une ancienne chambre divisée en deux parties non cloisonnées où chacun des deux bénévoles reçoit les personnes ; c’est aussi la seule pièce de la ZAPI 3 dont les fenêtres – avec des barreaux – peuvent être ouvertes. Les permanences se déroulent dans un environnement sonore complexe : l’attention des personnes maintenues et des bénévoles est partagée entre les appels téléphoniques (dans les couloirs ou le bureau), les échanges eux-mêmes, les coups frappés à la porte, les bruits de décollage des avions (surtout quand la fenêtre est ouverte), et l’irruption des injonctions policières via les haut-parleurs déployés dans les couloirs.

La pluralité de ces signaux sonores provoque une hiérarchisation de l’écoute. Dans ces conditions, le haut-parleur du téléphone est en effet rarement activé, ce qui empêche la coprésence des interlocuteurs. Le geste du demandeur d’asile devant se boucher une oreille pour percevoir la voix de l’interprète, émanant du
téléphone collé à l’autre oreille, au milieu de tous les autres signaux sonores, est ainsi emblématique de l’imbrication de l’interprétation dans la hiérarchie des sons en ZAPI 3 dès lors qu’elle n’est pas exécutée dans un cadre institutionnel. Pour se faire entendre, il est ainsi parfois nécessaire de hausser la voix et de tendre l’oreille.

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III. Se faire entendre au pays de nulle part

A. Les enjeux glottopolitiques de l’interprétation 

11 L’environnement sonore frontalier de la ZAPI 3 est donc dominé par les productions policières et administratives qui s’imposent via le dispositif technique des haut-parleurs et à travers le calendrier procédural. La répartition des actes d’interprétation semble reconduire exactement cette asymétrie, puisque des interprètes ne sont sollicités que dans le cadre des rencontres institutionnelles ou, éventuellement, dans le cadre des permanences associatives où sont élaborés les recours. Mais cette indexation ne rend pas compte de la diversité réelle des acteurs et des pratiques de l’interprétation. En effet, celle-ci n’est pas uniquement l’objet d’une politique linguistique ; elle est aussi un terrain d’actions glottopolitiques. La politique linguistique est décidée et mise en œuvre par l’État, qui cherche à « organiser la diversité linguistique » (Blanchet, 2012 :17). Le concept de glottopolitique amène en revanche à dépasser le seul niveau normatif de la langue pour saisir aussi les pratiques langagières – d’où la racine glotto, qui évite d’entrer dans une distinction entre langue et parole.

Appréhender les écarts entre les normes relatives à l’interprétation – qui définissent notamment le statut des interprètes et le cadre de leur intervention – et les manières dont ces normes sont effectivement mises en œuvre

La glottopolitique s’extrait du cadre statocentré pour mettre en lumière la diversité des acteurs, puisque ce concept « englobe à la fois les politiques concertées et les relais, conscients ou inconscients, actifs ou passifs, de ces politiques » (Guespin & Marcellesi, 1986 : 15). Ce concept permet ainsi d’analyser à la fois l’échelle macro-sociolinguistique des politiques linguistiques et l’échelle micro-sociolinguistique des pratiques langagières qui se positionnent par rapport à elles, et donc « d’englober tous les faits de langage où l’action de la société revêt la forme du politique » (ibid : 5). Appliquée aux actes d’interprétation, cette perspective théorique invite ainsi à appréhender les écarts entre les normes relatives à l’interprétation – qui définissent notamment le statut des interprètes et le cadre de leur intervention – et les manières dont ces normes sont effectivement mises en œuvre.

Le « régime du démerde-toi » dans les postes de police en aérogare, s’il semble se conformer à l’obligation de recourir à un interprète, montre ainsi que l’interprétation est avant tout mise au service de la performance administrative poursuivie par la PAF. La gestion de l’interprétation dans le cadre des entretiens de la mission de l’asile aux frontières de l’OFPRA en ZAPI 3 pose aussi ce genre de questions : si le recours systématique à un interprète pour les personnes non francophones est imposé par la loi, nulle disposition juridique ne prescrit (ni ne proscrit) l’usage systématique du téléphone. Il s’agit donc d’un choix institutionnel, indexé à la mission de l’OFPRA de trier les demandeurs se présentant à la frontière ; le téléphone lui-même devient ainsi l’instrument et le signe de cette mise à distance des personnes maintenues.

Puisqu’ils relèvent de la capacité à se faire entendre, à la fois dans le sens de se faire comprendre et de se faire ouïr, les actes d’interprétation en ZAPI 3 s’articulent avec les relations de pouvoir qui émergent dans l’environnement sonore. Dès lors, s’ils peuvent être indexés aux logiques policières et administratives, ils peuvent aussi devenir un champ de décision, voire d’action.


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Photo: J.C. Hanché pour le CGLPL

12. Les interprètes intervenant dans le cadre des entretiens OFPRA se positionnent ainsi différemment quant à l’utilisation systématique du téléphone. Certains interprètes, s’ils reconnaissent que cela représente une difficulté technique, considèrent par ailleurs que c’est « exactement la même chose qu’à Fontenay », c’est-à-dire au siège de l’OFPRA où ils se déplacent. D’autres ne sont même pas nécessairement conscients du cadre dans lequel ils interviennent, comme le montre la question posée par un interprète à la fin d’un entretien, qui demande « où » l’échange vient d’avoir lieu.

« Mais je ne peux pas, humainement parlant, faire ça tout le temps, ça me… Ce serait lourd pour moi d’un point de vue émotionnel »

Enfin, plusieurs interprètes expriment de la réticence voire de la réprobation, comme le raconte l’une d’entre elles : « Tu ne peux pas savoir comment est la personne au bout du fil, et là réside une difficulté pour l’interprète d’aborder l’entretien, parce que l’entretien il ne se limite qu’à un rendu auditif, et pour moi en tant que [prénom de l’interprète], même si je fais ce travail, il n’y a pas de souci, je peux le faire, je l’ai déjà fait, j’ai déjà traduit par téléphone, j’ai fait des entretiens téléphoniques… Mais je ne peux pas, humainement parlant, faire ça tout le temps, ça me… Ce serait lourd pour moi d’un point de vue émotionnel ». Cette interprète voit dans la limitation de l’interaction « à un rendu auditif » une épreuve « émotionnelle », difficile « humainement ». Dès lors, elle critique la norme encadrant son intervention, et se montre consciente de l’asymétrie sonore dans laquelle se trouvent les demandeurs d’asile en ZAPI 3, considérant – de même que plusieurs autres interprètes – qu’il est « inhumain » de mener des entretiens d’asile dans ce contexte. Ces réactions à la mise à distance produite par le dispositif téléphonique montrent donc que les interprètes professionnels eux-mêmes ne sont pas de simples opérateurs techniques : à l’échelle individuelle, ils se représentent différemment la position qui leur est assignée dans l’environnement sonore de la ZAPI 3.

L’interprétation peut même faire l’objet d’une interdiction, signe de sa relation étroite avec la position des acteurs dans l’environnement sonore. Dans un article collectif, une chercheuse (Maillet, Mountz, et Williams 2017) rapporte la situation suivante : elle a accès à la ZAPI 3 au titre de son affiliation à Human Rights Watch, ce qui implique qu’elle est uniquement autorisée à visiter les bâtiments. Contrairement aux bénévoles de l’Anafé – dont l’action est encadrée par une convention de 2004 entre l’association et le ministère de l’Intérieur –, il lui est interdit de s’occuper des « situations individuelles » des personnes maintenues. Lors d’une visite, alors qu’elle passe au bureau de l’Anafé, se présentent des personnes maintenues souhaitant témoigner de violences policières ; mais, ne trouvant aucune langue véhiculaire avec les bénévoles présents, ceux-ci sollicitent la chercheuse pour interpréter. Consciente des problèmes que sa décision peut causer à son association et donc des risques que cela implique quant à sa propre accréditation à visiter la ZAPI 3, elle accepte néanmoins. Le choix d’interpréter ou non renvoie ainsi directement au positionnement de la chercheuse au sein de l’environnement sonore : puisque cette position lui interdit formellement de faire entendre les voix des personnes maintenues, son intervention risque d’entraîner son exclusion de la ZAPI 3.

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Photo: J.C. Hanché pour le CGLPL

B. Trouver sa voix

13 Les personnes maintenues elles-mêmes font évidemment preuve d’agentivité dans les rapports langagiers. Cela peut d’abord passer par l’adaptation. Lors de leur entretien avec l’OFPRA, certains demandeurs d’asile préfèrent employer le français qui, s’il n’est pas leur langue première, leur permet d’éviter la configuration technique et dialogique d’interprétation par téléphone ; une demandeuse d’asile togolaise choisit par exemple délibérément de s’exprimer en français, consciente de ses moindres compétences dans cette langue que dans sa langue première, le mina. Ce choix, s’il découle de motivations multiples – liées notamment à la légitimité attribuée à la langue française dans le champ administratif –, relève ainsi d’un contournement de la mise à distance imposée par l’OFPRA.

Certaines personnes maintenues réussissent à trouver par elles-mêmes des interprètes
ad hoc pour se faire entendre, notamment lors des permanences de l’Anafé. Il peut s’agir de proches contactés par téléphone ou de personnes présentes en ZAPI 3. Le recours à ces tiers soulève des difficultés quant à leur compétence (ne serait-ce qu’au plan linguistique, quand des variétés différentes d’une langue sont concernées) et leur positionnement, notamment lorsque la personne détaille des éléments personnels de son récit. Mais il ouvre aux personnes non francophones un espace dans l’environnement sonore qu’elles n’auraient pas pu occuper autrement.

Enfin, certaines personnes maintenues peuvent investir le rôle d’interprète
ad hoc dans l’espoir d’une plus grande agentivité vis-à-vis de leur situation administrative, que cela soit dans une perspective d’aide, de distraction, ou de distinction par rapport aux autres personnes maintenues. Durant une permanence de l’Anafé, un homme maintenu, après avoir assuré l’interprétation entre le français et l’arabe algérien pour la préparation de plusieurs personnes à leur entretien OFPRA, affirme sur le ton de l’humour qu’au bout d’une semaine de cet exercice il serait prêt « à travailler chez [n]ous ». Après l’avoir remercié, je l’invite à indiquer aux personnes qu’il croiserait la possibilité de se rendre à la permanence ; toujours sur le même ton, il me demande si, ce faisant, « [on allait lui] mettre plein de plus » en mimant le geste de tracer des signes d’appréciation sur une feuille.

A travers son rôle d’interprète, cet homme a ainsi cherché à remettre en cause la position qui lui était assignée dans l’environnement sonore frontalier

Situant confusément l’action associative du côté de l’autorité administrative, cet homme se place vis-à-vis de cette dernière et des autres personnes maintenues dans une position ambiguë, telle qu’elle a pu être étudiée dans des cntextes de subalternation extrême où les compétences linguistiques offrent, sur fond d’enjeux éthiques et identitaires complexes, une voie d’agentivité (voire de survie) à travers le rôle d’intermédiaire (Hajjar 2000; Wolf 2013). A travers son rôle d’interprète, cet homme a ainsi cherché à remettre en cause la position qui lui était assignée dans l’environnement sonore frontalier.

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14 Si des actions de résistance face au cadre institutionnel d’interprétation peuvent émerger au sein de la ZAPI 3, elles semblent en revanche impuissantes face à l’événement qui est toujours à l’horizon du maintien dans ce lieu : le « réacheminement » forcé, c’est-à-dire l’embarquement sous contrainte des personnes sur un vol vers leur aéroport de provenance. Ces événements, pour lesquels il est difficile de recueillir des témoignages, peuvent aussi se produire lors de l’expulsion des personnes placées en Centre de rétention administrative, au terme de la « spirale de l’enfermement » dont de nombreuses personnes maintenues en ZAPI 3 font l’expérience. Dès lors, l’espace de l’avion ne s’inscrit pas directement dans l’environnement sonore de la ZAPI 3, mais apparaît comme une possibilité toujours menaçante.

Lors du renvoi forcé, c’est la capacité phonatoire de la personne qui devient l’objet de techniques de gestion policière

Aussi, à la différence de la situation en ZAPI 3, l’environnement sonore ne peut-il plus y être investi que selon deux pôles : soit le silence résigné ou sidéré, soit la résistance par le cri. Le cri comme moyen d’attirer l’attention des passagers ou du personnel de bord de l’avion. La personne est alors réduite à sa stricte « vocalité » (Féraud 2010), c’est-à-dire au seul acte d’user de sa voix à un niveau infrasémantique. Lors du renvoi forcé, c’est la capacité phonatoire de la personne qui devient l’objet de techniques de gestion policière. Décrivant la position contrainte dans laquelle est placée une personne sur son siège pour l’empêcher de résister à son expulsion, un policier parle d’une « procédure » visant à « empêcher le raccompagné d’inspirer suffisamment d’air pour pouvoir crier et prendre à partie les autres passagers » (Maugendre 2004). Cette technique de coercition totale visant à réduire la personne à un corps inerte fait de la respiration même l’enjeu du contrôle policier.

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Photo: Julien Jaulin/Hans Lucas

C. L’interprétation, ou le partage du dicible

15 La ZAPI 3 appréhendée comme un environnement sonore apparaît ainsi comme l’espace charnière d’un « partage du sensible » (Rancière 1995). Dans cet environnement sonore asymétrique dominé par la police, l’horizon du renvoi forcé est aussi celui du cri inarticulé. Cet ordre policier ne renvoie pas simplement aux institutions de maintien de l’ordre de l’appareil d’État mais, en suivant la définition de Rancière, à la police en tant que « la distribution des places et fonctions et les systèmes de légitimation de cette distribution ».

Telle parole est entendue comme du discours et telle autre comme du bruit

En effet : « La police est, en son essence, la loi, généralement implicite, qui définit la part ou l’absence de part des parties. Mais pour définir cela, il faut d’abord définir la configuration du sensible dans lequel les unes et les autres s’inscrivent. La police est ainsi d’abord un ordre des corps qui définit les partages entre les modes du faire, les modes d’être et les modes du dire, qui fait que tels corps sont assignés par leur nom à telle place et à telle tâche ; c’est un ordre du visible et du dicible qui fait que telle activité est visible et que telle autre ne l’est pas, que telle parole est entendue comme du discours et telle autre comme du bruit » (Rancière, 1995 : 52). La répartition des actes d’interprétation dans l’environnement sonore de la ZAPI 3 conduit en effet la parole à y être soit « entendue comme du discours », soit comme « du bruit ». Mais ce partage entre la parole dans le seul cadre institutionnel ou le cri comme ultime voie de résistance est remis en question par la diversité des actes d’interprétation, qui opèrent des réagencements des positions dans l’environnement sonore de la ZAPI 3.

Dans la perspective ouverte par Rancière, on pourrait ainsi considérer ces actes comme autant d’écarts vis-à-vis d’une glottopolice qui y occupe une position dominante. Si le terme de glottopolitique « 
est nécessaire pour englober tous les faits de langage où l'action de la société revêt la forme du politique » (Guespin et Marcellesi 1986), celui de glottopolice de l’interprétation dénoterait les cadres et les pratiques indexés sur le partage du sonore constitutifs de l’ordre sonore administrativo-policier en ZAPI 3. Il faudrait alors comprendre les glottopolitiques par opposition à la glottopolice, c’est-à-dire relevant de la logique politique « qui suspend cette harmonie [de la distribution opérée par la police] par le simple fait d’actualiser la contingence de l’égalité, ni arithmétique ni géométrique, des êtres parlants quelconques » (Rancière, 1995 : 60). C’est bien une telle redistribution des positions au sein de l’environnement sonore frontalier qu’opèrent les multiples actions glottopolitiques d’interprétation qui se déploient en ZAPI 3. Cette « suspension » de l’harmonie qui vient manifester la « contingence » de l’égalité des voix repose sur la « subjectivation » des êtres qui refusent « l’identification » qui leur est assignée. Une identification telle que la décrit et la rejette une personne maintenue qui lâche, lors d’une permanence de l’Anafé, qu’elle aimerait « jeter [s]a nationalité à la poubelle » et qu’elle accepterait, si on le lui proposait, de « prendre un vol pour Mars » ou d’être « lâché[e] depuis un hélicoptère au-dessus de l’océan et finir à la nage jusqu’en Amérique ou au Canada ». Face à la radicale disparition du sujet assigné à une identité inadmise, les actes glottopolitiques d’interprétation apparaissent comme autant de possibles contrepoints à cette harmonie policière.

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Photo: J.C. Hanché pour le CGLPL

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Notes

17

1 Par la loi dite « Quilès » de juillet 1992. Pour une généalogie fine et détaillée de la zone d’attente, voir Maillet (2020), à qui nous empruntons ici d’importantes analyses sur la structuration de cet espace.

2 Déployée à partir de 2003 à tous les lieux dans lesquels les personnes non admises sont susceptibles de se rendre au cours de leur maintien (lieux de soin, tribunal), elle peut, depuis 2011, être instaurée partout où se trouve un groupe d’au moins dix personnes catégorisées comme « inad » – pour inadmissible, terme forgé par l’IATA (International Air Transport Association) et couramment utilisé par les agents de la Police aux Frontières (PAF) – dès lors qu’elles sont entrées sans traverser un point de passage frontalier.

3 Expression utilisée par l’Anafé. Voir notamment Makaremi (2007).

4 Zone d’Attente pour Personnes en Instance. Le numéro fait écho aux précédentes zones d’attente instituées à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle avant la ZAPI 3 en 2001, notamment dans les hôtels et le CRA à proximité.

5 Association Nationale d’Assistance aux Frontières pour les Étrangers, qui a signé une convention avec le ministère de l’Intérieur en 2004 et dispose d’un bureau en ZAPI 3 pour effectuer des permanences d’assistance juridique aux personnes maintenues.

6 Dont les « médiateurs » sont présents en ZAPI 3 depuis 2003 afin d’apporter un « soutien humanitaire aux personnes », notamment par la gestion des modalités pratiques de leur maintien.

7 En dépit des nombreuses oppositions de la part de syndicats d’avocats, de magistrats, d’associations de défense des droits étrangers.

8 En effet, « L'autorité administrative met un interprète à la disposition des étrangers maintenus en zone d'attente qui ne comprennent pas le français, dans le seul cadre des procédures de non-admission dont ils font l'objet. Dans les autres cas, la rétribution du prestataire est à la charge de l'étranger. Lorsque l'assistance d'un interprète se fait par téléphone ou un autre moyen de télécommunication, son nom, ses coordonnées et la langue utilisée sont mentionnés dans le procès-verbal, dont une copie est remise à l'étranger. » CESEDA, article R343-1.

9 Juridiction administrative de plein contentieux chargée d’examiner les recours aux décisions formulées par l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) quant aux demandes d’asile que ce dernier instruit en première instance.

10 Carnet de terrain, 23/10/2020.

11 « Understanding sound as a vibrational force that affects matter around it highlights not only sound’s function as an actant in its own right, but also sound’s positionality within the network of power relationships that envelop it, produce it, and are impacted by it » (traduction personnelle).

12 Carnet de terrain, permanence du 26/11/2021.

13 Sur « la peur des envahisseurs en culotte courte ou le choix de l’enfermement des enfants » en zone d’attente, voir Anafé (2020 : 56-63).

14 Les permanences téléphoniques de l’Anafé qui amènent à contacter les personnes en ZAPI 3 par le biais de ces téléphones permettent d’observer de manière particulièrement fréquente et directe ces phénomènes d’interruption.

15 Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides, établissement public administratif en charge de l’application des textes français et des conventions européennes et internationales relatifs à la reconnaissance de la qualité de réfugié, d’apatride et à l’admission à la protection subsidiaire.

16 En plus de variations dans le ton employé, les noms des personnes sont ainsi très souvent prononcés sur un mode inhabituel pour elles, voire caricatural. Voir notamment (Anafé 2018, 2020).

17 « Hearing the planes coming and going was a constant reminder that he was about to leave. In that sense the IRC is already a transitional space where migrants, although physically in the UK, are compelled to feel themselves closer to their country of origin » (traduction personnelle).

18 Visites de l’aérogare de Roissy-Charles-de-Gaulle du 26/05/2021 et du 15/06/2021.

19 Adoptée par le Conseil européen en 1992 (résolutions de Londres), cette notion stipule que « Constitue une demande d'asile manifestement infondée une demande qui, au regard des déclarations faites par l'étranger et des documents le cas échéant produits, est manifestement dénuée de pertinence au regard des conditions d'octroi de l'asile ou manifestement dépourvue de toute crédibilité en ce qui concerne le risque de persécutions ou d'atteintes graves », CESEDA, article L352-1.

20 Archives administratives de l’OFPRA, DIR 1/52 (cote « Activités de l’Office »), bilan de fin de mission rédigé par le directeur (M. Raimbaud), 20/01/2003.

21 Accompagnement à un entretien OFPRA, 15/04/2021.

22 C’est-à-dire l’enregistrement, dans un contexte institutionnel, des paroles en un texte (retranscription) : ce texte est alors déconnecté de son contexte de production local, et « révèle comment les agents publics, confrontés à l'altérité intrinsèque des demandeurs d'asile, s'appuient sur une connaissance tirée du sens commun, mais parfois inappropriée, des valeurs sociales, culturelles et linguistiques pour construire, traiter et finalement déterminer la validité de chaque demande » (Jacquemet, 2009 : 525).

23 Carnet de terrain, permanence du 17/03/2021.

24 Carnet de terrain, permanence du 27/10/2021.

25 Sur son site, l’Anafé propose à des « interprètes bénévoles » d’intervenir pour l’association en précisant : « Toutes les langues sont les bienvenues ! Nul besoin d’être un.e interprète professionnel.le ! ». La primauté est accordée à l’action linguistique, la formation juridique étant facultative pour ces bénévoles : « L’Anafé peut – sur demande de l’interprète bénévole – dispenser une formation sur la zone d’attente et les enjeux aux frontières et remettre une attestation de bénévolat » (je souligne). Voir http://anafe.org/spip.php?article10 (consulté le 11/05/2021).

26 Carnet de terrain, permanence téléphonique du 28/08/2021. L’obligation de quitter la France (OQTF) est une décision prise par le préfet qui contraint l’étranger à quitter la France, éventuellement de manière forcée à expiration du délai de départ « volontaire ».

27 C’est-à-dire le renvoi de la personne vers son aéroport de provenance, selon la terminologie de la PAF.

28 Carnet de terrain, permanence du 28/07/2021.

29 Ibid.

30 Conversation avec un interprète, octobre 2020.

31 Conversation avec une bénévole de l’Anafé, septembre 2021.

32 Entretien avec une interprète, 27/02/2021.

33 Entretiens du 11/09/2020, du 27/02/2021 et du 15/11/2021, avec trois interprètes.

34 Accompagnement à un entretien d’asile à la frontière, 13/07/2021.

35 Carnet de terrain, permanence du 01/03/2021.

36 On peut toutefois en lire dans les rapports produits par l’Anafé, comme dans Anafé (2018 : 30 ; 2021 : 190). Il est important de souligner que la récurrence des pratiques de réacheminement forcé varie selon les zones d’attente.

37 Voir notamment (Anafé 2020) pour des témoignages de personnes renvoyées.

38 Référencée dans le lexique institutionnel comme « Gestes Techniques Professionnels en Intervention » (GTPI).

39 Carnet de terrain, permanence du 19/04/2021.

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https://www.antiatlas-journal.net/pdf/antiatlas-journal-05-marechal-voix-aeriennes-pratiques-interpretation-en-instance-dans-la-zone-attente-aeroport-roissy-charles-de-gaulle.pdf

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