antiAtlas journal #6, 2024

« Transcriture » : écrire les savoirs - Graphies Kogi, Wiwa et Wayuu (Colombie)

Claire Lapique et Ana María Lozano Rivera

Résumé : Les peuples Kogi, Wiwa et Wayuu de Colombie n’écrivent pas sur le papier, mais mobilisent d’autres techniques comme le tissage ou l’utilisation du poporo (calebasse) pour consigner leur histoire et communiquer avec les êtres humains et non humains. Ces écritures ou pratiques ancestrales révèlent d’autres manières de comprendre et d’entrer en relation avec le monde. Afin de les valoriser, le dialogue entre communautés amérindiennes et académiques s’appuie sur des « hétéro-graphies » et des « hétéro-ethnographies », conçues comme des ponts entre différentes formes de connaissance.

Claire Lapique réalise son enquête ethnographique auprès de l’Université Autonome Communale de Oaxaca où elle étudie la circulation des savoirs de médecine traditionnelle, dans le cadre de son doctorat en sociologie à l’Université de Veracruz (Xalapa, Mexique) et à l’Université de Strasbourg.

Ana María Lozano Rivera est artiste plasticienne et anthropologue. Elle a réalisé une enquête ethnographique auprès des Kogi dans le cadre de son doctorat en anthropologie sociale à l'EHESS.

Mots clefs
 : écritures, épistémologie, savoirs, dialogue interculturel, Colombie


Crédits des images : sauf mention contraire, © Claire Lapique et Ana María Lozano Rivera

Design de l'article : Thierry Fournier
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antiAtlas-Journal
Directeur de la publication : Jean Cristofol
Directeur de rédaction : Cédric Parizot
Directeur artistique et design des articles : Thierry Fournier
Comité de rédaction : Jean Cristofol, Thierry Fournier, Anna Guilló, Cédric Parizot, Manoël Penicaud

Introduction : peut-on tisser nos pensées sur le tissu comme on écrirait sur un carnet ?

1 Les communautés indigènes Kogi, Wiwa et Wayuu du Nord de la Colombie n’écrivent pas sur le papier mais utilisent d’autres modalités graphiques pour cartographier et conserver leurs connaissances. Qu’est-ce que cela dit de leurs façons de comprendre et de se lier au territoire ? Ces écritures peuvent-elles être traduites et diffusées au sein de l’espace académique pourtant dominé par l’approche scientifique et rationnelle ?

Les communautés indigènes Kogi, Wiwa et Wayuu du Nord de la Colombie utilisent d’autres modalités graphiques pour cartographier et conserver leurs connaissances.

Les Wiwa et les Kogi font partie des quatre peuples indigènes vivant dans la Sierra Nevada de Santa Marta au Nord de la Colombie. Descendants de la civilisation Tayrona (Preuss, 1993), ils partagent une même cosmogonie : entre autres, la Sierra Nevada est considérée comme le cœur du monde et ils veillent à sa protection. Le territoire est entendu comme un espace-corps (Cartry 1979) car il est vécu comme une continuité du corps humain. Les deux se nourrissent l’un de l’autre. L’unité territoriale est interconnectée par des lieux de haute importance spirituelle dotés d’une subjectivité particulière puisqu’y habitent les ancêtres ou pères spirituels du territoire.

La Sierra Nevada s’étend sur trois départements : Magdalena, César et la Guajira. Dans cette dernière région, vivent les Wayuu, le peuple colombien le plus important en termes d’habitants et le seul qui soit matrilinéaire dans le pays. Les Wayuu s’organisent en différents clans et chacun s’associe à un espace territorial spécifique.

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Image 1 ci-contre : Carte de la Colombie, avec la localisation géographique des Kogi, Wiwa et Wayuu, par Ana Maria Lozano Rivera. Les manières de voir le monde chez les Kogi, Wiwa et Wayuu sont transmises par l’usage de l’oralité et d’objets graphiques. La réalisation du tissage et l’utilisation du poporo (calebasse) par exemple sont des écritures attachées à une pratique orale et collective et servent à transmettre des connaissances. Il est donc possible d’aborder leur usage pour analyser comment se perçoivent et se construisent les savoirs (Déléage, 2009).

2 Les peuples amérindiens ont longtemps été considérés comme “sans écriture. Au moment de la révolution scientifique, les savoirs et pratiques culturelles qui n’ont pas été assimilés à la science moderne ont été relégués dans les marges de l’altérité. Aussi, la réaffirmation récente des graphies et des savoirs alternatifs des communautés indigènes témoigne de cette dimension politique de l’écriture, ainsi que de l’existence d’autres moyens d’écrire et de comprendre le réel. En Amérique latine notamment, ce combat est appuyé par divers mouvements académiques “contre-hégémoniques” qui envisagent de construire des épistémologies alternatives (Keim, 2011 ; Meiser, 2017). Divers projets émergent dans le but de résister à la domination épistémique, culturelle ou politique modelée par l’expansion colonisatrice. Dans cette perspective, les communautés académiques et indigènes dialoguent et se rejoignent autour de projets de recherche-action ou collaboratifs depuis les années 1970, puis interculturels depuis les années 1980. Dans l’optique de diffuser et de légitimer d’autres formes de savoir, elles s’appuient sur des écritures et des méthodologies, que l’on peut concevoir comme des “hétéro-graphies” et/ou “hétéro-ethnographies”. Ces hybridations, entre pratiques académiques et communautaires, instaurent des ponts entre différents types de connaissances, que l’on peut aussi appeler gnoses (Mignolo, 2003). Peuvent-elles restituer les différentes façons de comprendre le monde ? Jusqu’à quel point peuvent-elles s’exporter et dialoguer avec l’approche académique ? Peuvent-elles faire émerger des modèles de savoir alternatifs (Meiser, 2017) ?


La réaffirmation récente des graphies et des savoirs alternatifs des communautés indigènes témoigne de cette dimension politique de l’écriture, ainsi que de l’existence d’autres moyens d’écrire et de comprendre le réel.

Le présent article aborde dans un premier temps les écritures alternatives existantes et leur cadre d’énonciation au sein des populations Kogi, Wiwa et Wayuu. Le tissage et le poporo constituent des écritures qui remettent en cause l’antique césure oralité/écriture, à l’origine du discours scientifique moderne. Ces écritures et les pratiques orales associées sont « attachées » dans le sens où elles mettent en relation l’espace, les êtres humains et non humains donnant corps au territoire de manière singulière.

Dans la seconde partie, nous questionnons l’horizon de diffusion de ces autres manières de comprendre le monde, à travers le prisme du dialogue interculturel et de ses outils. Comment ces écritures « attachées » peuvent-elles s’exporter pour transmettre d’autres connaissances ? Les étudiants et les autorités locales traduisent certains concepts dans le champ académique (en Colombie et en Europe) grâce à l’usage d’hétéro-graphies et d’hétéro-ethnographies : nous explorons le produit de cette hybridation et les manières dont ces méthodes bouleversent les perspectives ethnographiques classiques.


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I. De quelle écriture
parle-t-on ?

3 Sur le continent latino-américain, seule l’écriture maya est considérée comme faisant partie des quatre formes d’écriture intégrale. Pourtant, il existe d’autres systèmes de notation basés sur des graphies inscrites sur la peau, les tissus ou d’autres supports. L'anthropologue Pierre Déléage (2013) les considère comme des écritures sélectives car elles transcrivent seulement une partie du discours et accompagnent la parole.

Parmi les langues amazoniennes que Pierre Déléage étudie, 70% utilisent le mot
gowi pour définir l’écriture et les graphies des peintures corporelles traditionnelles (2013). Chez les Kogi, le verbe « gowi » signifie à la fois tisser, écrire, construire et faire. L’écriture renvoie à un processus au temps long, qui se réalise de façon quotidienne à travers deux objets : la “mochila”, sac en fibre végétale ou coton tissé par les femmes et le “poporo”, calebasse rituelle utilisée par les hommes. Nous nous focalisons sur le poporo et la mochila.


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Image 2 ci-contre : Différents poporo, dessin, Ana Maria Lozano Rivera, 2021

Des formats d’écriture genrés

4 Les hommes utilisent le poporo en parallèle de la mastication de la feuille de coca (Preuss, 1993). Le poporo est une calebasse remplie de coquillages écrasés, formant une poudre. À l’aide d’un bâton, le Kogi en retire une petite quantité qu’il met à sa bouche (cf photo 2). Cette poudre se mélange alors aux feuilles de coca et libère une substance alcaloïde et salivaire. Celle-ci se dépose sur le bâton et l’homme Kogi l’applique tout autour de la calebasse, de sorte à la faire grossir petit à petit. C’est l’autorité spirituelle, le mamo, qui offre cet outil au jeune homme lorsqu’il devient adulte en lui prodiguant des conseils (Dolmatoff, 1987).

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Images 3 à 6 ci-dessous et grande image à gauche: Gestes poporo, dessin, Ana Maria Lozano Rivera, 2020

5 En construisant la superficie d’une calebasse, un Kogi crée une empreinte matérielle, qui devient le contenant de ses émotions et de ses pensées ou des recommandations du mamo. Le premier poporo sert de “réceptacle” aux enseignements à connaître au sujet de la protection de l’eau, de la terre, des animaux ou de sa relation avec les autres et son épouse. Ces normes sociales sont enregistrées sur la calebasse et lorsque celle-ci est suffisamment grande, elle est gardée comme archive. L’homme peut alors en fabriquer une nouvelle. Ci-dessous la chaîne opératoire détaillée de l’usage du poporo.

Le tissage Kogi, “c’est comme A majuscule et a minuscule”

De leur côté, les femmes réalisent un sac à l’aide d’une aiguille et d’un fil. Tout part d’un centre depuis lequel se crée un tissu concave. Pendant le travail de terrain d’Ana Maria Lozano Rivera, une jeune Kogi lui montre le type de nœuds permettant de faire grandir le diamètre du sac “Ce sont les yeux du sac”. Pour comprendre pourquoi s’utilisent deux variantes de nœuds, la Kogi lui explique “C’est facile, c’est comme A majuscule et a minuscule. Une fois que tu apprends à manipuler les deux Aa, tu peux faire le type de tissu que tu veux”. Là encore, l’objet sert de double contenant, non seulement pour le transport des objets, mais aussi pour recueillir la pensée et les émotions. La pratique du poporo ou le tissage de la mochila sont une forme d'entraînement qui aide les Kogi à maintenir la concentration de la pensée et l'expression continuelle des émotions.

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Vidéo 1 :: utilisation du poporo par Juan Camilo Alberto Coronado de la communauté Kogi de Domingueka, vidéo réalisée par Ana Maria Lozano Rivera, 2021

Images 7 à 9 : Dessin, gestes mochila, Ana Maria Lozano Rivera, 2020

Vidéo 2 : Tissage de sac par Elvia Nuvita de la communauté Kogi de Domingueka, Ana Maria Lozano Rivera, 2021

Un malentendu épistémologique

6 Les rapports de force globaux, la domination coloniale et le processus de construction de l’État-nation dès le XVème siècle sont à l’origine d’une ligne de partition entre la “science” d’une part et les “savoirs” de l’autre, et de la domination d’une certaine “rationalité” occidentale (Boumediène, 2019; Chartier, 2016; Pestre et autres, 2015; Van Damme, 2006). Selon ce même discours, la science et la pensée philosophique occidentales s’appuient sur l’écriture intégrale comme système d’analyse et de preuve (Goody, 1975; Santos, 2019), tandis que les sociétés amérindiennes sont définies de façon négative : l’écriture leur fait défaut. Elles ne disposeraient pas de cet instrument, propre aux sociétés industrialisées, capable de retenir la parole et de l’étendre (Certeau, 1975).

“La parole d’un peuple d’écriture n’est plus la même. C’est un langage annexe, subordonné à l’écrit. (…) ce qui est jugé important ne passe plus par la parole. La parole n’est plus que conversation, échange anodin. Elle n’est, dans notre société, jamais en rapport avec la vérité et la preuve : la science ne se sert que de l’écriture.” (Pividal, 1976).


Le primat donné à l’écrit relègue les sociétés, dites sans écriture, dans une marginalité radicale. Pour prendre en compte ces graphies, qui sont autant de façons d’écrire le réel, la chercheuse est invitée à remettre en question son cadre d’analyse.

Le primat donné à l’écrit relègue les sociétés, dites sans écriture, dans une marginalité radicale.

En tant qu’artiste, Ana Maria pensait pouvoir analyser les savoir-faire traditionnels des indigènes au travers du dessin. Elle considérait cette pratique sensible et non discursive comme un moyen d’approcher le territoire Kogi de façon inédite. Cependant, quand elle a apporté ses crayons aux Kogi, ils ne savaient pas comment les utiliser. Et, lorsqu’elle demandait aux femmes de lui représenter leur territoire, elles réalisaient une mochila miniature. Elle est donc arrivée sur le terrain Kogi avec une « valise épistémologique » qui n’était pas adaptée à celle des Kogi.

La prégnance de cette perspective eurocentrée se perçoit aussi chez les étudiants et chercheurs indigènes, qui intègrent les méthodes et approches dominantes. L’étudiant en psychologie sociale de l’Université Nationale de Colombie, Ángel Robles Epieyu relate ici son expérience de terrain, dans le cadre de son mémoire sur les conflits entre clans au sein de sa communauté Wayuu (Guajira) :

“En entrant à l’Université, j’étais certain que ce que j’y apprenais était clair et que c’était la vérité. Quand je suis retourné sur le territoire Wayuu, j’ai donné à ma communauté une feuille de papier et un feutre pour qu’ils cartographient le territoire. Ils m’ont répondu que ça ne fonctionnait pas comme ça. Une des femmes a dit ‘Pourquoi ne pas écrire nos expériences sur le territoire directement ?’. Alors, un homme a commencé à tracer les grandes lignes de ma question de recherche sur le sable. Il a aussi convoqué d’autres membres de ma communauté : des femmes, des enfants, des anciens ont commencé à m’expliquer le conflit, comment ça s’est passé, depuis quand, combien de générations ont été impliquées, etc. Et pendant que ces personnes parlaient, une femme à commencer à tisser. ” Ángel
Robles Epieyu, étudiant en psychologie Wayuu (Colombie).

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7 Les écritures sélectives permettent de conserver une mémoire et des pratiques rituelles et différentes manières d’interpréter et d’analyser le réel. Leur négation peut conduire à un “malentendu épistémologique” (Déléage, 2017) voire à une forme d’épistémicide.

Une part importante [de la signification culturelle des textiles andins] a été sauvée parce que les colons n’ont jamais soupçonné qu’au cœur même des textiles (les croisements de fils et la façon de les faire) se trouvaient des informations plus ou moins consciemment codifiées” Sophie Desrosières (1995 p. 325).

C’est pour répondre à ces enjeux épistémologique et politique que les étudiants travaillent à leur préservation :

“Il y a des indigènes qui disent que les tissages sont les seuls livres que la Couronne espagnole n’a pas brûlés parce qu’ils ne comprenaient pas que les codes des femmes indigènes étaient traduits sur des sacs ! Et tout ça continue d’exister encore maintenant, nous le conservons encore.” Ángel Robles Epieyu, étudiant en psychologie Wayuu (Colombie).

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Image 10: femmes Wayuu qui tissent une mochila. Ana Maria Lozano Rivera 2021

8 Selon Ángel Robles Epieyu : “L’écriture du peuple Wayuu, autrefois et encore aujourd’hui, se traduit en tissage ; il y a des tissages qui sont individuels : tu prends un fil, une aiguille et tu commences à tisser, et il y a des tissages collectifs, ils sont tissés par une femme, mais sont faits par plusieurs personnes. À l’intérieur, on insert la mémoire orale, ce qui s’est dit au moment de tisser”. Ainsi, lors d’une Assemblée communautaire, une femme Wayuu peut tisser l’histoire collective ou les événements qui sont en train de se narrer. Dans son travail de terrain, l’étudiant a interrogé les membres de sa famille à propos des conflits entre clans. Cette mémoire a été consignée dans un sac :

Cette mémoire a été consignée dans un sac :

“Pendant que les membres de ma famille parlaient, une femme Wayuu a commencé à tisser, comme si c’était une dictée, par exemple quand un professeur parle et que tu commences à écrire sur ton cahier. Cela se passe de la même façon avec le tissage du sac. C’est pour ça qu’il y a des tissages qu’on ne peut pas commercialiser ou vendre, parce qu’ils tissent une mémoire vive, que des personnes y ont inséré leurs expériences. Par exemple, n'importe quelle personne de ma communauté qui voit ce sac peut interpréter ce qui est arrivé, quand, pourquoi, et tout ce qui s’est dit ce jour-là. (...) C’est intéressant de voir que ces modalités d’écriture sont encore en vigueur aujourd’hui, en plein XXIe siècle. C’est grâce à une transmission générationnelle et ce, non pour répondre aux nécessités du marché ou d’une personne qui voudrait porter un sac, mais pour répondre aux besoins de mémoire collective d’un territoire”.

Qu’est-ce que l’usage du poporo, du tissage et de l’oralité dit de la façon de comprendre le réel des Kogi, Wiwa et Wayuu ?

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Des écritures attachées à leur contexte d’énonciation

9 Les tissages, les pictographies, les cordelettes à nœuds, ne sont pas des écritures embryonnaires mais des façons de lire et de penser les lieux (Basso, 2016). A la différence de l’écriture alphabétique qui s’affranchit des conditions locales de la transmission orale, les écritures sélectives sont “attachées”, non seulement au lieu d’énonciation, mais aussi à une pratique orale (Déléage, 2013).

Chez les Kogi, l'écriture est intrinsèquement liée à la relation avec la Terre mère appelée
jaba Senulda (Dolmatoff, 1987). Selon l’autorité spirituelle Arregoces Sinmungama la principale manière de préserver Jaba Senulda est de mettre en action des pensées spécifiques à travers l’usage de certains objets.

Les écritures Kogi, Wiwa ou Wayuu entretiennent un rapport spatial et cosmogonique spécifique. En se rattachant à leur lieu d’énonciation, elles rompent avec le point de vue neutre, objectif et omniscient de la science occidentale (Grosfoguel, 2016; Moity-Maïzi, 2011 Ici,
le territoire se façonne à travers une pensée mise en mouvement qui articule corps et espace. Par exemple, les femmes Kogi tissent généralement leur mochila pendant de longues marches, et les hommes utilisent leur poporo pendant qu’ils chassent.

I
ci, le territoire se façonne à travers une pensée mise en mouvement qui articule corps et espace.

L’écriture alphabétique est linéaire et unidimensionnelle : elle suit l’ordre des phonèmes, en déroulant la parole dans le temps. Or, le tissage ou la céramique s’organisent en trois dimensions ; on peut parler de caractéristiques “pluri-dimensionnelles” (Leroi-Gourhan, 1964, 290) : leur liberté dimensionnelle est plus vaste. Dans le cas du sac et de la calebasse Kogi, l’ordre des pensées, des paroles, des dialogues ne suit pas une ligne droite, mais la forme d’une spirale qui prend du volume.

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10 Si les écritures Kogi et Wiwa sont attachées à une pratique orale, sont-elles pour autant dépourvues de toute capacité d’expansion voire d’universalisation ? À travers l’usage du poporo et de la mochila, les Kogi construisent leur vision du territoire. Selon Yanelia Mestre (2018), leader politique des communautés de la Sierra Nevada, le territoire Kogi est perçu comme un tissu de connexions entre des lieux sacrés. Ces lieux ont des fonctions particulières associées à la mer, la terre, et l’air. Le territoire est compris comme un corps vivant et renvoie ainsi à l’articulation de ces différents lieux ou “zones”, il est pensé de manière réticulaire (Rétaillé, 1997; Giraut, 2008). À la dimension politique, qui renvoie à l’organisation entre les différents lieux, il existe aussi une dimension symbolique, par laquelle les Kogi et Wiwa développent leur communication avec les ancêtres, perçus comme propriétaires de la terre.

Entre ancrage et expansion, l’écriture dessine un rapport au territoire

Les matériaux nécessaires au tissage et au poporo symbolisent le maillage territorial de la cosmogonie Kogi. Pour les Kogi, chaque élément de la nature a un père et une mère spirituels, situés à des endroits spécifiques de la Sierra Nevada. La préservation du territoire est liée à l’équilibre et l’harmonie entre ces lieux. Lorsqu’un Kogi meurt, son poporo est amené dans une grotte et chaque élément qui le compose retourne à son parent spirituel. Les pensées accumulées sur l’objet sont “nettoyées” et reviennent à l’Ezuama (la lagune ou lieu sacré) d’où provient la filiation du Kogi. De la même façon, le coton utilisé pour le sac retourne à la mère du coton et les pensées à l’Ezuama de la femme Kogi.

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Image 11 : Dessin, Rapport spatial poporo, Ana Maria Lozano Rivera, 2021

Image 12 : Rapport spatial mochila, Ana Maria Lozano Rivera, 2021

11 Le sac et la calebasse sont issus d’un savoir pratique transmis de façon transgénérationnelle. L’appartenance collective imprègne le tissu et le poporo : leur confection se réalise toujours en communauté, en se nourrissant du dialogue constant. De cette façon, le volume qui se crée reflète plusieurs interactions.

Selon le Kogi Juan Carlos Mamatacan, le
poporo et le sac tissé s’utilisent pour « amarrer leurs pensées », de la même façon que la terre “s’amarre au soleil et gravite autour de lui en orbite”. Lors de la construction de ces objets, la pensée s’élabore de façon circulaire. Le sac croît en spirale depuis un centre ; le poporo croît par le mouvement circulaire du bâton autour de la calebasse. L’action de tisser ou d’accroître la calebasse indique une expansion dans l’espace-temps cyclique et non pas linéaire/progressive.

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Image13 : Dessin, rapport cosmogonique mochila, Ana Maria Lozano Rivera, 2021

Image 14 : Dessin, apport cosmogonique poporo, Ana Maria Lozano Rivera, 2021

12 Cette connaissance est associée à une approche cosmogonique, par ailleurs prônée comme procédé de distinction par les autorités locales elles-mêmes. Ainsi le Kogi Lucas Coronado explique “la connaissance du monde matériel a été laissée aux petits frères [les non-indigènes]. Il a hérité de la possibilité de transformer le monde matériel pour construire des avions, de transformer la matière organique pour créer des technologies. Pour nous au contraire, nous avons reçu la connaissance spirituelle, nous veillons à l’organisation du monde spirituel”.

En langue Kogi, le verbe “
jangwi” signifie à la fois penser et aimer. Il n’existe donc pas de dichotomie entre l'affect et la raison. Ainsi, pour les Kogi, le fait d’apprendre est continuellement traversé par la sensibilité. Cette approche subjective permet d’allier le lieu d’énonciation à une dimension cosmogonique. La cosmovision Kogi et Wiwa, comme d’autres savoirs dits “locaux”, n’est donc pas dénuée d’universalisme (Amselle, 2001; Moity-Maïzi, 2011).

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13 Rituel du pagamento et oralité décrivent le rapport à la connaissance Kogi et Wiwa. José Daza est étudiant en sociologie à l’Université Externado. Dans son travail de mémoire, il souhaite comprendre les conceptions Wiwa du “territoire” à travers l’usage de sa langue (le damana). Lorsqu’il enquête auprès des mamos de sa communauté, il doit effectuer une « harmonisation territoriale », à travers la réalisation de pagamento ou « protocoles » établis par les mamos. Pour José Daza : “Il faut d’abord payer, il faut d’abord consulter”.

Lors des
pagamento, les Kogi et les Wiwa réalisent des offrandes à des endroits précis du territoire, en disposant des objets symboliques pour préserver l’équilibre entre les lieux sacrés de la Sierra. Ces trajectoires ritualisées façonnent ce “corps-réseau” en tant qu’espace sensible et relationnel. Lors de ces visites, les Wiwa et les Kogi nourrissent des lieux précis et leurs ancêtres en mobilisant des pensées spécifiques charges des affects dont chaque lieu peut avoir besoin pour son alimentation. Par exemple certains lieux ont besoin de récits de rêves, ou d’autres sites ont besoin d’être nourris par la colère que les participants ont pu ressentir par rapport à un évènement précis.

Pour accompagner les
pagamento, les Wiwa et les Kogi utilisent des chants spécifiques qui renforcent le lien avec ces lieux. Par exemple, les chants Wiwa « shihkakubi » renvoient en particulier aux graines, aux cultures et aux maladies associées. Chaque chant s’identifie à un endroit précis du territoire : pour comprendre à quel lieu et parent spirituel ils s’adressent, les Wiwa doivent savoir distinguer les différentes mélodies associées.

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Audio 2 : Maria Elena Pastor, Chant du fleuve masculin, enregistré par José Daza, 2020

Audio 3 : Maria Elena Pastor, Chant des montagnes sacrées, enregistré par José Daza, 2020

14 Dépourvus de mots, les chants s’apparentent à des fredonnements lorsqu’ils ne sont pas interprétés par des instruments. José Daza a enregistré les chants interprétés par la Saga (autorité spirituelle féminine Wiwa) Maria Elena Pastor afin de conserver cette mémoire face aux transformations sociales.

“Il est crucial que notre peuple sache ce que veut dire être Wiwa et préserve son essence. Nos pratiques, activités, dynamiques et processus spirituels doivent être compris pour pouvoir formuler les pensées et façons d’être Wiwa. Le chant
Shihkakubi est une manière de souligner ces valeurs et de les préserver pour ne pas qu’elles s’éteignent au sein même de notre communauté.”

Est-il possible de construire un dialogue entre les savoirs et quels outils nous le permettent ? La circulation des connaissances Kogi, Wiwa ou Wayuu au sein de l’espace académique est-elle possible ?


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Enjeux de circulation

15 La circulation renvoie aux opérations et négociations mises en œuvre par différents acteurs afin de sélectionner et valider certains savoirs (Agrawal; Moity-Maïzi, 2011; Chartier, 2016). Ce processus engage des rapports de force, tant au niveau global que local. Au sein des sciences sociales, les courants “contre-hégémoniques” se donnent ainsi pour objectif de renverser les rapports de force épistémiques, c’est à dire, de répondre à l’hégémonie du Nord global dans la production des savoirs académiques (Keim, 2011). Différents acteurs se donnent alors pour objectif la construction ou protection de savoirs “alternatifs” afin de rompre les hiérarchies entre différents types de savoir (Meiser, 2017).

Si les savoirs “indigènes” et “locaux” span aujourd’hui l’objet de revalorisation de la part des organismes internationaux (ONU:1992) ou de l’académie, le dialogue épistémique n’est cependant pas sans défi. Tout d’abord, il faut noter les risques d’essentialisation ou la folklorisation de certains savoirs, en les associant à une catégorie culturelle ou à un contexte donné (Fabricant 2013; Quilleré, 2016). Ensuite, la récupération de notions ou valeurs “autres” peut conduire à ce que Ramon Grosfoguel nomme “l’extractivisme épistémologique” (2016), c’est à dire la réification des connaissances et formes d’existences humaines et leur instrumentation pour son propre bénéfice. Aussi, comme le signale Silvia Rivera Cusicanqui, les auteurs critiques (ici de la théorie décoloniale) ne sont pas à l'abri de reproduire cette appropriation épistémique, en théorisant des notions appropriées des populations étudiées (2010). Bien que les procédés soient différents, on peut y voir une forme de continuum avec la “conquête des savoirs” du Nouveau Monde entre les XV et XVIII siècle, au cours de laquelle les savoirs des peuples colonisés sont récupérés, extraits de leur contexte et copiés afin d’alimenter les connaissances scientifiques (Boumediène, 2019). Autant de défis éthiques et politiques sont au cœur même de la production du présent article. Historiquement, de nombreuses formes de résistances se sont organisées parmi les populations colonisées, notamment à travers la “stratégie du secret” (Boumediène, 2019:318). Aussi peut-on envisager les protocoles Kogi et Wiwa d’apprentissage comme des façons de protéger leurs connaissances. La diffusion des connaissances Kogi et Wiwa en dehors de leur contexte d’énonciation fait face à différents conflits politiques et rapport de force au sein des communautés indigènes comme académiques. Au-delà, il existe aussi des défis pratiques, résidant dans la traduction, l’interprétation et la diffusion de ces pratiques orales et graphiques, relevant d’un cadre gnoséologique distinct de celui de l’académie.


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L’hétéro-graphie comme outil dialogique

16 Les défis de traduction dans le cadre d’un dialogue des savoirs symétriques conduisent à redéfinir la place des langues et techniques d’écritures dominantes (Mato, 2018). Comment est-il possible de rendre compte des catégories de pensées d’une langue originaire dans une langue hégémonique sans trahir son sens profond ? (Valdez et autres, 2018:120). Approcher d’autres gnoses (Mignolo, 2003) passe par l’usage de techniques alternatives.

Dans les projets collaboratifs, se co-construisent de nouvelles méthodologies afin de faciliter la traduction et l’interprétation. Ces procédés peuvent être considérés comme des “hétéro-graphies” et des “hétéro-ethnographies”. Aussi, en contrepoint de l’ethnographie classique, qui selon Michel de Certeau se conçoit comme une “hétérologie qui fait de l’autre son objet”, il s’agit de favoriser un discours établi par l’altérité elle-même. Ces outils s’inscrivent dans les approches participatives qui envisagent de renverser la relation sujet-objet (Fals Borda, 2009; Mato, 2000), en proposant des matériaux empiriques.

Ana Maria Lozano Rivera a mis en pratique cette méthode lors de son travail de terrain auprès des Kogi. Afin d’étudier la production sensible du territoire en tant qu’espace-corps (Cartry, 1979) et réseau, elle applique des méthodologies non-discursives comme la cartographie sensible. Cette méthode participative (Olmedo et Mekdjian, 2016), invite les personnes concernées à figurer leurs trajectoires à l’aide de différents matériaux (ici, des pierres). Elle restitue les connaissances émiques du territoire à partir des expériences vécues, ainsi que la mise en lumière des relations affectives des participants qui la réalisent. Afin d’essayer de retracer leur trajectoire et de comprendre leur lien au territoire, elle a réalisé avec eux des ‘
pseudo-pagamento’ en demandant aux Kogi de déposer des pierres sur une feuille en pensant aux lieux rituels, ainsi qu’aux espaces importants de leur histoire personnelle.

Ces cartographies hybrides intègrent une perspective multidimensionnelle et sensorielle. Ana Maria Lozano Rivera fait appel à l’art pour explorer le rapport sensible des Kogi, en tenant compte des spécificités culturelles et genrées. Si ce travail d’hybridation se restreint ici au territoire Kogi, les “hétéro-graphies” peuvent aussi circuler au-delà du contexte d’énonciation Kogi.


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Image 15 : Cartographie sensible féminine, Ana Maria Lozano Rivera, 2019

Image 16 : mamo Jose Martin en train de faire sa cartographie, Ana Maria Lozano Rivera, 2019

Image 17 : Cartographie sensible masculine, Ana Maria Lozano Rivera, 2019

Circulation d’écritures et de savoirs indigènes

17 En Colombie, l’activisme des mouvements indigènes a permis d’intégrer leurs savoirs dans l’enseignement supérieur à partir des années 1990, notamment à travers les politiques publiques interculturelles mais aussi des démarches autonomes.

Par l'acquisition de connaissances académiques et d’un grade universitaire, les étudiants se posent ainsi en tant qu’intermédiaires légitimes pour rendre visibles les connaissances de leur communauté. Maintenant diplômé, Ángel Robles Epieyu fait partie de la “
Junta Autonoma Mayor de Palabreros” (Conseil autonome de médiateurs au sein du peuple Wayuu) et réfléchit aux différentes façons de résoudre les conflits territoriaux Wayuu. Il cherche à fortifier et à restaurer les mécanismes internes de solutions au conflit. Le tissage, en tant que lecture et façon d’interpréter sa langue, est un outil de résistance. En effet, ici, il ne représente pas seulement un produit artisanal à valeur économique, mais il permet aussi de revendiquer une identité et un savoir-faire tout en racontant une histoire propre.

Comme nous l’avons vu, lors de son travail de terrain, Ángel Robles Epieyu s’est entretenu avec les membres de sa communauté pour discuter des conflits sur le territoire et une femme Wayuu a consigné ces paroles en tissant un sac. Il en restitue la traduction dans cette vidéo :


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Vidéo 3 : Écriture Wayuu – Tissage et cercles de parole autour des conflits territoriaux Wayuu, Ángel Robles Epieyu, 2021

18 Au-delà de l’échelle nationale, les mouvements indigènes négocient leur place sur la scène internationale et diffusent leur vision du monde à travers un réseau d’acteurs du secteur académique, civil, associatif, etc. Par exemple, en France, les autorités locales Kogi ont noué des liens avec l’association Tchendukua. En 2018, des Kogis ont été invités dans la Drôme pour réaliser un “Diagnostic territorial croisé” en dialogue avec une trentaine de scientifiques européens. Le but était d’établir l’état de santé du territoire du Haut-Diois.

Initié par l’association Tchendukua, ce dialogue vise à contribuer à la construction d’un discours politique sur la protection de l’environnement et de la diversité culturelle. Il s’inscrit dans le cadre d’une ouverture politique citée plus haut, et orchestré par les instances internationales (OIT, 1989; ONU, 1992). Du côté scientifique, les intérêts peuvent être nombreux : allant du dialogue à l’appropriation des connaissances, avec le risque d’essentialisation que cela peut entraîner. De leur côté, malgré ces défis, les Kogi peuvent trouver un double intérêt à intégrer ces processus. D’une part, leur discours gagne en visibilité et ils peuvent se saisir de l’espace créé comme d’un lieu pour relayer les difficultés politiques et territoriales qu’ils rencontrent ou leur préconisation sur l’environnement. D’autre part, ils peuvent tirer profit des ressources de l’association, puisque celles-ci récoltent des fonds dans le but de r
acheter les terres qu’ils ont perdu par expropriation

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Image 18 : Trois Kogi en face d’une montagne dans la Drôme, 2018.

19 Ana Maria Lozano Rivera a fait partie de l’équipe d’artistes invitée à l’occasion. L’interprétation et les connaissances Kogi s’exportent dans un contexte d’énonciation (ici, la Drôme) qui leur est étranger, et se transposent à travers des méthodes d’enquêtes nouvelles. Ana Maria Lozano Rivera, mamo Shibulata, saga Narcisa, mamo Bernardo et Arregoces Coronado expliquent le choix de leur méthode :

“ Sur une première cartographie, nous avons dessiné les montagnes et les lacs tels qu'on les perçoit habituellement, ce que nous appelons (en tant que Kogi) le ‘monde visible’ : des collines, des rivières, des pierres sans connexion apparente. Le dessin ci-dessous a été réalisé à plusieurs mains, y compris le Kogi Arregoces Coronado qui n’avait jamais dessiné et peint auparavant.”


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Image 19: Dessin collaboratif, Cartographie du monde visible, de gauche à droite les lieux symboliques Junkuakuui, Maku, Kagshibaka, Junkuakukui, Jugukui, Nugsuzuldue, Nagkuakuka, Ana Maria Lozano Rivera, 2018

20 “La deuxième cartographie décrit le monde tel qu’il est perçu en Aluna, le concept d’Aluna a était décrit par Reichel-Dolmatoff comme la dimension où se trouve tout le potentiel de création, c’est le monde des forces subtiles qui donneront forme au monde visible. Dans ce registre de lecture du monde, il est possible de percevoir les connexions spirituelles et énergétiques qui existent entre les lieux. Nous (en tant que Kogi) avons proposé, pour la représentation symbolique des lieux sacrés, des formes particulières de coquillages qui correspondent soit à des espèces utilisées lors de travaux spirituels pour équilibrer ces lieux, soit à des coquillages que nous avons trouvés sur les lieux mêmes.”

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Image 20 : Dessin collaboratif, Cartographie du monde invisible de la vallée de la Drôme, de gauche à droite les lieux symboliques Junkuakui, Maku, Kagshibaka, Junkuakukui, Jugukui, Nugsuzuldue, Nagkuakuka, Ana Maria Lozano Rivera, 2018

Repenser la méthodologie classique par l’hétéro-ethnographie

21 En transcrivant un discours depuis l’altérité ; ces hétéro-ethnographies ressuscitent cet “absent” de l’institution académique (Certeau, 1973:245). Une réflexion profonde sur le cadre épistémologique et les modes d’écriture est nécessaire pour cerner les manières dont elles organisent notre rapport au monde et conditionnent sa compréhension.

Une réflexion profonde sur le cadre épistémologique et les modes d’écriture est nécessaire pour cerner les manières dont elles organisent notre rapport au monde et conditionnent sa compréhension.

Les étudiants José Daza et Ángel Robles Epieyu occupent, par exemple, différentes positions sociales qui s’entrecroisent. À l’université, ce sont des représentants de leur communauté invités à préserver leur identité culturelle. Leur recherche et travaux collectifs qu’ils effectuent consistent à répondre aux défis sociaux rencontrés dans leur communauté. Pour les membres de leur communauté, ce sont aussi des étudiants diplômés et des citadins. Leur position oscille donc en fonction de leur environnement, entre différentes catégories apposées.

“Je suis arrivé à Bogota et j’ai passé cinq à six ans sans voir ma communauté (...) et quand je suis rentré sur mon territoire, on voyait le changement, jusqu’à dans ma façon de m’habiller, de parler… (...) Ils [les membres de sa famille] rigolaient, me disaient que j’étais blanc, que je pensais comme les gens de la ville, ils se moquaient un peu” Ángel Robles Epieyu

Les blocs-notes, les dictaphones et les techniques d’entretien classiques ne span qu’accroître cette distance. Pour la réduire, renforcer leur identité et collecter des informations, les deux étudiants suivent le quotidien et les pratiques de leur communauté.

“C’est comme étudiant et enquêteur que j’ai pris conscience de l’importance de trouver des stratégies alternatives appropriées pour la communauté Wiwa, qui permettent de transformer et de rompre avec les paradigmes occidentaux dans les façons de penser, de sentir et d’agir, à l’intérieur de notre peuple” José Daza.


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Construire des méthodologies propres ou hybrides

22 De son côté, Ángel Robles Epieyu a développé une méthode propre qu’il a appelé les « cercles narratifs de parole » et qu’il intègre au même titre que les entretiens ou cartographies, dans son travail de mémoire :

“Sur le terrain, tu arrives avec ta perception de la recherche, mais le territoire te donne d’autres outils pour que tu puisses articuler, associer et compléter ta compréhension. À partir de là, on peut générer d’autres façons de faire de la recherche”.

Cette méthodologie s’inspire d’une pratique Wayuu consistant à se réunir en cercle pour parler.

“Généralement, nous parlons en cercle et cela tourne toujours autour d’une activité quotidienne sur le territoire. (...) Quand les Wayuu se lèvent, la première chose qu’ils span c’est de former un cercle, et là, ils commencent à narrer, à narrer”.

Il peut ainsi obtenir des informations plus aisément et prendre la mesure des liens qui s’établissent entre les trajectoires de vie des enquêtés et la production du territoire.

“Ces cercles de parole s’effectuent dans beaucoup de communautés indigènes. Ils utilisent des histoires, parlent à travers des métaphores sur l’existence du fleuve, des montagnes, les savoirs du désert, des marées, et finalement toutes ses paroles se span en référence au territoire, ils associent leur existence comme partie d’un tout. C’est très intéressant parce que généralement l’enquêteur parle d’une série de faits, et il se sent isolé de ce qu’il étudie. Dans le cercle, toi aussi tu fais partie, tu narres ton histoire, tu apprends l’histoire des autres ; c’est une contribution pour savoir ce qui se raconte, pourquoi, quand (...) et cela te permet à toi de comprendre le monde, selon ton peuple et la recherche, de comprendre ce qu’ils disent selon leur logique de pensée”.

Les étudiants les plus impliqués deviennent des porte-paroles de leur communauté. Leur activisme au sein de l’université ou dans la société civile souligne la dimension politique des processus de construction, de sélection et de circulation de savoirs, écritures ou méthodes.

Enfin, ces méthodologies soulignent la dimension collective de la formation du savoir. Il s’agit de situer la connaissance transmise, non seulement vis-à-vis du point de vue de l’enquêteur, mais en ancrant celle-ci dans une démarche collaborative, enrichie par l’environnement social étudié :

“La communauté est un acteur principal dans l’élaboration des connaissances. Parfois, l’étudiant reçoit tous les honneurs, comme si c’était lui qui savait, lui qui a abordé ce thème, lui qui comprend tel concept, et la communauté reste à part. Il est important que la communauté reste le point central du projet de recherche et qu’elle aussi dispose de la connaissance” Ángel Robles Epieyu.

La méthodologie employée intègre non seulement la communauté, mais aussi les lieux spécifiques du territoire. Pour les Wiwa, la co-production d’information se réalise avec les
mamos et avec les éléments naturels et spirituels qui entourent chaque lieu. José Daza doit effectuer des offrandes à la terre afin de pouvoir écrire son mémoire et restituer les concepts Wiwa. Ici, la transmission de la connaissance ne peut s’établir sans un dialogue avec l’écosystème.

“À la faveur de la puissante combinaison du sujet attentif et de l’objet géographique, les lieux génèrent leurs propres domaines sémantiques (…) ainsi, et ce, même dans un silence total, les lieux semblent être
doués de parole” Keith Basso (2016)

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Conclusion

23 Les expériences hétéro-graphiques et hétéro-ethnographiques répondent à une nécessité que nous observons sur notre terrain d’enquête : celle de la construction de moyens et d’outils interprétatifs non hégémoniques, pour approcher d’autres conceptions du savoir, d’autres façons de comprendre le réel. Les hétéro-ethnographies nous permettent de déconstruire le schéma classique de l’ethnographie en créant un cadre de rencontre où les différents modes de communication symboliques et sensibles jouent le rôle de traducteurs. Ces méthodologies sont aussi un véritable défi car elles requièrent l’élaboration d’un processus de contrôle et de vérification dialogique, ce qui complique l’analyse.

Ces expériences s’inspirent des formes de graphies utilisées par les communautés amérindiennes et longtemps reléguées comme des non-écritures.
Le dialogue épistémique est soumis à une série de défis, parmi lesquels la diversité linguistique, la persistance et l’intégration des hiérarchies raciales, la diversité des procédés interprétatifs et cognitifs ou encore les barrières d’accès aux connaissances. Surtout, il est nécessaire de situer ce dialogue dans un contexte politique et social conflictuel, hérité d’une longue période coloniale, pendant laquelle les savoirs indigènes ont non seulement été marginalisés, mais aussi sélectionnés, copiés, archivés ; en somme, volés et colonisés (Boumediène, 2019).

Le dialogue épistémique est soumis à une série de défis, parmi lesquels la diversité linguistique, la persistance et l’intégration des hiérarchies raciales, la diversité des procédés interprétatifs et cognitifs ou encore les barrières d’accès aux connaissances.

Le climat actuel de tensions qui règne dans les régions indigènes colombiennes influence les processus de production et de légitimation des savoirs. D’une part, il accentue la méfiance et la volonté de préserver les connaissances face à une pensée scientifique moderne assimilatrice et d’autre part, il tend à renforcer les actions de légitimation orchestrée par les organisations indigènes et académiques. Aussi, les hétéro-graphies et les hétéro-ethnographies sont-elles le produit de ces négociations et de ces rapports de force. Elles donnent à voir ce qu’il est possible de transmettre : limitées de part et d’autre par la résistance normative du champ académique et par la préservation de certaines connaissances face aux appropriations et expropriations scientifiques. Toutefois, l’exploration de ces outils méthodologiques ouvre un champ particulièrement fécond pour les sciences sociales en croisant des perspectives multiples à travers le filtre de l’interprétation mutuelle. Il revient aux acteurs sociaux et académiques de manipuler ces objets hybrides avec précaution, en tenant compte des héritages historiques et des positions socio-politiques occupées, pour éviter, entre autres, de participer à une récupération épistémique, à une dilution ou à une folklorisation des savoirs.

Parmi les nombreuses questions que ce travail soulève, nous sommes amenées, en tant qu’anthropologue et sociologue, à nous questionner sur l’intérêt et les limites d’une démarche purement académique pour interpréter et comprendre différentes gnoses : pourquoi faudrait-il intégrer ces connaissances dans un corpus scientifique ? Qu’est-ce qui se perd dans cette décontextualisation ? Ces formes de connaissance nous invitent à sortir du cadre académique et à envisager les savoirs du point de vue de leur action transformatrice. Nous suivons ainsi l’approche de Paulo Freire qui appelle à une “praxis libératrice” en considérant le savoir comme un moyen de transformer la réalité, à travers sa mise en action. Au-delà de l’écriture académique, il nous apparaît alors essentiel de légitimer la “praxis” - cette action que l’on peut concevoir dans les écritures Kogi et Wiwa - comme un processus d’apprentissage et un mode de compréhension qui ne peut être totalement traduisible dans la pratique théorique. Cette même perspective s’illustre par les questionnements du
mamo Shibulata à propos des pratiques scientifiques, lors du diagnostic croisé dans la Drôme (Tchendukua, 2018):

“Les petits frères ont beaucoup appris, ils savent explorer les planètes, faire des machines, ils sont écologistes, naturalistes, mais on se demande pourquoi, avec toutes ces études, ces savoirs, ils continuent à détruire les choses ? On est arrivé très loin dans la destruction et tout va être éliminé. Vous ne faites pas attention aux signes, aux connaissances. Finalement à quoi sert un professeur ? Un chercheur ? Quels sont les résultats ? Est-ce que c’est pour faire des débats ? Ou est-ce que cela permet de vivre plus tranquille, sans tout abîmer, soigner et s’entraider ?”

Enfin, ce travail nous conduit aussi à interroger la personnification du savoir à laquelle renvoie les normes académiques en matière d’auteurs. Comme nous l’avons vu, le processus de connaissance renvoie à une production collective et sociale - ici, nous l’espérons, dialogique - ainsi qu’aux interactions avec le monde environnant. Pour cette raison, nous souhaitons souligner le caractère collectif de ce travail en remerciant les espaces français et colombiens impliqués et les êtres qui le composent, ainsi que nos co-auteurs et interlocuteurs, grâce à qui nous rassemblons le produit de cette réflexion collective :
Ángel Robles Epieyu, José Daza, Maria Elena Pastor, Judith Nuvita, Juan Carlos Mamatacan, Arregoces Simungama et Maria Joaquina Mamatacan.

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Notes

1. La gnose, selon Mignolo (2003) a pour objet d’étude les relations entre la doxa et l'épistémè. L’auteur fait référence à la “gnoséologie” comme théorie de la connaissance en général pour aller au-delà de l’épistémologie qui considère l’étude des conditions de production de la connaissance seulement dans le cadre de la science.

2.L’écriture maya est logographique au même titre que les sinogrammes chinois, c’est-à-dire que leurs symboles graphiques s’associent à des mots et non à des phonèmes, comme le feraient les écritures latines ou arabes.

3. Par la « phonétisation » de l’écriture (Leroi-Gourhan, 1964)- l’utilisation de symboles graphiques pour représenter des phonèmes, l’écriture intégrale permet la restitution de l'entièreté de la parole.

4. Le
mamo, traduit littéralement : soleil. Celui-ci accomplit le rôle du prêtre. Chaque village compte au moins deux mamos et ceux-ci encadrent la vie religieuse et politique des villages.

5. La rationalité ne fait alors pas l’unanimité parmi les philosophes des Lumières, même si elle finira par s’imposer et sera considérée comme un de ses fondements (Stoler, 2012; Castro-Gómez, 2013; Santos, 2019

6.
Ángel Robles Epieyu (2020) « Origen, Herencia y persistencia de los conflictos interfamiliares Wayuu: un aporte en la construcción de nuevas narrativas, para sanar historias de vida y territorio” Thèse de Master en Psychologie, Université Externado, Bogota.

7.
Son travail de recherche s’intitule « Sentidos y lógicas de la tierra desde la cosmovisión Wiwa » (Sens et logique de la terre depuis la cosmovision Wiwa)

8. De moins en moins de Wiwa apprennent à le chanter : la pratique n’est pas transmise dans les espaces scolaires et l’acculturation raréfie les références à la musique traditionnelle, pour privilégier des chansons populaires nationales comme le Vallenato, la Gaïta, le Reggaeton ou la Champeta par exemple. Ces transformations sociales altèrent la transmission des connaissances et des relations établies avec le territoire.

9. Depuis l'arrivée des Espagnols à la Sierra Nevada en 1514 (Dolmatoff 1986) les Kogi sont victimes de déplacements, de destructions de villages, de vols de terres, de menaces et d’enlèvements. Avec l’apparition des groupes paramilitaires et la montée de la production de cocaïne dans les années 1990, l’armée, la guérilla et les paramilitaires s'affrontent sur leur territoire: ils ne peuvent donc plus circuler comme ils veulent et se span accuser de collaborer avec l’un ou l’autre des acteurs de cette guerre civile (Tchekundua, 2012).

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Femme Wayuu qui tisse une mochila. Ana Maria Lozano Rivera 2021

Pour citer cet article : Claire Lapique et Ana María Lozano Rivera, « Transcriture » : écrire les savoirs - Graphies Kogi, Wiwa et Wayuu (Colombie), publié le 1er décembre 2024, antiAtlas Journal #6 | 2024, en ligne, URL : https://www.antiatlas-journal.net/anti-atlas/06-lapique-lozano-transcritures-ecrire-les-savoirs-graphies-kogi-wiwa-wayuu-colombie, dernière consultation le Date

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