antiAtlas Journal #5 - 2022

FRONTEX, SYMPTÔME DU
« SYNDROME D'EXPULSION » DE L'UE

Sarah Zellner

Résumé : Frontex facilite les expulsions par voie aérienne des États européens, en augmentant le champ d'action des exécutifs nationaux et en s'adaptant aux infrastructures nationales d'expulsion. Cet article montre également comment l'agence s'intègre dans un système européen qui fixe des objectifs d’expulsion et évalue l'agence sur des résultats chiffrés. L'article documente une infrastructure d'expulsion aérienne polymorphe où les voies nationales, bilatérales et européennes se complètent pour supprimer la mobilité des migrant·es.

Sarah Zellner est titulaire d'une maîtrise en sciences politiques de l'Université de Fribourg et de Sciences Po Aix, ainsi que d'une MSc en études sur les réfugiés et la migration forcée de l'Université d'Oxford. Son intérêt pour les politiques de contrôle des migrations découle d'années de travail aux côtés de migrant·es.

Mots-clés : Frontex, expulsions par voie aérienne, européanisation, droits fondamentaux, migration.

antiAtlas Journal #5 "Expulsions par voie aérienne"
Dirigé par William Walters, Clara Lecadet et Cédric Parizot
Design graphique : Thierry Fournier
Secrétariat de rédaction : Maxime Maréchal

antiAtlas Journal
Directeur de la publication : Jean Cristofol
Directeur de rédaction : Cédric Parizot
Directeur artistique : Thierry Fournier
Comité de rédaction : Jean Cristofol, Thierry Fournier, Anna Guilló, Cédric Parizot, Manoël Penicaud

Photo illustrant un communiqué de presse de Frontex à l’occasion de la première « opération de retour conjointe » de retour « volontaire » coordonnée par Frontex en 2020, Frontex, 2020a. Le choix du motif, le soleil rappelant un départ en vacances, illustre la manière dont le soi-disant retour volontaire est euphémisé par les autorités, dont Frontex.

Pour citer cette article: Zellner, Sarah, "Frontex, symptôme du « syndrome d'expulsion » de l'UE", publié le 1er juin 2022, antiAtlas #5 | 2022, URL: https://www.antiatlas-journal.net/05-buettiker-kretzen-luethi-operation-automne-noir/, dernière consultation le Date

Introduction

1 Récemment, l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes a de nouveau fait l'objet d'un examen public concernant son implication dans les refoulements systématiques aux frontières extérieures de l'Union européenne (UE) –  où les gens se voient violemment refusé le droit de demander l'asile (Christides et al., 2021; Cossé, 2021; Frontex Scrutiny Working Group, 2021). On parle moins de l'implication de l'agence dans les expulsions par voie aérienne que du rôle de l'agence aux frontières maritimes et terrestres de l'UE (Gkliati, à paraître). Si le rôle de Frontex aux frontières mérite une attention continue, il est également pertinent d'examiner l'implication de l'agence dans les procédures d'expulsion par voie aérienne, compte tenu des deux récents extensions de son mandat à cet égard, qui ont mué Frontex en une « agence des retours » (Carrera et coll., 2017 : 47, traduit par l'autrice).

Une infrastructure d'expulsion par voie aérienne exposée à des changements fréquents

Le présent article explore le rôle de l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes –  ci-après désignée par son acronyme Frontex ou par « l'agence » –  au sein de l'infrastructure d’expulsion par voie aérienne de l'UE. Je me penche notamment sur la manière dont les États membres de l'UE et les pays associés à l'espace Schengen font appel au soutien de Frontex pour leurs expulsions par charter et les interactions entre les États membres et l'agence. Cette recherche a débuté fin 2019 par une étude exploratoire sur le rôle de Frontex dans l'organisation des vols charter. Des charters sont des expulsions effectuées par des avions spéciaux sans passager·es régulier·es à bord. Le soutien à leur organisation faisait partie du mandat initial de Frontex (Règlement (CE) n° 2007/2004 du Conseil [2004] JO L 349) en vertu duquel l'agence assiste les États membres avec les opérations de retour conjointes (Joint Return Operations, JRO), des vols où plusieurs pays européens procèdent à des expulsions dans un même avion. Outre l'aide aux JRO, le règlement initial mentionnait également l'identification des « meilleures pratiques » en matière d'obtention de documents de voyage et de « retour », ainsi que des cours de formation au « retour » à l'intention des fonctionnaires des États membres (ibid.). Bien que je parle surtout des vols charter, mes recherches ont également permis de rendre compte d'une infrastructure d'expulsion par voie aérienne soumise à des changements fréquents. Je manque de données sur le soutien « pré-retour » que fournit l'agence, un aspect qui pourrait faire l'objet de nouvelles recherches plus approfondies.

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2 Bien qu'il existe déjà une abondante littérature sur Frontex, un certain nombre d'activités de l'agence demeure largement inexploré. Une revue systématique de la littérature note que « certaines tâches ont reçu une attention empirique limitée (par ex., la mise en œuvre des retours forcés) et la quasi-totalité de son champ d'action est examinée sur la base de données documentaires, de telle sorte que la recherche ethnographique et les ensembles de données d'entretiens pourraient nous aider à mieux saisir comment le personnel de Frontex traduit les politiques en pratique » (Kalkman, 2021 : 169, traduit par l'autrice). Cet article contribue à combler ces lacunes, car il étudie le rôle joué par l'agence dans les expulsions aussi bien sur la base de données documentaires que sur l'examen du matériel provenant d'entretiens. Récemment, plusieurs rapports révélateurs sur Frontex et les expulsions par voie aérienne ont été publiés, illustrant l'intérêt émergent pour ce sujet. Pascaline Chappart (2019 ; 2020) a montré, entre autres, que les tentatives de vols européens communs d'expulsion sont antérieures à l'existence de l'agence. Le rapport de Statewatch (Jones, Kilpatrick et Gkliati, 2020) ainsi que leur Observatoire Frontex constituent de riches sources pour de futures recherches, car les chercheur·ses ont compilé une base de données accessible au public sur les expulsions par charter coordonnées par Frontex. L'un·e des auteur·rices du rapport Statewatch, Mariana Gkliati (à paraître), a discuté des implications du mandat étendu de Frontex sur les « retours » en matière de droits fondamentaux. Plusieurs rapports du projet « Advancing Alternative Migration Governance » (ADMIGOV) (Lemberg-Pedersen et Halpern, 2021 ; Kalir et coll., 2021) ont fait la lumière sur le recours de différents États membres à Frontex. Cependant, leur rapport consacré à Frontex (Lemberg-Pedersen et Halpern, 2021) est principalement basé sur des entretiens avec des fonctionnaires danois·es et allemand·es, alors que le présent article s'appuie sur les expériences d'autres pays et sur une base de données différente.

Cet article contribue à combler ces lacunes, car il étudie le rôle joué par l'agence dans les expulsions aussi bien sur la base de données documentaires que sur l'examen du matériel provenant d'entretiens

Cet article répond à plusieurs débats dans la littérature, premièrement l'européanisation des politiques migratoires, deuxièmement les études sur l'expulsion et troisièmement les limites des politiques étatiques d’expulsion. La littérature sur l'européanisation « vise à comprendre comment les politiques nationales sont façonnées et modifiées en fonction de l'intégration européenne » (Ette, 2017 : 50, traduit par l'autrice). Comme l'affirment Florian Trauner et Ariadna Ripoll Servent (2018 : 12, traduit par l'autrice), « nous avons besoin de recherches plus fouillées sur la façon dont les outputs des politiques de l'UE donnent lieu à des outcomes ; autrement dit, si la mise en œuvre se matérialise et de quelle manière ». Un large consensus se dégage dans la littérature sur l'européanisation que ce processus renforce les exécutifs nationaux. Cependant, parfois, les chercheur·ses ont fait valoir que certaines institutions européennes peuvent également imposer des contraintes « libérales » aux États membres (Bonjour, Ripoll Servent et Thielemann, 2017 ; Slominski et Trauner, 2014 ; Ette, 2017). Librement inspirée des travaux de Peter Slominski et Florian Trauner (2018), je me concentre sur les usages et les non-usages de « l'offre » de Frontex par les États membres. Cet article s'intéresse uniquement aux pratiques, et non aux changements législatifs qui interviennent au niveau national.

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3 Je soutiens que Frontex facilite les expulsions par voie aérienne des États européens, en augmentant le champ d'action des exécutifs nationaux et en s'adaptant aux infrastructures nationales d'expulsion. Si l'européanisation du contrôle des migrations affecte les infrastructures nationales d'expulsion, les pratiques nationales et bilatérales prévalent toujours sous le label Frontex. Les États membres s'approprient l’« offre Frontex » de différentes manières. Plutôt que d'expliquer ces différences, cet article apporte un éclairage sur comment fonctionne l'infrastructure d'expulsion aérienne de l'UE. La « super-agence » Frontex s'intègre dans un système européen qui exige d'elle efficacité et efficience. Enfin, l'article documente une infrastructure polymorphe où les voies nationales, bilatérales et européennes se complètent pour exclure les « migrants indésirables ». Le terme « migrants indésirables » est tiré des travaux de Slominski et Trauner (2018, traduit par l'autrice). Je le considère symptomatique de la manière dont les autorités européennes abordent la mobilité migratoire.

Les voies nationales, bilatérales et européennes se complètent
pour exclure les
« migrants indésirables »


Dans ce qui suit, j'aborde les considérations méthodologiques, car je considère que les difficultés que j'ai rencontrées au cours de mes recherches constituent des informations utiles à l'analyse de Frontex. Je fais ensuite une synthèse de l'extension du mandat statutaire de Frontex pour documenter l'évolution de l'infrastructure d'expulsion par voie aérienne. La section suivante traite de la manière dont divers pays se prévalent de « l'offre » de Frontex, démontrant à la fois les différences entre les États et la circulation des pratiques pour montrer comment Frontex accroît le champ d'action des exécutifs nationaux. J'explore ensuite la manière dont la pratique de Frontex s'inscrit dans un système européen exigeant qu'elle soit à la fois efficace et efficiente dans son contrôle des mouvements migratoires, tout en soulignant que Frontex dépend également de certains États membres pour que l'agence puisse apparaître « efficace ». En conclusion, je soutiens que l'évolution du mandat de Frontex et la manière dont les États membres se l'approprient sont symptomatiques d'une infrastructure d'expulsion en constante évolution.

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Enquêter sur un environnement tenu secret

4 La présente recherche s'appuie sur des données d'entretiens, des sources juridiques et des rapports d'organismes européens, d'autorités nationales et d'ONG. Autrement que la plupart des études existantes, j'ai mené 26 entretiens semi-structurés avec 30 personnes interrogées, dont des membres du personnel du ministère français de l'Intérieur, de la police aux frontières française et de Frontex. J'ai rencontré des assistant·es parlementaires et des conseiller·es politiques du Parlement européen et du Parlement allemand, qui ont travaillé sur les règlements de Frontex, ainsi que des représentant·es d'ONG, dont un ancien membre du Forum consultatif de Frontex. Le Forum consultatif est composé d'agences de l'UE, d'organisations internationales et d'ONG et est censé conseiller Frontex en matière de droits fondamentaux, bien que cela soit rendu difficile car le Forum manque de capacités, de temps et n'est qu'insuffisamment informé par l'agence (Karamanidou et Kasparek, 2020 : 7, 47-48). Seul le ministère belge de l'Intérieur a répondu à mes questions par écrit. Je m'appuie également sur des demandes d'accès à l'information adressées à l'agence dans le cadre de ce projet de recherche et sur des documents publics ou ayant fait l'objet de fuites. Mon analyse est donc largement axée sur les États membres du Nord, bien que je fasse parfois référence à d'autres États. Cet article se concentre exclusivement sur les expulsions par voie aérienne et principalement sur les vols charter, et non sur les opérations aux frontières maritimes ou terrestres de l'UE ou dans les pays tiers. Il n'aborde donc pas le rôle de Frontex dans les pushbacks et pullbacks au cours de ces opérations, auquel je ne pourrais pas rendre justice. Je suis toutefois d'accord avec Martin Lemberg-Pedersen et Oliver Joel Halpern (2021 : 19) qui problématisent la distinction nette entre les « retours » d'une part, et les pushbacks et pullbacks, de l'autre.

Un vol d'expulsion « réussi » peut faire l'objet d'une annonce publique, mais ses modalités
sont souvent occultées


La recherche sur les expulsions est confrontée à de multiples difficultés. Si les autorités ne cachent pas complètement les opérations d'expulsion – après tout, les expulsions ont une importante fonction symbolique et de communication (Le Courant, 2018) – leur visibilité est essentiellement contestée. Un vol d'expulsion « réussi » peut faire l'objet d'une annonce publique, mais ses modalités sont souvent occultées. Les rapports rendus publics sont soignés et omettent de nombreuses informations concrètes, « reproduis[ant] des personnes comme un problème technique » (Reid-Henry, 2013 : 217, traduit par l'autrice). Si les données tirés de mes entretiens vont au-delà de ce genre de comptes-rendus, je ne peux que m'appuyer sur la volonté de mes interlocuteur·rices de partager des informations, et trianguler les informations provenant de différentes sources. Il semble que les vols charter soient particulièrement difficiles à étudier en raison de leur nature contestée (Walters, 2016). Ils sont controversés en raison de l'absence de passager·es « régulier·es », de leur fonction dissuasive, de l'association avec les expulsions collectives interdites par le droit international et de l'impératif de rentabilisation des vols qui peut conduire à « interpeller toutes ces personnes dans un temps réduit pour pouvoir les mettre dans ce ce charter »  (Entretien de l'autrice avec une représentante de l'ONG La Cimade, février 2020). Lorsque l'on compare les statistiques sur les expulsions de différentes sources, elles correspondent rarement. Il existe des différences entre les statistiques publiées par Frontex suite aux demandes d'accès aux documents ou dans des rapports, les statistiques de la base de données que Statewatch a compilées sur la base des demandes adressées à l'agence, les données d'Eurostat et les données publiées par les autorités nationales ou les chercheur·ses. Je me base principalement sur les statistiques obtenues directement auprès de l'agence par le biais de demandes d'accès aux documents.

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5 Les documents de Frontex sont accessibles à travers des demandes d'accès aux documents au titre du Règlement 1049/2001 ([2001] JO L 145). Selon l'article 7 du règlement, « les demandes d'accès aux documents sont traitées avec promptitude ». Cependant, ces demandes peuvent prendre plusieurs semaines, voire des mois. Certains des documents que j'ai reçus étaient tellement censurés qu'ils n'avaient que peu de valeur informative, si ce n'est qu'ils indiquaient que quelque chose ne devait pas être divulgué. Par exemple, j'ai demandé toutes les « Analyses mensuelles relatives au retour » (26 documents au total), chacune de ces analyses faisant quatre pages. Plus de deux pages par rapport ont été entièrement censurées. Selon les justifications de Frontex, des données personnelles, des données opérationnelles ou des informations relatives à la coopération avec des pays non-membres de l'UE, entre autres, avaient été supprimées. L'accès aux documents de Frontex est devenu encore plus difficile, car l'agence a commencé à gérer son propre portail, au lieu de répondre directement aux demandes sur des plateformes comme « asktheEU », où les documents publiés restent accessibles au public. L'agence prétend avoir un droit d'auteur sur les documents publiés, interdisant toute publication sans son autorisation préalable. Cela est contre-intuitif, car ces documents ont été publiés pour satisfaire aux obligations de transparence prévues par le droit européen. Enfin, le format de nombreux documents publiés, sous forme de fichiers PDF sans fonction de recherche, a contribué aux difficultés d'analyse des statistiques de l'agence. Il semble que l'accès à Frontex, y compris pour des interviews, soit devenu plus difficile au fil du temps, en particulier lorsque le bureau de presse de l'agence est impliqué. Immédiatement avant de soumettre cet article pour publication, le service de presse de Frontex m'a interdit de citer directement un entretien avec un haut fonctionnaire de l'agence. Auparavant, le bureau avait insisté pour qu'on lui montre le projet d'article. L'interview – que je n'ai pas le droit de citer – soutient les principales conclusions de cet article (pour des difficultés similaires : Lemberg-Pedersen et Halpern, 2021 : 15-19).

Immédiatement avant de soumettre cet article à la publication, le service de presse de Frontex m'a interdit de citer directement l'interview d'un haut fonctionnaire de l'agence

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Fig. 1 : La clause de non-responsabilité que Frontex ajoute à toutes ses réponses à des demandes d’accès aux documents, Frontex, réponse à une demande d’accès aux documents soumise dans le cadre de ce projet de recherche, 2020.

6 Ma recherche est limitée par ce manque d'informations. De plus, ma période d'entretiens était proche de l'entrée en vigueur du dernier mandat de l'agence, fin 2019 (Règlement (UE) 2019/1896 [2019] JO L 295). Il n'est donc pas surprenant que l'agence soit encore en train de mettre en œuvre le dernier règlement au moment de la rédaction du présent article, étant donné l'augmentation de ses prérogatives. Une grande partie de ses opérations est en mouvement, également parce que de nouveaux plans et communications de l'UE sur le « retour » ont été adoptés entre-temps. Enfin, il y a beaucoup d'acteurs auxquels je n'ai pas pu parler, surtout les expulsé·es elles et eux-mêmes. Il est donc difficile de montrer l'impact des expulsions sur les personnes concernées. Chaque expulsion, quelle que soit sa forme, est une intervention brutale dans la vie d'un individu. Seuls les ONG, les sources médiatiques et les rapports de monitoring donnent un aperçu du profil sociologique des personnes expulsées ou de la violence perpétrée lors des expulsions (cf. le rapport de l'ONG La Cimade (2019) sur les interpellations violentes de la police lors d'une expulsion par voie aérienne coordonné par Frontex vers la Géorgie).

Je m'abstiens d'utiliser le terme « retour » et utilise plutôt « expulsion »  ou « éloignement (forcé) », sauf pour les termes figurant dans les statuts de Frontex, tels que « opération de retour conjointe » ou lorsqu'il s'agit de ce qui est qualifié de retour « volontaire ». Je conçois les « expulsions » comme synonyme de « renvoi forcé » (Majidi et Schuster, 2019 : 89). Si le terme « retour » est constamment utilisé par les autorités, il a une fonction euphémique, car il normalise le retour comme une « composante intrinsèque » de la migration (Genova, Lecadet et Walters, 2018, traduit par l'autrice) et occulte les différences entre le véritable retour et le renvoi forcé (Cassarino, 2020). Le terme « retour » évoque également des associations faussement positives, car il est considéré comme l'une des trois solutions durables pour les réfugié·es, à côté de la réinstallation et l'intégration locale (Chimni, 2004 ; Majidi et Schuster, 2019). Par conséquent, je fais référence aux renvois en tant qu’« expulsions », au lieu de présumer que « retour » serait le terme approprié, même si le mandat de Frontex inclut les soi-disant « départs volontaires » depuis 2016 et les « retours volontaires » depuis 2019.

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Le mandat de l'Agence : une infrastructure d'expulsion en constante évolution

7 Les deux derniers règlements Frontex, adoptés en 2016 et 2019, illustrent la volonté des législateurs de l'UE d'étendre les capacités de l'agence, y compris en ce qui concerne les expulsions par voie aérienne. Le mandat de l'agence s'est étendu depuis ses débuts en 2004 pour devenir en 2019 capable de soutenir toute forme de tâche liée à l'expulsion, à l'exception de la prise des décisions de retour qui relève de la seule responsabilité des États membres (Frontex, 2021a : 9). Cela permet de répartir les responsabilités entre l'agence et les États. Il semble que la « gestion intégrée des frontières » soit ce sur quoi les législateurs de l'UE peuvent s'accorder, contrairement à d'autres formes de coopération au sein de la Justice et des Affaires intérieures (pour un large aperçu du mandat de Frontex : Meissner, 2021). Cependant, à plusieurs reprises, la législation n'a fait que codifier formellement ce que Frontex avait déjà commencé à faire dans la pratique (Chappart, 2019; Jones, Kilpatrick et Gkliati, 2020). Cette présentation non exhaustive du mandat relatif aux expulsions par voie aérienne fournit le contexte des sections suivantes (pour plus de détails : Lemberg-Pedersen et Halpern, 2021 ; Jones, Kilpatrick et Gkliati, 2020).

Le mandat de l'agence s'est étendu depuis ses débuts en 2004 jusqu'à ce qu'elle soit capable, en 2019, de soutenir toute forme de tâche relative aux expulsions

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Fig. 2 : Auto-présentation du Centre européen pour les retours de l’agence. Graphique, Frontex, 2021b. Technique, efficace et diversifié : le graphique est révélateur à la fois de la variété des activités que le Centre européen pour les retours rassemble et de la manière dont il représente des expulsions comme un processus neutre. Les expulsions sont optimisées par une agence qui crée des « pools d’experts », partage les « informations » et les « meilleures pratiques » et « numérise » les expulsions. Comme souvent avec les communications de Frontex, il est difficile de déchiffrer l’impact sur les personnes derrière les icônes fléchées et la communication soignée.

8Alors que Frontex est devenu le symbole d'une évolution vers les expulsions par vols charter (Chappart, 2020), le mandat de Frontex couvre désormais le soutien à toute forme d'expulsion par voie aérienne – forcée et « volontaire » (voir illustration 3), par charter et vol régulier. Le dernier règlement Frontex stipule que l'agence doit « apporter une assistance à tous les stades du processus de retour » (Règlement (UE) 2019/1896, art. 10), même l'assistance consécutive aux retours (ibid., art. 48). Ainsi, l'agence ne couvre pas seulement le soutien opérationnel du vol d'expulsion lui-même. Elle est également impliquée dans les activités « préalables au retour » comme l'identification et la documentation des ressortissant·es non européen·nes ainsi que la numérisation des procédures d'éloignement par le développement de plateformes européennes et nationales, d'infrastructures de communication et de systèmes de gestion des retours (ibid.). Le positionnement de l'agence au centre de la « gestion intégrée des retours » de l'UE (ibid.) est également évident dans la mesure où elle reprend plusieurs projets intergouvernementaux et financés par l'UE, notamment EURINT (Initiative européenne de gestion intégrée des retours), ERRIN (Réseau européen pour le retour et la réintégration) et EURLO (Officiers de liaison chargés des questions de retour) (Jones, Kilpatrick et Gkliati, 2020 : 31).

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9 Si l'on compare le nombre de vols charter et de vols réguliers, la plupart des expulsions par voie aérienne coordonnées par Frontex sont encore effectuées par des vols charter (Frontex, 2021a : 57), bien que l'agence soutienne de plus en plus de vols réguliers. Les vols réguliers représentaient 40 % de toutes les expulsions aériennes soutenues par Frontex au cours du premier semestre 2021 (Frontex, 2021d : 4). D'après les résultats de mes entretiens, cela signifie que les fonctionnaires peuvent réserver des billets d'avion pour les renvois par vol régulier par le biais de la Frontex Application for Return (FAR), une plate-forme de communication développée par l'agence. Ces billets sont payés par Frontex. Pour les vols charter, l'agence couvre également une grande partie des coûts. En outre, un·e représentant·e de l'agence est souvent présent·e à bord. L'agence peut affréter des avions pour ces vols. Les échanges préalables entre les États et l'agence, mais aussi les échanges interétatiques, sont réalisés par le biais de la FAR. Depuis 2016, l'agence est chargée de constituer des réserves d'escortes de retour, de contrôleur·ses de retour (forced return monitor) et de spécialistes du retour (déployés par les États membres) (Règlement (UE) 2016/1624 [2016] JO L 251, art. 29-31) pour les opérations et interventions de retour. Le règlement de 2019 a de nouveau modifié cette structure en raison de la création d'un corps permanent de 10 000 membres d'ici 2027, dont 3 000 agents statutaires de Frontex. Le corps permanent et une partie du personnel statutaire comprennent également des agents d'escorte et d'appui au retour forcé ainsi que des spécialistes du retour. L'agence disposera ainsi de son propre contingent pour les expulsions par voie aérienne. Alors que les contrôleur·ses de retour forcé sont toujours déployé·es à partir du bassin de réserve, il y aura également 40 agents de Frontex chargé·es des droits fondamentaux qui pourront être déployé·es pour les expulsions aériennes (Règlement (UE) 2019/1896, art. 5, 55, 110, annexe I ; Jones, Kilpatrick et Gkliati, 2020).

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Fig. 3 : Photo illustrant un communiqué de presse de Frontex à l’occasion de la première « opération de retour conjointe » de retour « volontaire » coordonnée par Frontex en 2020, Frontex, 2020a. Le choix du motif, le soleil rappelant un départ en vacances, illustre la manière dont le soi-disant retour volontaire est euphémisé par les autorités, dont Frontex.

Fig. 4 : Coût moyen par vol charter coordonné et financé par Frontex. Graphique, Sarah Zellner, 2021, sur la base d’un graphique publié par Frontex en réponse à une demande d’accès aux documents soumise pour ce projet de recherche, 2020.

10 En ce qui concerne les vols charter, le mandat de l'agence a été étendu. Depuis son premier mandat, l'agence a soutenu les opérations de retour conjointes (Joint Return Operations, JRO), où plusieurs États européens procèdent à des expulsions utilisant un même avion. Depuis 2016, le mandat de Frontex comprend également les opérations de retour nationales (National Return Operations, NRO), où un seul pays procède à l'expulsion, et les opérations de retour par collecte (Collecting Return Operations, CRO), où le pays non-membre de l'UE « collecte » ses ressortissant·es avec ses propres escortes et/ou avion. Cependant, le soutien de l'agence aux NRO et aux CRO est antérieur à sa base juridique (Jones, Kilpatrick et Gkliati, 2020), ce qui n'est qu'un exemple de la manière dont les pratiques de l'agence ont été formalisées ultérieurement par la législation européenne. Pour chaque vol charter coordonné par Frontex, il y a un État membre organisateur (Organising Member State, OMS). Si d'autres pays participent à l'opération avec des personnes expulsées, ils sont appelés États membres participants (Participating Member State, PMS). Si Frontex organise elle-même le vol, il doit toujours y avoir un État membre chef de file (Lead Member State). Il y a également eu une évolution progressive vers plus d'initiative pour l'agence, ce qui témoigne de la tendance générale de la législation à accroître l'autonomie de l'organisation. Au départ, l'agence pouvait « fourni[r] l'assistance nécessaire » pour les vols d'expulsion (Règlement du Conseil (CE) No 2007/2004, art. 9), puis les coordonner et les organiser (Règlement (UE) n° 1168/2011 [2011] JO L 304, art. 9) et enfin proposer des opérations de retour aux États membres (Règlement (UE) 2016/1624, art. 28). Ces termes n'ont toutefois jamais été définis dans le mandat, ce qui a laissé place à l'interprétation de l'agence. Par exemple, en 2015, l'agence a « invité » la Grèce à effectuer un vol charter d'expulsion vers le Pakistan (Frontex, 2015b), alors qu'elle n'était compétente pour engager de tels vols qu'à partir de 2016.

En ce qui concerne la coopération avec les pays hors UE et les expulsions par voie aérienne, l'agence peut déployer ses propres officiers de liaison dans les pays non-membres de l'UE depuis 2011 (Règlement (UE) n° 1168/2011, art. 14). Depuis 2016, l'agence peut aider à obtenir des documents de voyage et à identifier les ressortissant·es de pays tiers (Règlement (UE) 2016/1624, art. 27). Cependant, des expert·es des États membres et des agents de Frontex avaient déjà été envoyé·es dans d'autres États membres en vue du « renforcement des capacités de retour » comme l'identification et la documentation, lors de précédentes opérations coordonnées par l'agence aux frontières extérieures de l'UE, par exemple en Grèce, en Espagne, à Malte ou en Bulgarie (Frontex, 2007 : 12-13 ; Frontex, 2010 : 26-27 ; Frontex, 2011 : 37 ; Amnesty International et ECRE, 2010 : 11-12). La proposition de la Commission pour le règlement de 2019 visant à permettre à Frontex de procéder à des expulsions de pays non-membres de l'UE vers d'autres pays hors UEnon liés par le droit de l'UE (par exemple de la Serbie vers l'Afghanistan) a été abandonnée lors des négociations avec le Parlement européen. Cela étant, comme le démontrent des documents de Frontex (2019, traduit par l'autrice), Frontex est depuis longtemps active dans les pays non-membres de l'UE, où elle mène des activités liées aux expulsions, notamment « en aidant les pays cibles à intégrer des procédures d'identification et de filtrage dans leurs systèmes nationaux ».

L'extension du mandat de l'agence a contribué à une augmentation des éloignements (via des vols charters et réguliers) soutenus par l'agence

L'on peut constater que l'extension du mandat de l'agence a contribué à une augmentation des éloignements (via des vols charter et réguliers) soutenus par l'agence. « En 2015, sur les 72 839 personnes qui ont été renvoyées de manière forcée [de l'UE vers un pays tiers], moins de 5 % ont fait l'objet d'une opération de retour conjointe de l'UE » (Slominski et Trauner, 2018 : 108, traduit par l'autrice). Cette situation a évolué dans une certaine mesure en raison des augmentations frappantes des expulsions par charter soutenues par Frontex en 2016 et, à nouveau, en 2017. Cela étant, les « opérations de retour » soutenues par Frontex, par vol charter ou régulier, ne constituent toujours qu'une fraction des renvois des États membres, représentant en 2019 10 % et en 2020 20 % de tous les « retours effectifs » de l'UE vers des pays tiers, selon l'agence (Frontex, 2021a: 29). Toutefois, ces chiffres de l'UE sur le « retour » doivent être traités avec précaution car ils varient considérablement. On ne sait pas très bien sur quelles données ils se basent, ces chiffres ne tiennent pas compte des refoulements illégaux aux frontières, et ces statistiques ne sont pas apolitiques mais sont utilisées par les autorités pour clamer l’« inefficacité » des politiques de contrôle migratoire et appeler à des mesures de plus en plus restrictives (Carrera et Allsopp, 2018).

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Fig. 5 : : Vols charter, vols réguliers et opérations de réadmission soutenus par l’agence. Graphique, Sarah Zellner, 2021, basé sur les rapports annuels 2010-2020 de Frontex.

Usages et non-usages de l'Europe : exemples illustratifs

11Peu est connu sur la manière dont les États membres expulsent les « migrants indésirables » (Slominski et Trauner, 2018 : 101, traduit par l'autrice). Les seules communications de l'agence ne permettent pas de savoir ce que cela signifie lorsqu'elle « coordonne » ou « organise » des vols charter, ni comment certaines pratiques circulent entre les États et l'agence, ni comment les routes et les corridors d'expulsion sont façonnés et routinisés. Cette section soutient que l'élargissement du mandat de l'agence – à la fois par une extension du mandat légal et par sa propre interprétation, qui a souvent précédé la codification légale – a permis l'adaptabilité de « l'offre des services de Frontex » à l'infrastructure d'expulsion aérienne des États membres. Cette vue d'ensemble souligne certains aspects clés de l'utilisation de Frontex par les États membres, mais n'est en aucun cas exhaustive (voir également Lemberg-Pedersen et Halpern, 2021 : 33-43). Comme mentionné au début, je me concentre principalement sur les vols charter coordonnés par Frontex. Lorsque l'on analyse les données relatives aux éloignements coordonnés par Frontex, il apparaît clairement que l’« offre de Frontex » est acceptée à des degrés divers par les États membres. Les fonctionnaires nationaux peuvent choisir de quoi ils veulent se servir dans l'offre de Frontex et se plaignent s'ils considèrent que certains « services » ne sont pas utiles. Certains États, comme le Danemark, font moins appel à l'agence car ils la perçoivent comme inappropriée dans le contexte danois (Lemberg-Pedersen et Halpern, 2021). Dans ce qui suit, je discute de contre-exemples illustratifs, basés sur les statistiques de Frontex afférentes aux années 2017 à 2019.

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12 Dans l'ensemble, si l'on prend en compte les vols charter, Frontex est devenue une agence d'expulsion allemande. L'utilisation par l'Allemagne de l’« offre Frontex » reflète l'augmentation des expulsions par voie aérienne soutenues par l'agence. Alors que le nombre d'expulsions coordonnées par Frontex par vol charter est resté relativement stable jusqu'en 2015 (Slominski et Trauner, 2018 : 108), cela a changé en 2016.

Dans l'ensemble, si l'on prend en compte les vols charter, Frontex est devenue une agence d'expulsion allemande.

Alors qu'au cours de l'année 2015, l'Allemagne avait expulsé 1 327 personnes par vol charter coordonné par Frontex, 7 041 personnes ont été expulsées d'Allemagne sur des vols charter Frontex en 2016, 8 808 en 2017 et 6 808 en 2018. L'agence finançant les opérations de retour nationales (National Return Operations, NRO) à partir de 2016 est importante pour expliquer cette augmentation (3 656 personnes expulsées d'Allemagne sur des NRO en 2016, c'est-à-dire des vols coordonnés par Frontex qui ne comprenaient que des personnes expulsées d'Allemagne), mais pas seulement, car le recours de l'Allemagne aux opérations de retour conjointes (Joint Return Operations, JRO) a également augmenté de manière spectaculaire (3 385 personnes expulsées d'Allemagne sur des JRO, des vols coordonnés par Frontex avec des personnes expulsées de plusieurs pays en 2016) (Bundesregierung, 2019 ; Frontex, 2019c; Frontex, réponse à une demande d'accès aux documents dans le cadre de ce projet de recherche, 2020).

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Fig. 6: L’évolution du nombre d’expulsions depuis l’Allemagne sur les vols charter de Frontex reflète l’évolution des expulsions sur l’ensemble des vols charter coordonnés par Frontex. Graphique, Sarah Zellner, 2021, basé sur les rapports annuels de Frontex 2014-2018 ; Bundesregierung, 2019 ; Frontex, 2019c et des données publiées par Frontex en réponse à une demande d’accès aux documents soumise pour ce projet de recherche, 2020. 

13 Bien que l'Allemagne s'appuie fortement sur Frontex et sur les vols charter comme outil d'expulsion à grande échelle et ciblée, cela n'a pas nécessairement conduit à une augmentation des expulsions effectuées sur des vols charter depuis l'Allemagne (terme allemand : Sammelabschiebungen, les chiffres allemands ne couvrent que les vols qualifiés par le gouvernement d'Abschiebungen). Il semble que l'Allemagne avait déjà organisé de nombreuses expulsions par vols charter au niveau national en 2015 sans le soutien de Frontex. Lorsque Frontex a commencé à financer les expulsions par charter avec des expulsé·es d'un seul pays en 2016 (National Return Operations, NRO), l'Allemagne a commencé à s'appuyer sur Frontex pour la quasi-totalité de ses expulsions par charter (Sammelabschiebungen) à partir de 2017 (Bundesregierung, 2019 : 5) (comme indiqué précédemment, il existe de petites expulsions nationales par charter qui ne figurent pas dans les données du gouvernement). Un grand nombre des vols qui figurent dans les statistiques de Frontex comme des opérations de retour conjointes (Joint Return Operations, JRO) organisées par l'Allemagne sont des vols d'expulsion avec uniquement des expulsé·es d'Allemagne à bord. En 2017, par exemple, sur les 69 JRO organisées par l'Allemagne, seules 10 incluaient des expulsé·es d'autres États membres (Frontex, réponse à une demande d'accès aux documents dans le cadre de ce projet de recherche, 2020). Les statistiques de Frontex peuvent être trompeuses à cet égard. À partir de 2016, l'agence a dénombré les vols impliquant plus d'un pays comme des JRO, par exemple lorsqu'un autre pays fournissait un·e contrôleur·se de retour forcé (même si « seulement » un pays procédait à l'expulsion sur ce vol). En 2020, l'agence a de nouveau modifié ses statistiques et n'a compté que les vols charter impliquant des expulsé·es de plus d'un pays comme des JRO. Si l'exemple allemand illustre ainsi une certaine « re-nationalisation » du vol charter commun, l'Allemagne participe aussi fréquemment (avec des personnes expulsées) à des JRO organisés par d'autres pays européens.

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Fig. 7 : Depuis 2015, l’Allemagne s’est de plus en plus appuyée sur les charters pour les renvois forcés (en allemand : Sammelabschiebungen, ces chiffres sur les vols charter ne couvrent que les Abschiebungen, sans compter les Zurückweisungen (à la frontière) et Zurückschiebungen). Graphique, Sarah Zellner, 2021, basé sur Bundesregierung, 2020.

14 Avec le soutien de Frontex, l'Allemagne organise à la fois des vols charter de grande capacité avec plus de cent expulsé·es, vers les Balkans occidentaux et l'Europe de l'Est, mais aussi des vols charter très petits. Ce qui est remarquable, c'est la façon dont, ces dernières années, l'Allemagne a organisé des expulsions par charter coordonnées par Frontex vers de plus en plus de pays, y compris de nombreux pays en conflit, comme l'Afghanistan et la Somalie (Statewatch, 2020). De futures recherches pourraient explorer si l'implication de l'agence, et en particulier son financement des vols charter, pourrait avoir influencé cette focalisation allemande sur les vols charter comme instrument d'expulsion et l'augmentation des « destinations » des vols charter coordonnés par Frontex organisés par l'Allemagne ces dernières années (voir illustration 8).

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15 Une analyse du recours aux services de l'agence par la France (2017-2019) donne une image très différente, où se distingue un parcours d'expulsion routinier. En chiffres, l'utilisation par la France de « l'offre Frontex » n'est pas comparable à celle de l'Allemagne. En 2018, la France a expulsé 1 075 personnes sur des vols charters coordonnés par Frontex (DCPAF, réponse à une demande d'accès aux documents soumise dans le cadre de ce projet de recherche, 2020). Cependant, l'exemple français met en avant une pratique d'expulsion spécifique. À partir de 2017, la France a organisé un vol d'expulsion presque hebdomadaire vers l'Albanie, fréquemment avec plusieurs personnes expulsées de Belgique et prenant la forme d'une opération de retour par collecte (Collecting Return Operation, CRO). En plus de la France, au cours de la période examinée (2017-2019), l'Allemagne est le seul autre pays à organiser régulièrement des CRO, bien que d'autres États, et plus particulièrement la Belgique, participent à ces vols (Frontex, réponse à une demande d'accès aux documents soumise dans le cadre de ce projet de recherche, 2020 ; Entretien de l'autrice avec des policiers français, février et mars 2020).

« Les vols qu’on organise de façon hebdomadaire à Lille, ils ont pour vocation première de désengorger le Calaisis qui souffre […] d’une pression migratoire albanaise très importante […] et ces vols hebdomadaires majoritairement concernent des adultes célibataires qui vont être contrôlés dans la région de Calais, placés en rétention à Calais ou à Lille […]. Le major Y […], il est en capacité toutes les semaines de traiter une vingtaine de cas de ressortissants albanais interpellés les jours précédents et retenus […] au CRA de Calais» (Entretien de l'autrice avec l'agent de police français 1, mars 2020).

"Si demain, on me demandait de monter un vol en Géorgie, moi-même, j’aurai pas assez de Géorgiens pour rentabiliser l’appareil "

Alors que la France n'a participé qu'occasionnellement à des vols charter organisés par d'autres pays au cours de la période examinée, la citation de ce fonctionnaire français interrogé résume bien les raisons derrière les opérations de retour conjointes :

« [O]n va pouvoir sans affréter un gros appareil, bénéficier d’un gros appareil affrété par un pays voisin pour organiser régulièrement le départ de 5, 6 personnes. […] Donc là, mon collègue finalise une participation française à un vol allemand qui se déroulera le 5 mars, et les prochains qui vont se dérouler le 23 avril, le 19 mai et le 4 juin […] vont nous […] permettre finalement […] d’éloigner […] une vingtaine de Géorgiens. Sont des Géorgiens qu’on va aller chercher dans les centres de rétention. […] [S]i demain, on me demandait de monter un vol en Géorgie, moi-même, j’aurai pas assez de Géorgiens pour rentabiliser l’appareil » (Entretien de l'autrice avec l'agent de police français 1, mars 2020).

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16 Les opérations de retour par collecte (Collecting Return Operations, CRO) sont des vols charter où le pays tiers « collecte » ses ressortissant·es dans son propre avion et/ou avec ses propres escortes. Elles impliquent donc non seulement une coordination avec les autres États expulsants et Frontex, mais aussi l'externalisation de l'expulsion elle-même vers le pays tiers, sous le regard d'un·e contrôleur·se de retour forcé et d'un·e représentant·e de l'État membre organisateur (Règlement (UE) 2019/1896, art. 50). Compte tenu de l'intérêt hautement asymétrique de l'expulsion entre le pays expulsant et le pays « receveur » (Coleman, 2009), il n'est pas surprenant que les CRO n'aient été organisées qu'avec un nombre limité de pays. Ceux-ci ont tous un intérêt particulier à coopérer avec l'UE, à savoir l'Albanie, la Géorgie, la Serbie, l'Ukraine, la Macédoine et le Monténégro (Point de contact français du Rem, 2018 ; Gkliati, à paraître). Lorsque ces opérations ont eu lieu pour la première fois avec le soutien de Frontex, elles ont été présentées par l'agence comme « le nouveau mode de retour » (Frontex, 2014 : 18, traduit par l'autrice). Elles sont présentées comme une solution miracle en termes de coûts, d'efforts d'organisation (pas de travail sur les permis de débarquement) et parce qu'elles ne nécessitent pas d'escorte nationale par le pays expulsant. De plus, les autorités avancent qu'elles permettraient une transmission des « normes européennes »  aux escortes des pays non-UE impliqués et faciliteraient la communication entre les expulsé·es et les escortes (Frontex, sans date a). Selon l'agence, ce concept émane des États membres, mais il a été généralisé par l'agence qui forme les escortes pour la participation à ces CRO, tout récemment les escortes moldaves (Frontex, 2021a : 60-61). Apparemment, les premiers vols de ce type sous la coordination de Frontex ont été organisés par l'Allemagne vers la Géorgie en 2013 (Frontex, 2016a). Depuis lors, la France et l'Allemagne sont devenues les principaux pays organisateurs de CRO. Pour les fonctionnaires français (Entretiens par l'autrice, février et mars 2020), c'est l'agence qui a inauguré cette pratique d'expulsion et l'externalisation de l'expulsion vers des escortes de pays tiers est perçue comme le principal avantage. D'après un fonctionnaire français,

«[c]e sont des vols qui sont entièrement financés par Frontex, […] que Frontex a passé des accords également avec les pays d’origine, donc avec des escorteurs du pays [...] d’origine […]. […] Et ces vols de grande capacité […] sont très intéressants pour nous, un parce que c'est moins mobilisateur en forces de l’ordre dans la mesure où il y a des escorteurs des pays d’origine, deux, on a une garantie sur le respect des droits humains parce que avec Frontex sont embarqués à la fois un médecin, un […] membre du style ombudsman, défenseur des droits, dépendant de […] Frontex qui s’assure que toutes les opérations se font dans le respect du droit des […] personnes, un […] traducteur et des représentants des pays […] d’accueil et des représentants des autorités diplomatiques […]. Et puis en termes de […] coût […], ce sont des avions généralement de, [...] ce sont des gros porteurs, hein. En termes de coût, […] ça soulage effectivement le […] budget national» (Entretien de l'autrice avec un fonctionnaire du ministère de l'Intérieur français, février 2020).

Le pays tiers « collecte » ses ressortissant·es

Pour les chercheur·ses qui se penchent sur les expulsions des migrant·es, cette pratique ne semblera pas sans précédent, car l'Allemagne a régulièrement utilisé des escortes de pays non-membres de l'UE lors d'expulsions via des vols commerciaux auparavant (Ellermann, 2006 : 302), et la France a utilisé des escortes de pays tiers au moins une fois en 2003 lors d'une expulsion par charter vers le Sénégal (Assemblée nationale, 2003 : 90). Les diverses formes de délégation de la force pendant les vols d'expulsion, que ce soit vers d'autres pays ou vers des escortes privées, parfois fournies par les compagnies aériennes, mériteraient une enquête plus détaillée (Majidi et Schuster, 2019 : 100).

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17 Alors que les fonctionnaires français interrogés ont souligné qu'ils n'auraient pas besoin de l'agence pour affréter des avions (Entretiens de l'autrice avec des fonctionnaires de la police française, février 2020), les statistiques les plus récentes de l'agence montrent que l'OFII (Office français de l'immigration et de l'intégration) a effectivement fait appel aux services d'affrètement de Frontex pour certains vols (retours/départs «  volontaires ») en 2020 (Frontex, réponse à une demande d'accès aux documents soumise dans le cadre de ce projet de recherche, 2022). Bien que le mandat de Frontex permette d'affréter des avions, l'agence ne l'a pas fait de manière extensive jusqu'à présent. Frontex a affrété 13 avions pour des expulsions par voie aérienne en 2019, dont quatre pour des opérations de réadmission de la Grèce vers la Turquie en vertu de l'accord UE-Turquie (Frontex, 2020b : 38). Non seulement Frontex peut affréter des avions, mais parfois d'autres États ont affrété des avions pour des États qui ne disposaient pas de cette capacité. Par exemple, lorsque la Grèce et l'Italie manquaient d'avions en 2016 (Frontex, 2017a : 23-24), d'autres États membres ont affrété des avions pour leurs vols d'expulsion, ou des dispositions ont été prises pour que les vols d'expulsion coordonnés par Frontex fassent une escale en Grèce ou en Italie. Bien entendu, il ne s'agit là que d'exemples. Comme nous l'avons vu précédemment, le rôle de l'agence va bien au-delà du seul vol d'expulsion, en particulier aux frontières extérieures de l'UE. En Grèce, l'agence est, entre autres, impliquée dans l'approche dite « hotspot » et les opérations de réadmission en vertu de l'accord UE-Turquie, pour lesquelles elle affrète des avions, des autocars et des navires et déploie des escortes. L'agence fournit également un « soutien préalable au retour », comme le déploiement de spécialistes du retour et la numérisation du système de gestion des dossiers de retour de la Grèce (Cour des comptes européenne, 2019 ; Frontex, 2021a : 59-60, 75 ; Lemberg-Pedersen et Halpern, 2021). Comme indiqué tout au long de cet article, il est difficile de séparer les opérations de « retour » de l'agence de ses opérations frontalières dans les pays situés aux frontières extérieures de l'UE.

« Nous [Frontex] envoyons des experts en matière de retours dans différents États membres pour mettre en place ces systèmes [systèmes de gestion des cas de retour] [...]. Cela se fait soit à la suggestion [de Frontex], soit à la demande de l'État membre, qui doit bien sûr l'accepter : Belgique, Italie, Grèce, pour ce que je sais. » (Entretien de l'autrice avec un fonctionnaire de Frontex, février 2020, traduit par l'autrice).

Non seulement Frontex peut affréter des avions, mais parfois d'autres pays ont affrété des avions pour le compte d'États qui n'avaient pas cette capacité

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18 La Belgique fournit un autre exemple instructif du fait que le soutien de Frontex aux expulsions varie d'un pays à l'autre (période examinée : 2017-2019). Si la Belgique a occasionnellement organisé des vols charter coordonnés par Frontex, elle a plus fréquemment participé aux opérations d'autres pays, par exemple aux vols charter susmentionnés organisés par la France. Selon un fonctionnaire belge, le pays n'organise pas ses propres vols charter (ce qui est différent de la France et de l'Allemagne, par exemple), et donc toutes ses expulsions par charter semblent être coordonnées par Frontex (Fonctionnaire belge du ministère de l'Intérieur, communication personnelle, mars 2020).

Au cours de la période examinée, le pays a également fortement fait appel à Frontex pour les expulsions via des vols réguliers. En 2019, la Belgique a expulsé plus de 1 500 personnes sur des vols commerciaux réservés par le biais de l'application de retour de Frontex, ce qui en a fait le pays ayant le plus eu recours aux expulsions par vols commerciaux de Frontex en 2019 (Frontex, réponse à une demande d'accès aux documents soumise pour ce projet de recherche, 2020). Des statistiques plus récentes montrent que d'autres pays sont devenus les principaux utilisateurs du soutien de Frontex pour les vols réguliers, ce qui illustre la manière dont l'utilisation de l'« offre Frontex » par les États membres évolue constamment (Frontex, 2021d). Un fonctionnaire de Frontex expliquant la raison d'être des expulsions sur des vols réguliers coordonnées par Frontex fait remarquer :

« [n]ous [Frontex] avons des contrats ou des accords avec des compagnies aériennes [...] qui nous permettent de réserver des billets sans noms, de les modifier à court terme [...], de sorte que l'ensemble des besoins opérationnels pour [...] une telle expulsion individuelle peut être mieux couvert que par un seul État membre, et en particulier un petit État membre » (Entretien de l'autrice avec un fonctionnaire de Frontex, février 2020, traduit par l'autrice).

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Fig. 12: La Belgique et l’Autriche ont le plus fait appel au soutien de Frontex pour les renvois par vol commercial en 2019. Graphique, 9 principaux pays ayant utilisé le soutien de Frontex pour les vols commerciaux en 2019, Sarah Zellner, 2021, basé sur des données publiées par Frontex en réponse à une demande d’accès aux documents soumise dans le cadre de ce projet de recherche, 2020.

19 Bien que tous les États membres ne fassent pas un usage intensif de l’« offre de services » de l'agence, cette section a montré que Frontex augmente leurs capacités d'expulsion par voie aérienne. Pour chaque pays, l'article a fourni plusieurs exemples de la manière dont le pays fait appel au soutien de l'agence, mais une description exhaustive dépasse le cadre de cet article, même pour les pays abordés. Alors que le financement des expulsions par Frontex, autant sur des vols charters que réguliers, semble être crucial pour de nombreux États, l'agence facilite également les expulsions par le biais d'un soutien matériel aux expulsions, allant de la fourniture d'un avion aux techniques d'identification par vidéoconférence (Présidence allemande, sans date a). Si les opérations de retour nationales (National Return Operations, NRO) sont importantes pour expliquer l'augmentation des expulsions par charter coordonnées par Frontex depuis 2016, et en particulier le recours à l'agence par l'Allemagne, les vols charter conjoints (Joint Return Operations, JRO) continuent de témoigner de l'interconnexion sans précédent entre les États expulsants, tout comme la prolifération des pratiques d'expulsion telles que les opérations de retour par collecte (Collecting Return Operations, CRO).

L'agence accroît les capacités d'expulsions par voie aérienne des États membres

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Fig. 8 : « Destinations » des vols charter coordonnés par Frontex avec des personnes expulsées depuis l’Allemagne (2017-2019). Notez que je parle de « destinations » des vols, car il peut y avoir des ressortissant·es de différents pays d’origine à bord d’un même vol. Graphique, Cédric Parizot, 2021, basé sur des données publiées par Frontex en réponse à une demande d’accès aux documents soumise pour ce projet de recherche, 2020.

Fig. 9 : La France a expulsé des personnes (en tant qu’État membre organisateur ou participant) sur des vols charters coordonnés par Frontex vers l’Albanie, l’Arménie, l’Égypte, la Géorgie, la Guinée, le Kosovo, le Nigeria, le Pakistan, l’Ukraine, la Serbie et la Gambie (2017-2019). Notez que je parle de « destinations » des vols, car il peut y avoir des ressortissant·es de différents pays d’origine à bord d'un même vol. Graphique, Cédric Parizot, 2021, basé sur des données publiées par Frontex en réponse à une demande d’accès aux documents soumise pour ce projet de recherche, 2020.

Fig. 10 : En 2019, des opérations de retour par collecte (Collecting Return Operations, CRO) ont été organisées par la France et l’Allemagne en Albanie, Géorgie, Serbie, Ukraine et Monténégro, tandis que plusieurs autres pays ont participé à des CRO pour expulser des personnes. Graphique, Cédric Parizot, 2021, basé sur des données communiquées par Frontex en réponse à une demande d’accès aux documents soumise pour ce projet de recherche, 2020.

Fig. 11 : La Belgique a expulsé des personnes (en tant qu’État membre organisateur ou participant) sur des vols charter coordonnés par Frontex vers l’Albanie, l’Afghanistan, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la RD du Congo, la Géorgie, le Ghana, la Guinée, le Kosovo, le Nigeria, le Pakistan, la Serbie et la Gambie (2017-2019). Notez que je parle de « destinations » des vols, car il peut y avoir des ressortissant·es de différents pays d’origine à bord d'un même vol. Graphique, Cédric Parizot, 2021, basé sur des données communiquées par Frontex en réponse à une demande d’accès aux documents soumise pour ce projet de recherche, 2020.

Une « super-agence » au sein de l'infrastructure d'expulsion de l'UE

20 Cette section situe Frontex dans le cadre d'un régime de contrôle des migrations de l'UE et démontre comment les objectifs d'expulsion (« efficacité » et « efficience ») peuvent rendre Frontex dépendante de certains États membres et de leur acceptation de « l'offre de Frontex » dans le but de « faire du chiffre » (RSA et Pro Asyl, 2019 : 10, traduit par l'autrice). Cette section a trois objectifs. Premièrement, situer la « super-agence»  (RSA et Pro Asyl, 2019 : 4, traduit par l'autrice) dans un régime de contrôle des migrations de l'UE et ne pas minimiser le rôle des États membres et de la Commission européenne. Deuxièmement, montrer que l'agence a imposé peu de contraintes aux États membres en ce qui concerne la forme du charter d'expulsion (opération conjointe ou opération nationale), la présence d'un·e contrôleur·se de retour forcé, ainsi que la situation des droits fondamentaux au sein des États membres, même si Frontex a de plus en plus appliqué une « rhétorique des droits humains » (Slominski et Trauner, 2018: 108). Troisièmement, se concentrer sur les limites des politiques d'expulsion met en avant la manière dont les acteurs étatiques, ou même une agence ou une institution de l'UE, tentent de surmonter ces limites.

Plusieurs mises en garde s'imposent. Je n'adhère pas à l'hypothèse selon laquelle les organes de l'UE sont plus « libéraux » que les États membres (pour un examen critique : Bonjour, Ripoll Servent et Thielemann, 2017). Au contraire, la Commission européenne a continuellement fait pression pour que l'agence joue un rôle plus important dans les expulsions (Entretien de l'autrice avec une conseillère politique au Parlement européen, février 2020). Toutefois, cela ne signifie pas que l'agence n'a pas créé de normes ou de contraintes, car elle a produit une pléthore de documents de dispositions non contraignantes tels que des codes de conduite. Je ne soutiens ni que l'agence respecte davantage les droits humains que les États membres, ni que les États membres sont plus attentifs aux droits humains s'ils agissent seuls. Enfin, il existe des contraintes auxquelles les États sont confrontés lorsqu'ils sollicitent l'assistance de l'agence. Les fonctionnaires de première ligne (street level bureaucrats) des États membres se plaignent de l'agence, tout comme les fonctionnaires de Frontex se plaignent des États membres.

Que signifie « (in)efficacité » pour l'agence et les acteurs qui lui fixent des objectifs ? Je suis d'accord avec Sergio Carrera et Jennifer Allsopp (2018) pour dire que l’« in/efficacité » dépend de l'acteur qui l'évalue et de sa perspective. Comme ils l'affirment (2018 : 79, traduit par l'autrice), « [d]ans le contexte actuel de l'UE, les acteurs nationaux et européens mandatés ou pratiquement engagés dans les politiques et pratiques de retour [...] semblent principalement considérer l'inefficacité du point de vue du nombre, du contrôle, de leurs propres mandats et ressources ». Parfois, les objectifs de l'agence ont été articulés en objectifs d'expulsion, par exemple lorsque la Commission (2019) a noté que l'agence devrait soutenir 50 000 renvois par an, un objectif qui ne sera probablement pas atteint de sitôt. Le programme de travail annuel de l'agence formule également des objectifs en matière d'expulsions via des vols charters et réguliers que l'agence doit soutenir (Frontex, 2019a).

Être « efficace » signifie augmenter le taux de retours l'agence est évaluée sur des chiffres

Selon cette logique, être « efficace » signifie augmenter le taux de retour (Stutz et Trauner, 2021). La performance de l'agence est évaluée sur des chiffres (Kalir et coll., 2021 : 199) et elle s'est trouvée en situation de concurrence avec des fonds européens. Ainsi, le Fonds européen pour l'asile, la migration et l'intégration (AMIF) de l'UE couvrait financièrement en duplicata quelques-unes des tâches assumées par l'agence (Cour des comptes européenne, 2019 : 33, traduit par l'autrice). La Cour des comptes européenne notait que « [l]es deux structures de financement de l'UE ont existé en parallèle pour financer le même type d'activités de retour forcé » (Cour des comptes européenne, 2019: 39). Cette concurrence pourrait contribuer à expliquer que l'agence n'a imposé que peu de contraintes aux États membres (comme je vais le démontrer dans ce qui suit). Comme le déclare un policier français interrogé,

« s'ils [Frontex] devaient être très obtus sur certaines choses, ils auraient un bilan d'activité moins important à présenter » (Entretien de l'autrice avec l'agent de police  1, février 2020).

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21 Un domaine dans lequel l'agence n'atteint pas encore les objectifs qui lui sont assignés est la part des opérations de retour conjointes (Joint Return Operations, JRO). Le mandat de l'agence stipule qu'elle doit donner la priorité aux opérations de retour conjointes et aux vols charter à partir de « hotspots », lors du financement des opérations de retour (Règlement (UE) 2019/1896, art. 50). Cependant, les JRO sont également plus difficiles à organiser pour les États membres. Il ressort clairement de mes entretiens avec des fonctionnaires français que l'agence met de plus en plus l'accent sur les JRO, et les rapports d'ADMIGOV citent l'accent mis par Frontex sur les JRO comme une raison du faible recours du Danemark au soutien de l'agence (Lemberg-Pedersen et Halpern, 2021). Les statistiques de l'agence montrent cependant qu'elle a jusqu'à présent financé tous les types d'opérations de retour, et les vols charter impliquant « seulement » un pays avec des personnes expulsées (NRO) représentent plus de 60 % des expulsions charter financées par Frontex en 2019 (Illustration 13). Comme le dit un policier français, « [s]i Frontex ne finance pas les vols charter allemands et italiens vers la Tunisie [Opérations de retour nationales, NRO], ils ont la moitié de leurs statistiques en moins » (Entretien de l'autrice avec l'agent de police 1, février 2020). Bien que l'affirmation soit exagérée, si Frontex cessait de financer les NRO, leurs « rendements » seraient effectivement beaucoup plus faibles.

« Près des deux tiers des vols charter coordonnés par l'Agence étaient des opérations nationales [...]. Le rôle de coordination de l'Agence bénéficierait certainement d'une approche européenne plus cohérente de la part des États membres dans le cadre de la coopération internationale » (Frontex 2020c, 9, traduit par l'autrice).

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Fig. 13 : En 2019, près des deux tiers des vols charter coordonnés par Frontex étaient des vols avec des personnes expulsées depuis le même pays, c’est-à-dire des opérations de retour nationales (les données relatives aux CRO ne sont pas disponibles pour les deux  dernières périodes). Graphique, Sarah Zellner, 2021, basé sur Frontex, 2020c et 2021d.

22En même temps, Frontex semble pousser les États à organiser davantage d'opérations de retour conjointes (Joint Return Operations, JRO) dans un souci d'« efficience » (Frontex, 2020c ; Frontex, 2021d), estimant que les JRO « peuvent généralement garantir un nombre plus élevé de personnes renvoyées dans un nombre plus faible de vols » (Frontex, 2020c : 18, traduit par l'autrice). Les JRO permettent un remplacement de dernière minute des personnes expulsées par un autre État si un État n'atteint pas son objectif d'expulsion (Frontex, 2020c : 18). Bien qu'il ne soit pas possible d'évaluer dans quelle mesure les JRO seraient réellement plus « efficientes » que d'autres opérations de retour, cette version est propagée par l'agence (Frontex, 2021d), conformément aux « diktats de la gouvernance néolibérale (que les politiques soient mesurables, réactives, efficientes et ainsi de suite) » (Reid-Henry, 2013 : 203, traduit par l'autrice). Il reste à voir si cela jouera contre la continuation du financement des opérations de retour nationales (National Return Operations, NRO) par Frontex :

« Ce qui me […] gênerait le plus, il y aura peut-être aussi un financement moins systématique en fonction de l’appréhension que Frontex aura de la mission proposée. […] Moi j’ai fait financer […] une opération la semaine dernière […], j’avais ouvert le vol organisé par la France à d’autres pays, mais j’avais proposé un siège […], c’était un peu vicieux de ma part, mais Frontex a malgré tout financé l’opération […], mais à l’avenir ils financeront peut-être pas. […] Ce qui fait que nous on va essayer de s’associer davantage aux autres pays et d’associer davantage d’autres pays à nos opérations pour rentrer encore plus […] dans les exigences de Frontex. […] Il y a pleins de pays qui organisent des opérations tout seuls […]. Globalement, Frontex a un moment donné va leur dire, ben nous on financera moins ou plus vos opérations parce que […] vous rentrez pas dans le concept. […] Donc là, […] j’ai multiplié moi les échanges avec les Allemands cette année. […] [L]es vols qui sont proposés jusqu’à juin sont ouverts à la Belgique et à l’Allemagne. […] J’ai proposé à l’Allemagne aussi de faire un stop chez eux pour éventuellement les récupérer […] pour éviter de futures problèmes de financement » (Entretien de l'autrice avec l'agent de police 1, mars 2020).

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Fig. 14 : Graphique illustrant l'évaluation de Frontex en termes de rentabilité par la Cour des comptes européenne, Cour des comptes européenne, 2019, sur la base des données de Frontex.

23 Le fait que l'agence ait jusqu'à présent financé de nombreuses opérations de retour nationales (National Return Operations, NRO) a non seulement réduit la charge administrative que les opérations de retour conjointes (Joint Return Operations, JRO) impliquent pour les États membres, mais a également permis d'établir un lien entre le bilatéralisme et le supranationalisme. En d'autres termes, les États membres expulsant peuvent s'appuyer sur des initiatives bilatérales avec des pays de « destination » non-membres de l'UE alors que ces vols d'expulsion sont financés par l'agence. Cela montre également certaines limites aux tentatives de Frontex de mutualiser les expulsions. Olivier Clochard (2010) a noté que l'émergence des JRO illustre les difficultés des États membres à obtenir les autorisations des pays hors UE pour les vols charter d'expulsion. En effet, les États membres ont « partagé » les contacts des pays non-UE par le biais de l'agence (Ette, 2017 : 158). Par exemple, comme le note un fonctionnaire belge,

« [l]a Belgique entretient des liens privilégiés avec certains pays tiers, et a permis l'organisation de JRO vers ces pays tiers. […] [L]'UE a également négocié la possibilité d'organiser des NRO/JRO/CJRO dans le cadre des accords de réadmission ou d'autres accords similaires avec les pays tiers. Le Benelux et la Belgique essaient d'inscrire des clauses analogues dans leurs accords de réadmission [...]. [...] Donc, dans certains cas, ces négociations sont couronnées de succès, dans d'autres cas, non » (Fonctionnaire du ministère belge de l'Intérieur, communication à l'autrice, mars 2020, traduit par l'autrice).

Certains pays non-membres de l'UE résistent aux expulsions

Cependant, certains pays non-membres de l'UE refusent les vols charter ou, en particulier, les vols charter conjoints, ce qui détermine la manière dont les États utilisent l’« offre de services » de l'agence. Il s'agit d'un sujet peu étudié mais intéressant, car il met en lumière la manière dont certains pays non-membres de l'UE résistent aux expulsions. S'il ne faut pas exagérer la résistance aux politiques d'expulsion de l'UE, ces dernières ne sont pas totalement incontestées. Pour donner un exemple, la Tunisie rejette les vols charters d'expulsion en provenance de la France, l'accord de réadmission entre la France et la Tunisie stipulant que la France ne doit pas organiser d'expulsions par vols charters (Accord-cadre relatif à la gestion concertée des migrations et au développement solidaire entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République tunisienne 2008). En revanche, l'Allemagne et l'Italie ont conclu des accords bilatéraux avec la Tunisie qui permettent de tels vols (Actionaid, 2019 ; Die Zeit, 2016). Frontex finance les vols charters allemands et italiens vers la Tunisie (NRO). Ces vols de l'Allemagne et de l'Italie sont si fréquents que la Tunisie était la principale « destination » non européenne des expulsions par charter de Frontex en 2019 (Frontex, 2020d). L'argument de Jean-Pierre Cassarino (2018, 94, traduit par l'autrice), selon lequel « le bilatéralisme n'a jamais été aussi imbriqué dans le supranationalisme » est ici très pertinent. Plusieurs responsables français interrogés ont déploré que la Tunisie n'accepte pas les vols charters de la France, mais le fasse depuis l'Italie et l'Allemagne.

« [L]es Italiens et les Allemands ont réussi à négocier la possibilité d’organiser […] des vols groupés [en Tunisie] dès lors qu’ils étaient seuls à bord de leurs appareils. […] Nous, on a essayé de se griffer à des opérations allemandes. Mais les Allemands nous ont dit que ce n'était pas possible. […] Globalement, Frontex va malgré tout subventionner ces opérations […]. Parce que dans la présentation de son bilan […], ça lui permet d’indiquer aux institutions européennes qu’elle a su diversifier son activité vers des pays différents » (Entretien de l'autrice avec l'agent de police 1, février 2020).

«  Ces bonnes relations bilatérales ne sont généralement pas partagées par les États membres [...] de peur que [l'État] détruise cette bonne relation pour lui-même [...] et ça vaut déjà pour les États membres entre eux, et ça vaut encore beaucoup plus pour Frontex. [...] Mais il y en a d'autres [...], la Belgique a offert [...] l'ensemble des relations avec ses États africains [...] à Frontex » (Entretien de l'autrice avec le fonctionnaire Frontex 1, février 2020, traduit par l'autrice).

Le prisme de la coopération avec les pays tiers permet également de comprendre une autre évolution du mandat de l'agence. Le projet pilote de l'agence sur les expulsions par vols réguliers s'est initialement concentré sur l'Algérie et le Maroc, deux pays qui, d'après mes entretiens, refusent les expulsions par vols charters depuis la plupart des pays de l'UE, y compris lorsqu'elles sont coordonnées par Frontex (Entretien de l'autrice avec le fonctionnaire de Frontex 1, février 2020). Bien que William Walters (2016 : 445-446) a pu identifier une transition vers les vols charters lorsque les États ont tenté de dissimuler les expulsions au public, d'illustrer leur politique migratoire sévère et de réduire le potentiel de résistance, il semble que les vols charters ont leurs propres limites, tout comme les opérations de retour conjointes (JRO) de l'agence (Chappart, 2020 : 12). Évidemment, l'UE continue également à exercer de nouvelles formes de pression sur les pays tiers pour leur faire accepter la réadmission ainsi que des pratiques d'expulsion spécifiques, comme les vols charter, par exemple par le biais du Code des visas révisé en 2020. Cette révision lie la politique des visas à la coopération des pays tiers en matière de réadmission, les données à cet effet étant collectées par l'agence (Nicolosi, 2020; voir pour la première évaluation de la coopération des pays non-membres de l'UE : European Commission, 2021).

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Fig. 15 : Nombre de personnes expulsées vers des pays non-UE pour les 20 premiers « pays de destination » des vols charter coordonnés par Frontex en 2019. Graphique, Sarah Zellner, 2021, d'après Frontex, 2020d.

24 Comme l'affirme l'agence, elle dépend des États membres non seulement pour l'acceptation de son « offre de services », mais aussi pour la communication de données sur les expulsions. Comme nous l'avons vu précédemment, le mandat de l'agence s'est étendu au fil des ans pour devenir proactif, puisque l'agence peut désormais lancer des vols charter de manière proactive, au lieu de prendre des mesures « uniquement » suite à la demande d'États membres. En chiffres absolus, ce mandat proactif tant vanté n'est pas encore bien développé. Alors que l'initiation d'expulsions par charter par l'agence elle-même est possible depuis 2016, celle-ci n'a initié et organisé que sept vols charter entre fin 2017 et 2019 (European Commission, 2020). Le dernier règlement Frontex fait référence à une « plateforme intégrée de gestion des retours » (IRMA) connectée aux systèmes informatiques nationaux des États membres (Règlement (UE) 2019/1896, articles 48-50). Cette plateforme (IRMA) a été associée au mandat plus proactif de l'agence (Jones, Kilpatrick et Gkliati, 2020), car « [l]es États membres fournissent les données opérationnelles sur les retours nécessaires à l'évaluation par l'Agence des besoins en matière de retour via la plateforme » (Règlement 2019/1896 (UE), art. 50). Jusqu'à présent, Frontex a déclaré qu'elle ne recevait pas de données sur les « personnes prêtes à être renvoyées » de la part des États membres (Frontex, communication personnelle, juin 2020, traduit par l'autrice). Plus généralement, l'agence s'est plainte, dans des documents ayant fait l'objet de fuites, de la réticence des États membres à communiquer des informations sur les opérations de retour qu'ils prévoient (Frontex, 2020c). Bien qu'il soit bien trop tôt pour évaluer l'impact de ces systèmes d'information à grande échelle, dont IRMA n'est qu'un exemple, il s'agit d'un domaine qui devrait être examiné de plus près à l'avenir. D'après mes entretiens, la vision à long terme semble être que Frontex dispose d'une « image plus proche de la réalité » des personnes « expulsables » dans les États membres :

« Le principal argument [...] de la Commission [...] pour avoir un système de retour plus centralisé géré par Frontex connecté aux systèmes de retour nationaux [...] était en effet d'aller [...] vers plus de [...] vols charter [...] que Frontex proposerait de manière proactive aux États membres [...]. Parce qu'ils disaient que les États membres ne demandent pas suffisamment à Frontex d'organiser ces vols charter » (Entretien de l'autrice avec une conseillère politique au Parlement européen, février 2020, traduit par l'autrice).

La participation de la Hongrie aux vols charter coordonnés par Frontex s'est poursuivie malgré les défaillances évidentes du système d'asile hongrois

Même si l'agence n'avait pas encore accès aux données sur les « personnes prêtes à être renvoyées » au moment de ma recherche (2020), cela ne signifie pas qu'elle n'a pas initié de vols charter. Du point de vue des droits humains, il est révélateur que presque tous les vols charter initiés et organisés par l'agence elle-même aient été effectués vers l'Afghanistan et en conjonction avec la Hongrie en tant qu'État membre chef de file. Si le recours à un État membre chef de file montre que l'agence n'agit pas de manière totalement isolée des États membres, cela souligne une fois de plus les critiques formulées à l'encontre de Frontex. Frontex a souvent été critiquée pour son soutien aux vols charters d'expulsion vers des pays en proie à des conflits, et au départ de pays de l'UE présentant de mauvais antécédents en matière de droits humains (Gkliati, à paraître) comme la Hongrie, dont les défaillances systématiques de ses systèmes d'asile et de « retour » sont bien documentées (European Commission, 2018). La Hongrie a même utilisé des vols charter de Frontex pour contraindre des familles afghanes à retourner en Serbie, en les menaçant de les expulser sur un vol coordonné par Frontex vers l'Afghanistan (UNHCR, 2019). La participation de la Hongrie aux vols charters coordonnés par Frontex s'est poursuivie malgré les défaillances évidentes du système d'asile hongrois, même après que l'agence eut, pour la première fois de son existence, arrêté ses opérations frontalières en Hongrie en janvier 2021. Auparavant, la Cour de justice de l'UE avait jugé que le processus d'asile hongrois était contraire au droit européen (Frontex Scrutiny Working Group, 2021).

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Fig. 16 : Les expulsions par voie aérienne organisées à l'initiative de Frontex entre 2017 et 2019 étaient principalement en lien avec la Hongrie (ent tant que Lead Member State) et à destination de l'Afghanistan. Graphique, Sarah Zellner, 2021, basé sur les données publiées par Frontex en réponse à une demande d'accès aux documents soumise dans le cadre de ce projet de recherche, 2020 ; European Commission, 2020.

25 Enfin, je me tourne vers l'un des aspects les plus controversés des vols charter d'expulsion – la présence d'un·e contrôleur·se de retour forcé chargé·e d'assurer le respect des droits fondamentaux des expulsé·es. Cette visibilité bureaucratique a été institutionnalisée avec l'avènement des vols charter (Walters, 2016 ; 2019). Le droit de l'UE peut être identifié comme relevant les normes dans ce contexte, du moins si l'on considère uniquement la présence d'un·e contrôleur·se de retour forcé (Lemberg-Pedersen et Halpern, 2021: 37). Un suivi efficace de l'éloignement forcé a été mandaté par l'article 8(6) de la Directive Retour (Slominski et Trauner, 2014), qui exige des États membres qu'ils établissent un système efficace de suivi de l'éloignement forcé. En outre, je soutiens que les règlements Frontex 2016/1624 et 2019/1896 suggèrent que chaque opération de retour Frontex doit être contrôlée (pour un argument similaire : Gkliati, à paraître), bien que les termes du règlement soient ambivalents (Règlement (UE) 2019/1896, art. 50). L'officier aux droits fondamentaux de l'agence (Frontex 2020c) note également que chaque expulsion charter doit être contrôlée par un·e contrôleur·se de retour forcé « conformément à l'obligation découlant de l'article 50, paragraphe 5, du règlement » (Frontex, 2020c : 6, traduit par l'autrice, voir également Frontex, 2021d : 24).

Le suivi des expulsions par charter est un autre exemple de « responsabilité répartie», où la multiplicité des parties prenantes sert aux différents acteurs à se déresponsabiliser

L'implication de l'agence a en effet augmenté le nombre de vols contrôlés par des contrôleur·ses de retour forcé (données considérées : 2016-2019), ce qui représente une sorte de « contrainte libérale » pour les États membres. En fonction de la législation en vigueur dans les États membres, les vols purement nationaux sans aucun soutien de Frontex sont beaucoup moins surveillés par des contrôleur·ses de retour forcé que les vols Frontex. Je soutiens néanmoins qu'il ne s'agit là que d'une contrainte limitée pour les États membres. Le contrôle des expulsions par charter est un autre exemple de « responsabilité répartie » (Reid-Henry, 2013 : 206, traduit par l'autrice), où la multiplicité des parties prenantes sert aux différents acteurs à se déresponsabiliser. L'un des principaux organisateurs de vols charter coordonnés par Frontex – l'Italie –  a à peine surveillé ses vols charter au cours de la période examinée (2017-2019) (Lemberg-Pedersen et Halpern, 2021 : 41). Cela n'a pas abouti à ce que Frontex ne finance pas ces expulsions (Frontex, réponse à une demande d'accès aux documents soumise dans le cadre de ce projet de recherche, 2020). De même, le système allemand de contrôle des retours forcés est considéré depuis des années comme n'étant que partiellement opérationnel par l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA, 2020). Le Code de conduite de l'agence sur les opérations et les interventions de retour soutient que les États « sont tenus de s'assurer qu'ils disposent d'un système efficace de surveillance des retours forcés » (Frontex, 2018a, traduit par l'autrice). Néanmoins, l'agence finance toujours les vols charter de l'Allemagne. Pour donner un autre exemple, bien que presque tous les vols charter coordonnés par Frontex au départ de la France aient été contrôlés en 2019 et qu'un policier français interrogé ait noté qu'un système efficace de contrôle  des retours était une condition préalable au soutien de l'agence, ce même policier était toujours au courant que l'agence finançait des vols également sans contrôleur·se à bord.

« Donc globalement, […] moi il arrive que parfois je suis obligé de monter des opérations, mais comme je ne suis pas dans ce délai des 21 jours [délai pour demander un contrôleur du pool de Frontex], ben je ne demande pas. […] [T]ous les pays font un peu près comme ça […], on parle entre collègues européens et les Italiens comme les Allemands, ils obtiennent les financements de leurs NROs quand il y a pas de moniteur [...] quand ils sont montés dans des délais contraints. […] Frontex, au plus il finance des opérations, au plus, ils ont un bilan statistique de leur activité, intéressant à présenter » (Entretien de l'autrice avec l'agent de police 1, février 2020).

« Si l'État membre déclare qu'il a [...] implémenté les [mesures de surveillance] et que, selon l'État membre, ceci et cela fait partie de la procédure de surveillance des retours, alors qu'il en exclut d'autres dispositions comme la présence [du contrôleur] à bord, alors nous […] l'acceptons parce que nous ne sommes pas […]  responsables de l'implémentation de la [...] Directive sur les retours » (Entretien de l'autrice avec le fonctionnaire Frontex 1, février 2020, traduit par l'autrice).

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Fig. 17 : La part des vols d'expulsion coordonnés par Frontex comptant un·e contrôleur·se de retour forcé a augmenté entre 2016 et 2019. Graphique, Sarah Zellner, 2021, basé sur les rapports annuels de Frontex 2014-2020.

26 Dans l'ensemble, cette section ne doit pas être lue comme une minimisation du rôle croissant de l'agence dans les expulsions par voie aérienne de l'UE, mais elle montre l'interdépendance entre les États membres et l'agence, tant sur le plan pratique que, plus largement, pour atteindre les objectifs d'éloignement assignés à l'agence. La volonté de Frontex d‘atteindre ces objectifs qui lui sont assignés peut contribuer à expliquer le fait que l’agence n’impose que peu de contraintes aux États membres. Cette section a mis en évidence une infrastructure d'expulsion polymorphe, dans laquelle les parcours nationaux et européens coopèrent.

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Conclusion : un symptôme du syndrome d'expulsion de l'UE

27 Cet article a examiné le recours à Frontex par divers États membres de l'UE et pays associés à l'espace Schengen, en se concentrant sur les vols charter coordonnés par l'agence. Il a montré que Frontex a élargi le champ d'action des organes exécutifs nationaux en proposant une variété de « services » aux États membres. À mesure que l'« offre Frontex » s'est élargie au fil des ans, elle s'adapte à l'infrastructure d'expulsion des différents États, tandis que différentes pratiques d'expulsion nationales et bilatérales prévalent sous le « label Frontex ». L'extension du mandat en 2016 contribue à expliquer pourquoi les expulsions coordonnées par Frontex via un vol charter ont augmenté de manière significative en 2016 et 2017. Ayant principalement examiné les États membres du Nord, de futures études devraient se pencher plus attentivement sur les pays situés aux frontières extérieures de l'UE afin d'identifier les différences dans l'interaction entre les États membres et l'agence, ainsi que les formes de pression exercées sur ces États (voir Borderline Europe, 2021, Amandine Bach, 4:20). En outre, un examen plus approfondi de  la mise en œuvre du mandat de Frontex serait justifié dans les années à venir, par exemple en ce qui concerne les divers systèmes d'information à grande échelle dans lesquels Frontex est impliquée, et plus généralement l'« aide préalable au retour ».

À mesure que l'« offre Frontex » s'est élargie au fil des ans, elle s'adapte à l'infrastructure d'expulsion des différents États, tandis que différentes pratiques d'expulsion nationales et bilatérales prévalent sous le « label Frontex »

Le mandat confié à Frontex souligne l'importance de la mutualisation – que ce soit par le biais d'opérations de retour conjointes ou de la diffusion de « pratiques exemplaires » diversifiées en matière d'éloignement – et l'agence pousse les États membres à organiser davantage d'expulsions conjointes. J'ai montré comment de tels « parcours et corridors d'expulsion » (Walters, 2017, traduit par l'autrice) conjoints s'articulent, par exemple la routine d'une opération de retour par collecte vers l'Albanie organisée par la France avec la participation d'expulsé·es de Belgique et d'agents d'escorte albanais, le tout financé par Frontex (période examinée : 2017-2019, avant l’irruption de la pandémie). Toutefois, cet article a également montré comment le mandat de l'agence a évolué vers une approche visant à soutenir toutes les formes d'expulsion, les opérations de retour nationales permettant d'expliquer l'augmentation du nombre d'expulsions par vol charter soutenues par Frontex. Andreas Ette (2018 : 232, traduit par l'autrice) affirme que « les politiques traitant de l'éloignement forcé des migrants irréguliers [...] se caractérisent par des systèmes dualistes combinant d'anciennes structures nationales et de nouvelles structures européennes. Ensemble, ces systèmes dualistes ont réduit certaines des contraintes d'exécution qui existaient auparavant, augmenté l'autonomie des exécutifs et réduit les coûts politiques, diplomatiques et financiers de cette politique ». Les structures nationales et européennes ne sont pas distinctes, mais étroitement imbriquées.

Les structures nationales et européennes ne sont pas distinctes, mais étroitement imbriquées

Le mandat de l'agence s'étend bien au-delà des vols charter, et l'agence prévoit pour les années à venir une expansion considérable des éloignements via des vols réguliers (Frontex, 2021c : 124). Il est néanmoins important de souligner que l'agence coordonne de nombreux (et selon ses propres documents, la plupart des) vols charter vers des pays tiers (Frontex, réponse à une demande d'accès aux documents soumise dans le cadre de ce projet de recherche, 2020), les vols charter étant en eux-mêmes une pratique d'expulsion particulièrement controversée. On pourrait approfondir la question de savoir si et comment l'agence a institutionnalisé cette pratique d'expulsion, bien que le secret général qui entoure ce sujet ne facilite pas la recherche.

Depuis ses débuts, l'agence s'est attirée des critiques considérables et justifiées de la part des ONG (Léonard, 2010). J'ai montré que Frontex, lorsqu'il s'agit d'expulsions par charter, dépend encore et toujours du fait qu'au moins certains États membres acceptent son « offre » pour des raisons d’« efficacité et d'efficience » dans un système défini par des objectifs d'expulsion. Loin de minimiser le rôle de l'agence, cela permet d'exposer une infrastructure d'expulsion européenne polymorphe dans laquelle l'augmentation du taux de retour a été normalisée comme une priorité politique. Le fait de se concentrer exclusivement sur l'agence minimise le rôle des États membres et de la Commission européenne. L'Allemagne, par exemple, n'a pas besoin de l'agence pour organiser des vols charter d'expulsion de grande capacité, mais utilise volontiers les fonds de Frontex. Bien entendu, cette multiplicité d'acteurs sert à la fois les États et l'agence lorsqu'il s'agit de partager la responsabilité des violations des droits humains que différents acteurs peuvent s'attribuer mutuellement (voir : Borderline Europe, 2021, Omer Shatz à 4:37). L'agence tient à se présenter comme un acteur technique et à souligner la « responsabilité exclusive des États membres » en matière de prise des décisions de retour (Frontex, sans date b). En général, la façon dont la législation conçoit l'agence comme un acteur « purement opérationnel » fait qu'il est difficile de la tenir pour responsable des violations du principe de non-refoulement au-delà des obligations positives (Gkliati, à paraître).

Dans l'ensemble, cet article a discuté de l'expansion factuelle et juridique du mandat de l'agence, des États poursuivant toutes les options à leur disposition, de l'interaction entre les voies nationales, bilatérales et européennes, d'une agence réinventant constamment son mandat avant l'expansion légale du mandat, et des difficultés conduisant à de nouvelles inventions dans « l'art de l'éloignement » (Walters, 2016 : 439, traduit par l'autrice). Cela renforce l'argument de Walters selon lequel « l'expulsion n'est pas simplement une politique ou un pouvoir, mais elle-même une machine ou un appareil dynamique qui improvise constamment de nouvelles façons de renvoyer les gens, et qui repousse constamment les limites du droit et de l'éthique dans le processus » (2019 : 166, traduit par l'autrice). En tant que telle, ma recherche s'inscrit également dans le travail de Reid-Henry (2013) sur Frontex, qui – discutant d'un ensemble d'activités de Frontex différent de celles abordées ici – a souligné à juste titre les « approches de nature souvent plutôt expérimentale qui ont été développées dans et par les opérations de Frontex à la frontière » (Reid-Henry, 2013 : 201, traduit par l'autrice).

Le symptôme d'une infrastructure d'expulsion de l'UE polymorphe qui vise à supprimer la mobilité des migrant·es

Il convient néanmoins de préciser que mon article n'a abordé que des expulsions par voie aérienne, et principalement par vol charter, lesquelles ne constituent qu'une partie de l'infrastructure d'expulsion de l'UE. Les expulsions par voie aérienne coordonnées par Frontex et les opérations de Frontex aux frontières maritimes et terrestres de l'UE (et au-delà) sont symptomatiques d'une infrastructure d'expulsion européenne polymorphe qui vise à supprimer  la mobilité des migrant·es.

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Fig. 19: “Destination countries” of Frontex- supported deportations through scheduled flights in 2019. Graphic, Cédric Parizot, 2021, based on data released by Frontex in response to an access to document request made for this research project, 2020.

Références

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suite...

Sources juridiques

29

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Règlement (UE) no 1168/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 modifiant le règlement (CE) no 2007/2004 du Conseil portant création d'une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne [2011] OJ L 304.

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Notes de bas de page

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1 Pour une critique des limites du Groupe de travail de contrôle de Frontex du Parlement européen, Borderline Europe, 2021, Amandine Bach à partir de 4:25.

2 Par commodité, j'utilise le terme « États membres » pour désigner les États membres de l'UE et les pays associés à l'espace Schengen, qui peuvent tous deux solliciter l'assistance de Frontex.

3 Les refoulements n'ont pas lieu seulement à la « frontière », ou plutôt, c'est la frontière qui se déplace. De nombreux rapports indiquent que la police grecque a refoulé des personnes qui se trouvaient déjà sur le territoire grec et à des centaines de kilomètres de la ligne frontalière (Amnesty International, 2021).

4 L'Agence est toutefois à collecter des informations nécessaires pour rendre des décisions de retour (Règlement (UE) 2019/1896, art. 48).

5 La Commission européenne a parfois demandé à Frontex de lancer de nouvelles activités. Par exemple, dans son plan d'action renouvelé sur le retour, la Commission (2017) a demandé à Frontex de soutenir les expulsions via des vols réguliers, ce qui a été codifié dans le Règlement 2019/1896. IRMA, la plateforme de gestion intégrée des retours de l'Agence, a été élaborée par la Commission.

6 Ces chiffres divergent des calculs effectués par Statewatch, voir Jones, Kilpatrick et Gkliati, 2020 : 22.

7 Il est important de noter que ces chiffres n'incluent pas les expulsions dans lesquelles l'agence a été impliquée par le biais d'une « assistance préalable au retour ».

8 Comme toutes les données sur les expulsions, ces chiffres doivent être traités avec prudence. Il est probable que les données du gouvernement allemand n'incluent pas les petits vols charter dans leurs chiffres (moins de 5 expulsé·es à bord). Par conséquent, il existe de petites expulsions par charter (nationales et Frontex) qui n'apparaissent pas dans les données du gouvernement. Certains chiffres ont été calculés en comparant les données de Frontex et du gouvernement allemand. En outre, les données du gouvernement allemand sur les « Sammelabschiebungen » (expulsions par charter) n'incluent pas les retours dits volontaires, alors que les données de Frontex pourraient inclure certains vols avec des rapatriés « volontaires ».

9 Voir note 8.

10 Formes d'expulsions en Allemagne, voir : https://mediendienst-integration.de/migration/flucht-asyl/abschiebungen.html.

11 Ces chiffres du gouvernement allemand n'incluent probablement pas les vols charter avec moins de 5 expulsé·es à bord. Ce chiffre concerne à la fois les vols charter coordonnés par Frontex et les vols charter nationaux.

12 Ce n'est qu'en 2017 que la France a commencé à organiser un nombre significatif de vols charter coordonnés par Frontex ; avant cela, elle participait principalement aux opérations menées par d'autres pays (Statewatch, 2020).

13 Le nombre d'expulsions effectuées avec le soutien de l'agence via des vols réguliers a fortement augmenté, et une proportion croissante d'entre elles sont des retours dits volontaires (Frontex, 2021d).

14 Cet article n'aborde que quelques préoccupations en matière de droits fondamentaux, pour une discussion plus détaillée : Gkliati, à paraître.

15 Conformément aux récentes dispositions sur le nouveau Fonds pour l'asile, la migration et l'intégration, le Fonds et Frontex ne couvriront plus les mêmes activités (Règlement (UE) 2021/1147 [JO L 251]).

16 L'évaluation des différents systèmes d'information développés au niveau de l'UE et ayant des implications dans le domaine des éloignements déborde le cadre du présent document.

17 La surveillance des éloignements forcés est très controversée, car elle pourrait légitimer les expulsions, mais aussi en termes d'indépendance des contrôleur·ses, de suivi et de transparence des rapports de contrôle (les rapports de l'agence ne sont pas accessibles au public) et de l'insuffisance d'un·e seul·e contrôleur·se à bord d'un seul vol d'expulsion. Les contrôleur·ses présents lors des vols ne contrôlent ni la phase d'interpellation avant le vol ni celle qui suit le retour.

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https://www.antiatlas-journal.net/pdf/antiatlas-journal-05-zellner-frontex-symptome-du-syndrome-d-expulsion-de-l-ue.pdf

Fig. 18: Graphique, « Pays de destination » des expulsions soutenues par Frontex au moyen de vols charter en 2019, Cédric Parizot, 2021, basé sur des données publiées par Frontex en réponse à une demande d’accès aux documents soumise pour ce projet de recherche, 2020.

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