http://www.antiatlas-journal.net/pdf/01-Amilhat-Szary-revendiquer-le-potentiel-critique-des-experimentations-arts-sciences-sociales.pdf

antiAtlas Journal #01 - Printemps 2016

Revendiquer le potentiel critique des expérimentations arts-/sciences sociales ? Portrait du chercheur en artiste

Anne-Laure Amilhat Szary

Professeure de Géographie politique à l’Université Grenoble-Alpes et directrice du laboratoire PACTE (UMR5194), membre de l‘Institut Universitaire de France. Le travail d’Anne-Laure Amilhat Szary sur les frontières l’a amenée à formuler la notion de « frontière mobile ». Ses dernières recherches sont consacrées aux relations entre l’espace et l’art contemporain dans, et à propos des lieux contestés. Elle a participé à la fondation du collectif antiAtlas des frontières.

 

Mots-clés : expérimentation, expérience, sensible, dissensus, critique, esthétique, politique, émancipation, discipline, disciplinaire, pluridisciplinarité, transdisciplinarité, institution

 

Remerciements : ce texte a été rédigé dans sa première version lors l’une résidence informelle au Musée Dauphinois (Grenoble) grâce à l’hospitalité de son ancien directeur, Jean Guial ; il doit énormément aux discussions avec Jean Cristofol au sein du collectif antiAtlas, mais aussi avec Gretchen Schiller, Sarah Mekdjian et Naïma Ghermani, compagnes de routes d’explorations sciences-amitié.

Illustration 1 : extrait de la vidéo A Portrait of the Artist as a Worker (rmx.), installation d’Ina Wudtke présentée au MuHKA d'Anvers en 2006

Pour citer cet article : Amilhat-Szary, Anne-Laure, "Revendiquer le potentiel critique des expérimentations arts-sciences sociales ? Portrait du chercheur en artiste", paru le 13 avril 2016, antiAtlas Journal #1 | 2016, en ligne, URL : https://www.antiatlas-journal.net/01-revendiquer-le-potentiel-critique-des-experimentations-arts-sciences-sociales, dernière consultation le date

I Introduction : Le binôme sciences/art, levier critique ?

a. Aussitôt consacré, aussitôt décrié…

1. En quoi le binôme sciences/arts peut-il encore constituer un levier critique intéressant? Quels types de déplacements se jouent-ils pour ceux qui participent aux initiatives se revendiquant de ce croisement, tant leurs initiateurs que leurs publics ? S’agit-il de produire des connaissances autrement ? De faire sentir la dimension esthétique de cette rencontre ?Cette association de termes est-elle susceptible de s'inscrire dans une perspective politiquement émancipatrice ? Dans le lieu de cette rencontre sciences/arts, les façons dont se déplacent les rapports de savoir et de pouvoir restent terra incognita à explorer.

Le binôme science/arts, un levier critique ?

À l’heure d’écrire ce texte, les dispositifs reliant arts et sciences (ou sciences et art) sont couramment décriés par les artistes… alors même que les scientifiques se mettent à en multiplier l'usage: un paradoxe qui incite à penser combien ce rapprochement demeure problématique ! Derrière les substantifs (art et science), à utiliser au pluriel pour ne pas les essentialiser (sciences et arts), se déroule un processus. Pour qui s’y engage, l’enjeu est de ne pas naviguer entre ces catégories sans simplifier ni instrumentaliser l’autre et sa position. Sans problématisation, c’est pourtant ce à quoi on aboutit trop souvent le scientifique se sert des medias proposés par l’artiste pour diffuser autrement les résultat de sa recherche, l’artiste utilise les résultats et méthodes de recherche pour créer autrement sans reconnaître la co-production du travail.

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2. Du point de vue de la scientifique que je suis, l’art m’intéresse en ce qu’il est susceptible d’engager la production de connaissances vers un terrain qui ne la préoccupe que rarement, celui de ses destinataires : peut-on produire de la science pour d'autres que nos pairs ? En ouvrant le débat sur les liens qui se nouent avec les récepteurs des créations dites « arts/sciences » (en Français du moins, d’autres langues préférant la notion de « recherche-création ») je souhaite comprendre en quoi ces dernières sont susceptibles d’entraîner leur public dans une relation esthétique ouvrant des possibles à la fois cognitifs et politiques. Il s’agit en effet de contribuer à penser les manières de restitution des avancées de la connaissance selon des modalités qui autoriseraient la transmission de concepts inédits tout en enjoignant à l’implication personnelle (et potentiellement politique) vis-à-vis des fruits de la production rationnelle de connaissances.

Du point de vue de la scientifique que je suis 

Cela présuppose que le savoir permet d’activer des leviers d’action, et donc de pouvoir, pour ceux avec lesquels il est partagé. Cette notion d’éducation émancipatrice est ancienne, elle continue d’être activée par exemple dans le cadre des universités populaires, (cf réseau sciences action sur mon mail) mais ses modalités ont été profondément impactées par l’évolution des modes de valorisation académique. Les chercheurs contemporains sont évalués par la production d’articles spécialisés qui ne sont pas accessibles au grand public pour deux raisons, l’une ancienne (ils sont trop compliqués à lire), l’autre plus récente (le coût de leur accès a monté en flèche avec la privatisation des éditions électroniques). Traditionnellement, la vulgarisation se faisait au travers de livres de synthèse, mais ses modes opératoires sont en train d’évoluer rapidement. La dynamique sciences arts-sciences en est l’une des formes d’expression, au milieu d’une nébuleuse de nouvelles productions dont la diffusion est pour grande partie électronique (qu’il s’agisse de blogs, webdocs, d’usages des réseaux sociaux ou du contournement des barrières payantes de l’accès aux publications de référence, en hausse dans les pays riches autant que dans les pays pauvres.

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Illustration 2 : Qui télécharge les publications scientifiques piratées ? Who's downloading pirated papers? Everyone Science AAAS, Sci-Hub activity hour by hour on 5 February 2016. http://www.sciencemag.org/news/2016/04/whos-downloading-pirated-papers-everyone

3. Pousser les sciences vers l’art, c’est reposer la question de l’esthétique, un domaine où le discours universitaire dominant est resté longtemps très traditionnel, ne fonctionnant que face à une « œuvre », ou quelque chose qui fait œuvre et une conception très classique de l'art, issue du 18ème siècle. Comme si le retour d’une discussion de la relation de la science à l’art continuait à reposer sur une équivalence entre esthétique et art, c’est-à-dire sur un discours qui ne fait pas de place à la pratique artistique comme démarche d’expérimentation. Définir l’esthétique comme la mise en œuvre d’une émotion sensible, c’est rendre possible le débat sur la réception des messages scientifiques dans la société, au-delà de leurs destinataires primaires (les communautés scientifiques) et admettre que cet élargissement transforme la forme du message mais aussi son contenu : ce repositionnement des sciences n’est pas sans faire évoluer la teneur des connaissances produites.

Pousser les sciences vers l’art, c’est reposer la question de l’esthétique

Cela implique certainement de considérer que la trajectoire d’une invention ou d’une idée est sans doute en train de connaître le même type d’évolution que toutes les autres processus sociaux, passant d’une organisation hiérarchique (du lieu de production des sciences au grand public via une série d’intermédiaires diffuseurs et utilisateurs dans un but de valorisation et de vulgarisation...) à une structuration horizontale qui mettrait le chercheur en relation directe avec des publics hétérogènes (des industriels, des artistes, mais aussi des enseignants du primaire et du secondaire comme toutes formes de curieux et d’amateurs).

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Illustration 3 : Cartographier la science, territorialiser les disciplines. Source : Maps of Science: Forecasting Large Trends in Science, extrait de Klavans, Richard and Kevin W. Boyack. (2006). “Quantitative Evaluation of Large Maps of Science.” Scientometrics 68 (3): 475-499, v

b. Un pas de côté vers la spécificité du lien sciences sociales-/arts

4. Au sein de ce vaste débat, je propose ici un pas de côté dans l’aventure des dispositifs sciences-/arts pour questionner l’éventuelle spécificité d’un engagement des chercheurs en sciences sociales aux côtés de créateurs artistiques de différents domaines. D’où le fait de poser le terme de sciences en premier, d’arts en second, pour exprimer un point de vue dans le retournement de l'expression courante : d’« arts-sciences » en « sciences-/arts ». Il s’agit bien ici d’explorer le potentiel critique de la marque de ponctuation - « trait d’union » ou « slash » - posée entre deux mots, sciences et arts. L'importance du signe de ponctuation me semble particulièrement remarquable lorsque le premier terme est adjoint d’un adjectif qualificatif qui module son rapport au réel: les sciences sociales ou humaines, celles qui prennent « pour objet l’homme en ce qu’il a d’empirique » (Foucault 1988), ont ceci de particulier qu’elles décryptent des objets dont elles sont parties prenantes (Piaget 1972).

Un pas de côté dans l’aventure des dispositifs sciences-/arts

Les concepts qu’elles produisent vont, à leur tour, faire évoluer les situations humaines qui étaient leur terreau analytique. Les arts contemporains, travaillant la forme et le langage, se rapprochent de plus en plus des démarches critiques des recherches en sciences sociales. Dans ce cas donc, l’interaction entre arts et sciences ne se formule plus en termes de rapprochement de contraires mais dans la question de la modulation d’univers proches (Delacourt, Schneller et al. 2016). En quoi cette proximité peut-elle être heuristique ? Cognitive ? Disruptive ? Politique ?

Dans un numéro spécial sur l’état des sciences physiques publié à l’occasion de la découverte du boson de Higgs, la grande revue de diffusion des recherches, Pour la science consacrait un article aux interactions entre sciences et arts, son titre insistant sur les « collisions créatrices » susceptibles de se produire dans des dispositifs ad hoc. C’est aux « collisions politiques » et à leur statut d’opérateur d’événement (déclencheur de dissensus) que nous pouvons rattacher les expérimentations sciences sociales-/arts, sans pour autant tomber dans la naïveté déjà dénoncée d’un « art politique » éculé (Baqué 2004). C’est ici à la dimension épistémique de ces productions scientifiques et artistiques que je rapporte le pouvoir d’ouvrir des possibles.

Travailler sur les rapports entre régime esthétique et régime épistémologique peut-il nous permettre de comprendre les conditions d’exercice du politique que les dispositifs « sciences-/arts » induisent? L’examen des impasses d’une réduction binaire de la confrontation des deux termes (l’art ferait ce que la science ne fait pas et vice-versa, de façon complémentaire), semble permettre en effet de proposer des formes de sorties d’une « crise des disciplines » (Compagnon 2011) dont nombreux observateurs font état. Comme si le fonctionnement institutionnel des disciplines scientifiques avait fini par produire leur enrégimentement.

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Illustration 4 : Déployer des cartes autrement pour dialoguer la science ? Coder-Décoder les frontières, antiAtlas 2016 Œuvre de S. Rosière exposée à Bruxelles, http://www.antiatlas.net/coder-et-ecoder-les-frontieres-bruxelles-2016/ photographie © Anne-Laure Amilhat Szary

c. Le vrai, le beau, le bien

5. L’article reprend dans ses titres de partie l’axiologie platonicienne entre le vrai, le beau et le bon... Il se trouve qu’un des ouvrages de Victor Cousin, re-fondateur de l’enseignement de la philosophie à la Sorbonne au 19ème siècle portait ce titre, Du Vrai, du Beau, du Bien (Cousin 1953). Il connut dès sa parution un grand succès sur lequel je propose revenir au seuil de ce texte: cette équivalence entre les termes du « vrai », du « beau » et du « bien » (qu’une majuscule vient ériger en catégories fermées) se produisit au moment où l’université se donnait comme projet d’encadrer la production de connaissances dans des silos disciplinaires : la perspective métaphysique légitimait le cloisonnement des savoirs et des pratiques. Détourner ces trois notions du « vrai », du « beau » et du « bien » me permet dès lors de mieux comprendre comment l’enfermement disciplinaire et institutionnel peut bloquer le potentiel critique des interactions entre sciences et arts, et faire quelques propositions pour ré-ouvrir ce débat.

Repartir de l’axiologie platonicienne

La richesse des interactions sciences-/arts est souvent attribuée à l’indisciplinarité créative des pratiques artistiques qui ignorerait la segmentation des champs de production scientifique (Loty 2005, Huys & Vernant 2012), voire à leur extradisciplinarité (Holmes 2007, 2009). Cette capacité à échapper au cadre serait aussi celle de se soustraire aux normes qui lui sont liées, donc à produire les conditions d’une action politique subversive. Ce potentiel existe, mais il n’est pas systématique, les mondes de l’art ayant leurs propres règles - notamment en terme de reconnaissance par le marché et les mondes de la critique qui les enferment d’une autre manière.

Tous ces termes sont problématiques en soi, ainsi que dans leur traduction. Ma réflexion part donc de la critique des catégories d’ « artiste » ou de « scientifique » pour s’intéresser aux modes et régimes de production que ces acteurs mettent en œuvre dans leurs pratiques. Pour ce qui concerne le croisement sciences-/arts, on parle dans le champ anglophone plus volontiers de arts-based research ou de practise-base research que de dispositifs arts-sciences, ou sciences-arts… Les Québécois en ont même forgé l’idée de recherche-création… La proposition que je fais ici, c’est bien celle de déplacer le projecteur, depuis la mise en valeur du résultat d’une recherche, vers le processus de maturation de ce résultat.

Je commence donc par analyser les discours qui justifient ces croisements arts/sciences pour en montrer à la fois les tendances structurelles et les effets d’appel liés à l’évolution des institutions et des marchés dans lesquels les acteurs de ces co-productions « sciences-/arts » évoluent. Il apparaît dès lors que les sciences sociales trouvent une inscription assez particulière dans ces dispositifs que je me propose justement d'expliciter dans ce texte.

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II. Par-delà le beau. De quoi la forme est-elle le nom ?

a. Une quête désespérée d’innovation dont l’art serait le modèle analogique ?

6. Arts-/sciences, sciences/arts : de quoi s'agit-il en fait, si ce n'est du surgissement relativement récent de collaborations entre personnes issues du champ de la production universitaire de connaissances d’une part et d'acteurs se positionnant dans celui des pratiques créatives de type très divers d’autre part. Paradoxalement, l’expression exclut le fait de pouvoir être scientifique et artiste à la fois, ce qui bien entendu ne correspond pas au réel : non seulement le génie créatif n’a pas besoin d’être folie et n’exclut pas la rationalité (le lien entre composition musicale et mathématique revendiqué par P. Boulez remonte au moins à J.-S. Bach ou B. Bartok), mais l’histoire des arts et des sciences n’a finalement forcé cette distinction que pendant une période courte, celle de l’époque moderne. La pensée pour appréhender ce dualisme coïncide avec l’invention de l’esthétique par A. Baumgarten (1750) comme philosophie de l’art saisi par ses œuvres, au moment même où le champ de la technique est dessaisi de toute subjectivité expressive.

Le surgissement récent de collaborations ?

Le rapprochement des deux termes repose sur l’acceptation implicite de leur distinction. Celle-ci serait telle que leur réunification par la ponctuation en un même syntagme serait dialectique en soi. L’ordre des termes n’est pas anodin et un des couples (« arts-/sciences ») semble plus usité que l’autre: comme si l’art (ou l’artiste, terme dont l’ambiguïté reste entière, cf. Chateau 2000) pouvait plus facilement investir les territoires scientifiques que la science (ou le scientifique) assumer vraiment l’ouverture à la fréquentation et la pratique artistique...

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7. Ces associations de mots commencent à avoir leur propre histoire et il importe de valoriser cette mémoire pour ne pas repartir toujours des mêmes généralités approximatives. La revue Leonardo (The international society for the arts, sciences and technology) a en effet été fondée dès 1968 (presses du MIT de Boston) : l’initiative vient donc de scientifiques qui souhaitaient poser autrement la question de la médiation technologique. De ce moment précurseur à l’effervescence actuelle des dispositifs de rencontre et de fertilisation mutuelle, on observe tout de même un fossé important.

Ces associations de mots commencent à avoir leur propre histoire

Il importe de comprendre comment on passe d’une pratique minoritaire favorisée par des « passeurs » (personnes réussissant à créer les lieux de ces hybridations), à une généralisation de l’idée qui conduit à sa dissémination rapide depuis une dizaine d’années. Que signifie un phénomène qui est en train de devenir une mode (Filippone 2015) ?

Du point de vue de la fabrique des connaissances, le surgissement des pratiques « art-sciences » peut être mis en regard d’une double impasse réflexive, entre « désenchantement positiviste » et « exaltation esthétique » (Boucheron 2011). Pour comprendre ce qui se joue dans la relation entre ces deux termes, il faut en effet dépasser une tentation double, celle d'instrumentaliser l'autre : utiliser l'art en sciences, les sciences dans les arts, sans prendre le soin ni le temps d’analyser ce que ces transferts impliquent. Or la majorité des textes qui s'engagent sur la voie du questionnement des liens entre sciences et arts cherchent à résorber cette dialectique par la recherche de points communs : sur ce chemin il apparaît très vite que relier les sciences à l'art permet de repenser la dimension subjective des processus cognitifs, oubliée pendant des décennies au profit du discours dominant de la science comme discours objectif.

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8. L’art ne serait-il qu'un modèle analogique de disruption qui permette de renouveler le récit de l'histoire des sciences ? Parler d’arts-/sciences – ou de sciences-/arts ? – invite à penser les mécanismes d’une « pensée inventive » travaillée dès les années 1970-80. Un bref retour historique permet de rappeler à quel point cette nécessité inventive n’est pas nouvelle.

L’art, un modèle analogique de disruption pour renouveler le récit de l'histoire des sciences ?

Si elle paraît d’évidence dans le champ artistique où l’acte de production est le plus souvent identifié au processus de création, elle l’est en fait bien plus qu’on ne l’imagine dans la production de connaissances. La notion même d’ « invention » ou de « découverte » souligne la dimension discontinue des processus cognitifs. Cette part humaine et individuelle des processus est d’abord soulignée par les inventeurs eux-mêmes. Ceux d’entre eux qui ont rétrospectivement rédigé les récits de leurs grandes découvertes scientifiques reviennent tous sur la nécessité du pas de côté qui, seul, permet de s’écarter des champs d’hypothèses labourées pour proposer une formulation inédite. « La liberté dont il s’agit ici est une faculté d’initiative, d’intégration et de décrochement. C’est la liberté d’accepter une donnée qui disconvient au système, et qui va transformer toute l’interprétation. » (Claude Bernard, 1856). Ce dernier parle plus loin de « moment créateur de la découverte » et de « surgissement d’une perception nouvelle »... se plaçant finalement au croisement entre une contingence exceptionnelle et une faculté sensible lui permettant d’en capter le potentiel innovateur. J. Schlanger, dans le commentaire qu’elle fait de ce texte, évoque la « séduction » qu’opèrent sur nous ces écrits qui « rapprochent de nous l’expérience inventive comme expérience héroïque. 

Si cette individualité de l’expérience scientifique a longtemps été gommée, c’est que le processus cognitif se déroule sur un mode d’objectivation du savoir qui impose de gommer cet écart initial. La validation devant les « les tribunaux de la raison » (Latour 1989 [1987]) joue alors un second acte déterminant dans la fabrique de la science, c’est-à-dire dans la confirmation d’une scientificité attestée des faits ou des concepts. B. Latour vient là confirmer l’importance du « second » versant de la science, celui de la validation qui vient après celui de la découverte (tout comme l’art distingue le versant poïétique et le versant esthétique). Il insinue que le caractère scientifique tient moins au contenu d’une proposition qu’à la façon dont elle entre en relation avec ceux qui vont pouvoir s’en saisir : le problème de l’administration de la preuve passe notamment à travers les cercles au sein desquels celle-ci va pouvoir advenir. Les scientifiques auraient construit la notion d’objectivité en déterminant de façon asymétrique « ce que sont les non-scientifiques » (p. 445), et les excluant de cette validation. A partir du tournant des XIXe - XXe siècles, la science s’est assez rapidement institutionnalisée, identifiant des champs disciplinaires conçus comme des espaces de validation d’un type de connaissance, l’organisation académique venant reproduire une pensée positiviste héritée du 18ème siècle. De façon étonnamment comparable, l’autonomisation du «champ scientifique» advient finalement peu après celle du champ artistique (Bourdieu 1986).

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Illustration 5 : « Longue et courte durées des expérimentations :  Fonte et reconstitution des frontières dans l’estuaire de la Plata ». Extrait de l’animation composant l’installation “Tratado de Limites” (Traité frontalier) présentée par Marina Camargo à la Biennale de Porto Alegre en 2011. Courtesy l’artiste.

9. Le fait de positionner le fait créatif dans un « régime de singularité » qui, à l’opposé du « régime de communauté », privilégie ce qui est hors du commun, original, unique » (Heinich 2005, p. 40) semblerait dès lors autoriser une libération vis-à-vis de cadres de la pensée scientifique aliénants, dans la mesure où toute idée doit être placée le sceau de la validation collective.

Positionner le fait créatif dans un « régime de singularité »

Une fois posée la centralité de la créativité dans les deux processus de recherche, tant artistique que scientifique, le rapprochement des termes arts et sciences nous amène à en déconstruire les attendus comme les résultats, c'est-à-dire à questionner les processus de construction des connaissances: qu'est-ce que « chercher » veut dire ? Pas de « savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir » nous rappelle M. Foucault (Foucault 1997) qui poursuit « Ces rapports de “pouvoir-savoir” ne sont donc pas à analyser à partir d’un sujet de connaissance qui serait libre ou non par rapport au système de pouvoir... En bref, (…) [c’est] le pouvoir-savoir, les processus et les luttes qui le traversent et dont il est constitué, qui déterminent les formes et les domaines possibles de la connaissance. » (Foucault, ibid.). Cette mise en garde nous alerte sur les dérives possibles des rapports entre arts et sciences.

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10. Ce qui se joue dans les dispositifs qui se tissent entre sciences et arts, c'est certainement une volonté de déplacer les hiérarchies inhérentes à la fabrique et à la structuration des connaissances. C'est à cet « horizon d’horizontalité » que réfère le Manifeste compositionniste de Bruno Latour lorsqu'il lance son école des arts politiques, le master arts-sciences dit SPEAP (« Sciences Po École des Arts Politiques, programme d'expérimentation en arts et politique ») en 2010 (Latour 2010, 2011). Pour aller plus loin que ce travail autour de la diplomatie / négociation conçue comme « résolution non totalisante des antagonismes » (ibid.), je propose de considérer ici que la force des dispositifs sciences-arts réside en grande partie dans leur dimension performative.

Une volonté de déplacer les hiérarchies
Ils rendent apparent le fait qu’un apprentissage est toujours un processus cognitif qui met en mouvement celui qui reçoit comme celui qui dispense le savoir, dans une relation comparable à celle qu’induit l’esthétique. Horizontaux, ces dispositifs sciences-arts peuvent l’être dans la mesure où ils endossent leur dimension collective (Fourmentraux 2008b), et potentiellement donc, politique. Face aux sciences « dures », ce sont les artistes auxquels échoit la responsabilité de faire découvrir cela. En n’abandonnant pas aux « arts » cette responsabilité de mettre en évidence une pensée dialectique, les « sciences sociales » sont susceptibles d'engager autrement le potentiel de mobilisation critique que les dispositifs sciences-/arts ébauchent.

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b. L’impact du tournant post-représentationnel sur pensées et pratiques, scientifiques comme artistiques

11. Dans une formulation provocante, B. Latour affirme: « Il n’y a qu’une seule histoire partagée par l’art et les sciences, disons une histoire des représentations au sens large » (2012, p.91). Proposer de mettre l’accent sur la nécessaire médiation dans la fabrique ces connaissances permet de mieux poser la question de ce qui différencie ou relie, dans leurs méthodes comme dans leur résultat, le type de sciences avec lesquels les interventions artistiques se nouent. Le rapport à la représentation des connaissances diffère bien sûr selon les langages qu’elles utilisent, la spécificité apparente des sciences sociales étant de fonctionner avec le langage commun.

« Il n’y a qu’une seule histoire partagée par l’art et les sciences… », une formulation provocante de B. Latour

Mais la production de toute connaissance passe par la production d'un langage dont la validation se joue dans la confrontation au collectif. Cette étape de médiation collective du cheminement cognitif est nécessaire dans tous les domaines scientifiques, y compris dans ceux qui se déploient plutôt dans l'ordre du calcul : l'histoire des découvertes met volontiers l'accent sur l'importance de la dénomination de ce que l'on travaille : « L’évolution du savoir passe par une métamorphose des langages. (...) C’est ici qu’on rejoint l’importance heuristique de la trouvaille du vocable ». (Schlanger, ibid.).

C’est bien cette forme de rapport à une langue commune qui peut être qualifié de fabrique de représentation. Ces mots qui disent le « faire », ne sont jamais, bien évidemment, le réel en soi, mais bien une de ses représentations. Poussant le raisonnement, on peut assimiler représentation et récit et se demander : « Comment les chercheurs pourraient-ils s’exprimer sans passer par le récit, c’est-à-dire par la série des transformations qu’ils font subir à des personnages de fiction du début à la fin de leurs articles ? » (Latour, 2012, p. 92). Cette assimilation n’est pas évidente : un récit se définit par une prise de parole personnelle alors que la construction de représentations est un processus collectif, parce qu’intersubjectif. Proposer, comme le fait ici B. Latour, de considérer que tout récit fonctionne sur une base fictionnelle c’est franchir une étape supplémentaire de relativisation d’une possibilité universelle de la quête du Vrai.

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Illustration 6, ci-contre : Se perdre pour se situer : contre-cartographies oniriques. Carte issue de l’installation “Tratado de Limites” (Traité frontalier) présentée par Marina Camargo à la Biennale de Porto Alegre en 2011. Avec l'aimable autorisation de l’artiste.

12. Si tous les types de science ont recours au langage pour exprimer et discuter leurs résultats, cette relation ne se construit pas dans le même horizon. Pour les sciences sociales, il ne s'agit pas d'une mise en mots de résultats acquis sur la paillasse ou la feuille de calcul, mais bien d'un travail sur le texte lui-même, d'un effort de conceptualisation que Michel Foucault avait décrit d'abord comme« méta-épistémologique», avant de proposer d'autres préfixes (« ana » ou « hypo-épistémologique ») du fait de « l’invincible impression de flou, d’inexactitude, d’imprécision que laissent presque toutes les sciences humaines » (Foucault, 1988, p. 281).

Tous les types de science ont recours au langage mais…

La difficile accessibilité du contenu des sciences expérimentales pour un grand public qui ne maîtrise pas leurs langages techniques et chiffrés peut partiellement justifier la recherche d’une forme de communication méta-langagière et expliquer en partie pourquoi ce type de sciences a pu aller chercher une forme de traduction plus ouverte de ses résultats du côté des partenariats avec des artistes et des auteurs de fiction. Dans un entretien que j'ai réalisé avec Catherine Filippone (2015, 15), j'ai pu ainsi suggérer que : « Du côté des sciences sociales tout le monde pense toujours que c’est plus facilement accessible mais bien sûr ça ne l’est pas, il s’agit bien sûr, de notre point de vue de scientifique, de mettre en accessibilité des résultats qui sont complexes et pour le cas de l'antiAtlas des frontières, c’est comme ça qu’on l’a conçu ; il s’agissait vraiment de porter devant un plus grand nombre une expression des mutations des frontières du XXIe siècle alors qu’on se rend compte à quel point cette conception est dérangeante et que c’est difficile à faire passer. »

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13. Tel que nous l’engageons ici, le débat permet de souligner ce que ces vocables génériques d’arts et de sciences contiennent de contradictions internes : tout se passe en effet comme si leur association réduisait finalement ces deux univers à leur perception dominante, les sciences se trouvant réduites à leur composante « dure » ou expérimentale, les arts assimilés aux pratiques visuelles (Ambrožič & Vettese 2013). Cette « facilité » naît d’une survalorisation initiale de l’image, à la fois comme forme d’expression artistique et comme outil de modélisation de schéma théorique et de représentation de résultats scientifiques (Bredekamp 2010) dans une symétrie problématique : « Que ce soit dans le domaine des produits ou des activités, ce qui constitue l'objectif in fine pour l'artiste représente les moyens utilisés par le scientifique, et vice-versa. » (Kuhn 1977, p. 342–343, cité par Garbolino 2013).

Les contradictions internes des vocables génériques d’arts et de sciences

Traditionnellement, dans les domaines scientifiques, l'image était là pour accompagner le texte, dévolue à un statut d'illustration secondaire. Mis à part certains précurseurs (notamment les images de Jean Painlevé, cf. Berg, Bellows, Mc Dougall, 2000), Ce n'est que de façon très récente que les sciences questionnent leur rapport ambigu à des éléments visuels dont l’objectivité est remise en cause, et qui sont, au contraire, désormais mobilisés pour travailler la réflexivité et la performativité de la recherche. On cherche désormais à dénouer ce qui se joue dans la dé-monstration visuelle : « L’idée d’une vision de l’atome directe et non médiée est une illusion » affirme Charlotte Bigg, historienne des sciences au Centre Alexandre Koyré dans un entretien récent et très bien illustré (Baker 2016).

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Illustration 7 : L’interdisciplinarité : des trous noirs dans la galaxie scientifique ? Source : Los Alamos National Laboratory, 2008, Map of science derived from clickstream data http://scimaps.org/maps/map/a_clickstream_map_of_83/detail

14. Le recours à des technologies de visualisation des données évoluant à grande vitesse, il permet d'envisager une forme de « tournant visuel de la recherche » (Wesseling 2011). Du côté des sciences dures ou expérimentales, la science produit en effet des images que l'on peut analyser au prisme d'une esthétique originale liée à un renouveau du rapport à cette culture visuelle (Geimer 2002). L'analyse du statut des représentations dans l'histoire des sciences dures ouvre ainsi des pistes pour comprendre autrement la multiplication des initiatives arts-sciences les impliquant, et notamment pour les sciences exactes qui produisent de nombreuses images très peu exploitées jusque récemment. Cela peut aller du recueil d'images scientifiques évaluées en fonction de leurs aspects plastiques à des créations fondés sur le travail de la matière visuelle produite pendant le processus de recherche, voire en détournant ce dernier en fonction d'objectifs non plus scientifiques mais artistiques (cf. le projet Regard sensible sur la roche, matière atemporelle, mené au sein de La Diagonale, un creuset arts-sciences au cœur du plateau de Saclay, http://www.ladiagonale-paris-saclay.fr/nos-actions/particules/). Derrière cette forme d'esthétique, on ne peut manquer de poser la question de ce que ce passage à l'art permet aux sciences qui y ont recours: révéler ou rendre beau, c'est accessible et à la fois acceptable, notamment dans des domaines dont l'exercice pose des questions éthiques (interventions sur le génome ou sur les interfaces homme-machine à l'échelle nano).

Ce débat est pourtant souvent effacé par le fait que le grand public a finalement une certaine culture de l'« esthétique de la science », au sens du type de beauté que les productions (notamment d'images) scientifiques contiennent en elles-mêmes (cf. Clair, 2002). C'est du moins la perception personnelle d'un chercheur, Jean-Paul Vanderlinden, économiste, lui-même investi dans une démarche arts-/sciences. Dans un entretien avec C. Filippone, il pose la question du paradoxe de la visibilité / lisibilité des objets de recherche en sciences de l'homme : « Les chercheurs des sciences sociales et des humanités ont peu de choses à montrer, les gens sont friands de fusées, de robots, de choses très technologiques... les sciences sociales travaillent avec des mots, des objets et des images. On a rarement l’occasion de montrer notre travail à part quelques supers stars à la radio. Leurs objets résident en eux. » (Jean-Paul Vanderlinden, in Filippone, 2015, p. 15). Travaillant sur la société elle-même et avec ses mots, les sciences humaines et sociales constituent à la fois un domaine que l'apparente accessibilité langagière rend moins désirable à explorer. La passion récente pour les cartes et leur exploration- déconstruction artistique (cf. le projet http://lafindescartes.net/) participe sans doute de cet élan vers une iconographie que le public apprécie et dont le chercheur démontre la nature politique autant qu’esthétique.

Un « tournant visuel de la recherche » ?

Ce « tournant visuel de la recherche » positionne autrement les sciences sociales qui, elles, questionnent le contenu performatif d'images qui engagent à la fois leurs producteurs et leurs récepteurs. Ce faisant, elles ouvrent une réflexion critique sur le statut, la visibilité et la "réalité" des images qui est transversale aux champs artistique et scientifique. Dans la poursuite de ce que suggérait Michel Foucault à propos d'une fiction qui « consiste donc non pas à faire voir l’invisible, mais à faire voir combien est invisible l’invisibilité du visible » (Foucault 1966), le recours à l'image intervient non plus comme illustration mais comme déclencheur esthétique d'une relation. On glisse progressivement de la fabrique de sens commun (Hall 1997) à l'idée qu'un support ou un concept fonctionne désormais comme une prise ouvrant sur une diversité d'interprétations.

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15. De nombreux chercheurs en sciences humaines ont, eux, proposé de travailler de manière créative à partir d’une matière première langagière, à savoir les transcriptions des entretiens recueillis pendant leurs enquêtes de terrain, transformant en quelque sorte ce qui avait l’habitude de rester dans les coulisses de la production de connaissances en expression artistique. Après les explorations séminales de Jean Rouch, le processus a été mobilisé par Géraldine Pratt et Caleb Johnston dans la création d'une « pièce témoin » (testimonial play), intitulée Nanay, écrite en 2007-08 et présentée au public entre 2009 et 2013 (Pratt & Johnston 2013). Ces deux auteurs (une scientifique et un metteur en scène professionnel), ont mis les mots recueillis sur le terrain au profit d’une proposition théâtrale. Leur projet initial était de confronter la classe moyenne canadienne avec ses contradictions : les patrons d’employées de maison philippines (gardant leurs enfants sous des statuts migratoires temporaires très contraignants pour elles qui les obligent à laisser leur propre famille derrière elles) étant aussi des consommateurs culturels : ils pouvaient prendre conscience de leur propre condition sociale au théâtre. L'ethnologue Nicola Mai a également fait de cette technique la base formelle de ses créations de « docu-fictions ». Dans Normal (2012; 65 minutes, https://vimeo.com/album/2188492/video/50289487), il met en scène des acteurs chargés de jouer les travailleurs sexuels interviewés dans son travail de recherche sans que le personnage du chercheur soit visible : ce premier travail compose avec les réponses des enquêtés uniquement. Son intention est bien sûr de préserver l'anonymat des personnes vulnérables avec lesquelles il travaille, mais surtout de questionner la position de l'observation. En partageant son point de vue de scientifique avec le spectateur de ses films, il questionne autrement la méthode de l'entretien et les relations qu'elle engendre, y compris dans leur dimension voyeuriste que le public de Normal découvre. Nicola Mai va plus loin dans son œuvre suivante, Samira (2014), endossant à l’écran son propre rôle de chercheur mis en abyme dans la narration filmée.

Une proposition des chercheurs en sciences humaines : travailler de manière créative une matière première langagière

Ces approches qui remettent en cause le pouvoir unifiant des représentations et soulignent la nécessité d'engager les corps des récepteurs, ou publics, dans leur réception, sont de plus en plus qualifiées de non-représentationnelles (ou du moins, de « plus que représentationnelles » / « more than representational » en Anglais, cf. Thrift 2008). Ce que Sophie Wahnich souligne à propos du théâtre, la façon dont il « transforme l’émotion en pensée. Une pensée à la fois vécue par chacun d’une manière singulière lors du spectacle, mais une pensée mise en partage pour l’ensemble des spectateurs qui pourront ensuite en débattre ailleurs, sous une forme métabolisée. »... serait-il applicable aux relations construites autour de tous les partenariats sciences-/arts ?

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Illustration 8 : Mettre ensemble pour penser collectivement ? Le statut des expositions sciences-/arts. Source : Coder-Décoder les frontières, Exposition de l’antiAtlas des frontières,  Bruxelles, 2016, http://www.antiatlas.net/coder-et-ecoder-les-frontieres-bruxelles-2016/ Photographie Anne-Laure Amilhat Szary.

16. Le développement du recours au « plus que textuel », à la fois en termes d’iconographie et de parole imposent de reconsidérer le rapport entre illustration et texte dans les processus cognitifs (Gross 2006), mais également de travailler ce qui se joue dans la transmission d'une idée. La notion de médiation apparaît essentielle dans le développement de connaissances. L'image, ou de façon plus générale, l'intervention artistique, intervient sur ce plan de l'intercession dans la formulation et la transmission d'un message. En France, le « laboratoire d'excellence » fondé sur la dynamique science-/arts, Arts-H2H se donne bien pour objectif d'« explore[r] les nouveaux liens entre les arts, les sciences humaines, les sciences et les techniques, l’espace physique et l’espace des données numériques, les formes artistiques et leur médiation ».

Un recours croissant au « plus que textuel »

L'idée que cette médiation constitue aussi un facteur de prise de conscience politique constitue depuis longtemps un élément dont je pense qu'il fonde l'originalité des travaux en sciences sociales-/arts, ainsi que je l'expliquais dans un entretien à C. Filippone (2015, p.16) : « on fait finalement circuler des idées qui sont potentiellement quand même plus subversives politiquement, on fait des choses pas forcément jolies, c’est moins universel à saisir que par exemple l’image fractale, qu’un ballet sur les basses températures, c’est plus difficile de faire ça sur le droit d’asile, c’est plus violent, et du coup le poids politique de la mise en exposition artistique n’est pas le même, on est dans un partage du sensible beaucoup plus dissensuel en sciences sociales qu’en sciences dures. ». On se place bel et bien dans des dispositifs de détournements des médiums, qui peuvent opérer au sens propre (cf. le cas très particulier des hackers considérés comme artistes numériques par Jean-Paul Fourmentraux, 2008a), comme au sens figuré.

Au-delà de l'opportunité d'atteindre des publics différents et de faire ainsi circuler des résultats scientifiques dans des cercles élargis, selon des processus de diffusion qui diffèrent de ce qu'il est convenu d'appeler traditionnellement la vulgarisation, les expérimentations sciences-/arts ressortent bien d'une posture de recherche inédite. La question de la forme ouvre un débat sur la constitution d’épistémès, mobilisant une approche de l'esthétique qui dépasse l'art et ses objets pour s'intéresser à la construction de la relation: ce qui nous intéresse en effet dans cette rencontre, en tant que chercheur.e.s, c'est la façon dont s'exprime « le rapport en elle du cognitif et de l’affectif » (Chateau 2010, p.62). Cette démarche est celle de tous ceux qui tentent de s’enfermer dans une approche esthétique traditionnelle : si elle n’est pas propre au chercheur, elle lui permet cependant de faire bouger les lignes de façon inédite dans son champ d’action. Cette prise en compte de l'émotion et du corps dans la construction des modes de l'entendement permet dès lors d’envisager « un mode de connaissance active de son milieu qui n’est pas réservé à l’art ou aux monuments culturels. » (Blanc 2008). Cet élargissement potentiel serait-il sans limite ? Comment continuer à agir dans un périmètre de recherche et de création sans se laisser enfermer dans l’institutionnalisation des dynamiques sciences-/arts ?

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III. Par-delà le bien. Au risque de l’institutionnalisation des dynamiques sciences-/arts

a. Sortir de l’enfermement disciplinaire ?

Illustration 9 : Borner par la raison : limites et catégories des dictionnaires, « Système Figuré des Connoissances Humaines », page dépliable de l'avant-propos (« Conditions Proposées aux Souscripteurs ») de l'Encylopédie ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, source : http://artflsrv02.uchicago.edu/cgi-bin/extras/diderotimg.pl?0032_pg6a_section3.jpg

17. Les formes de consensus dont témoignent les discours autour des rapprochements entre sciences et arts posent de fait la question de ce qui les a freinés pendant si longtemps ! Dans un entretien récent, l'historienne Sophie Wahnich reliait leur potentiel critique à un moment politique, le tournant révolutionnaire, mais aussi à une étape de l'évolution des sciences et des arts sur laquelle il faudrait revenir dans toute analyse des dispositifs hybrides : « Les arts offrent la possibilité de retrouver ce qu’on nomme au XVIIIe siècle une « raison sensible ». [...] Ce sont les retrouvailles avec ces médias sensibles et la sensibilité à l’humanité qui fabriquent l’homme sensible, c’est-à-dire engagé et révolutionnaire de 1789. ». Les fondements du rapprochement récent entre arts et sciences peuvent donc être lus, non comme une rupture mais plutôt comme un retour : comme la fin d’une parenthèse qui les tenta de les constituer comme champs autonomes à l’époque moderne.

Rapprochements entre sciences et arts : discours consensuels et freins actifs

Il est courant de faire remonter à Aristote (Ethique à Nicomaque, livre 6) la dichotomie entre savoir théorique (sciences/ epistêmê) et pratique (arts/ technê). Pourtant, celle-ci ne sera véritablement effective qu’à partir de la Renaissance, qui vit émerger la figure singulière de l’artiste (Chastel 2002), puis du 18ème siècle qui témoigna cette fois de l’invention du scientifique. L’évolution de la pensée esthétique fut à l’évidence moins binaire, et Platon était déjà intéressé par l’idée que la forme puisse être connaissance (La République, livre 5), tout en ouvrant le débat sur la finalité d’un savoir sur la forme refermé sur lui-même (Le Théétète). Paradoxalement il revint à l’Encylopédie de Diderot et D’Alembert dont le sous-titre était Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers d’avoir séparé, en les classifiant, les champs qu’elle réunissait dans son titre : « Le mot Encyclopédie signifie enchaînement des Sciences » (extrait de son Prospectus, 1851). Il s'agissait alors d'une entreprise collective, visant à construire une grille de classification des connaissances humaines d'une manière hiérarchique, ce dont témoigne la figure 2. Cette image ancienne continue de poser le même type de problèmes à l'ère numérique. Commentant la mise en place d'outils d'information scientifique, Karim Hammou déclarait notamment à propos du site français de diffusion d'information scientifique, Calenda, que la classification idéale est impossible « Le bon classement, c’est le Graal »

Ce n'est pas tant l'existence de ce schéma qui nous interroge aujourd'hui que sa puissance à baliser des champs cognitifs qui se sont progressivement rendus imperméables les uns aux autres. Il y a en effet quelque chose de bien étrange au royaume des sciences… pour qu’elles en soient encore, à l’aube du 21ème siècle, à batailler sur une ligne de front peu mobile, celle des limites disciplinaires. Leur induration tient au fait qu'il s'agit à la fois de périmètres épistémiques et institutionnels dans lesquels les scientifiques doivent valider leur inscription. La carte des disciplines établies par des chercheurs en science studies (figure 3) est révélatrice à bien des égards. Fondée sur la mesure des liens bibliographiques de milliers d'articles sur 5 ans, la méthode permet de faire apparaître des champs bornés en fonction de l'ancrage disciplinaire des revues scientifiques et d'un repérage des liens localisés des citations, puis de projeter ce résultat sur une surface plane grâce à des techniques ayant servi à l'invention des planisphères, notamment la projection de Mercator. Il est intéressant de voir que les bords s'y rejoignent donc par l'extérieur et que par conséquent la notion de centre-périphérie est artificiellement construite, à travers le choix opéré par le cartographe du lieu où il coupe la sphère : les sciences sociales pourraient ne pas être aussi marginales que cette image ne le laisse imaginer… On y voit surtout comment le régime collectif de validation d'une idée fonctionne dans une forme de bouclage systémique. Il y a là l'expression d'une forme de servitude volontaire, les scientifiques validant eux-mêmes leur inscription disciplinaire par le choix de ceux qu'ils citent. Mais il ne faut pas se cacher que les éditeurs de ces publications et les pairs qui évaluent les articles orientent également ces choix et contribuent à créer ces continents scientifiques dont certains, comme celui des Humanités, fonctionnent en forme de quasi-isolats. On sent bien que les explorations arts-/sciences, sociales notamment, démontrent au contraire la porosité potentielle de ces champs.

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Illustration 10 : Système Figuré des Connoissances Humaines, fac-simile page dépliable de l'avant-propos (« Conditions Proposées aux Souscripteurs ») de l'Encylopédie ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers (D. Diderot et J. le R. d’Alembert de 1751) URL : http://artflsrv02.uchicago.edu/cgi-bin/extras/diderotimg.pl?0032_pg6a_section3.jpg

18. Toutes les incitations à des pratiques inter-, pluri- ou trans- demeurent cantonnées à un préfixe, sans venir à bout du vocable même : interdisciplinarité, pluridisciplinarité ou transdisciplinarité ont toutes leurs défenseurs et détracteurs, sans que la réflexion vienne s’appesantir sur le vocable-cœur dont M. Foucault avait pourtant contribué à démonter les ambiguïtés étymologiques liant la constitution d’un champ scientifique (« disciplinaire ») à une pratique militaire autant que scolaire (« la discipline »), trouvant elle-même son origine dans un instrument utilisé pour imprimer dans la chair une vérité (fouet / knout / discipline, appliqué(e) par autrui ou par soi-même, dans une volonté d’expiation) (Foucault 1975, 1997). Il y a quelque chose de bien troublant à se réclamer d’un mot qui lie si puissamment savoir, règles et fouet dans un processus qui vise à inculcation de l’apprentissage dans les corps, d’un champ sémantique enfin où l’enseignement croise l’armée et le couvent (cf. Figure 3: Du fouet comme instrument d’éducation).

Des incitations à des pratiques inter-, pluri- ou trans- cantonnées à un préfixe

Il faut tout de même prendre le temps de détailler ce que ces mots contiennent, depuis la juxtaposition pluridisciplinaire, le dialogue interdisciplinaire et la fertilisation croisée transdisciplinaire, pour mieux comprendre le recours à d'autres préfixes notamment dans le cas des pratiques qui lient sciences et arts. Il s'agit en effet pour ceux qui formulent ces propositions, d'échapper à l’aporie disciplinaire. Pour le critique Brian Holmes, l'artiste peut se placer dans une position extérieure aux enjeux des pratiques codées collectivement, et adopter une posture qu'il nomme « extra-disciplinaire» (Holmes 2007). A regarder de plus près sa proposition, celle-ci laisse apparaître de multiples formes d'ambiguïté dans la mesure où la démarche créative semble échapper à la codification issue des écoles d'art... Mais pas à celle des univers scientifiques : « L’ambition des artistes extra-disciplinaires est d’enquêter rigoureusement sur des terrains aussi éloignés de l’art que peuvent l’être la biotechnologie, l’urbanisme, la psychiatrie, le spectre électromagnétique, le voyage spatial et ainsi de suite, d’y faire éclore le ‘’libre jeu des facultés’’ et l’expérimentation intersubjective qui caractérisent l’art moderne et contemporain, mais aussi d’identifier, sur chaque terrain d’enquête, les applications instrumentales ou spectaculaires des procédés ou d’inventions artistiques, afin de critiquer la discipline d’origine et de contribuer à sa transformation ». (Ibid. p. 14). Le pas de côté proposé apparaît finalement moins radical que le terme d'extradisciplinarité ne semble le laisser entendre.

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Illustration 10, ci-dessous : Du fouet comme instrument d’éducation : la discipline, un terme aux origines contraignantes. Source : L'Intermédiaire des chercheurs et curieux : questions et réponses, communications diverses à l'usage de tous, littérateurs et gens du monde, artistes, bibliophiles, archéologues, généalogistes, etc.. Vol. 1896/01. Directeurs de publication Read, Charles et Faucou, Lucien, éditeur : B. Duprat (Paris)

Illustration 12, ci-dessous : Discipline générale. Règlement du service dans l’armée, 1928. Source  Editeur :  Charles Lavauzelle (Paris), monographie imprimée

19. La notion d'« indisciplinarité » pourrait, elle, mieux correspondre à la recherche d'une posture qui prenne toute liberté avec l'objet de la recherche, tout en ouvrant le questionnement sur la subjectivité du sujet cherchant. Elle se définit en effet en ce qu'il revient « au chercheur singulier de définir son corpus et ses méthodes, et surtout le sens de sa recherche, avec les disciplines, contre les disciplines, ou hors discipline. » (Loty 2005, p.258). Il n'y a qu'un pas à déclarer que l'art constitue justement le lieu du possible indisciplinaire (Huys & Vernant 2012). Et pourtant les évolutions récentes des partenariats sciences-/arts tendent à mettre en évidence que les postures artistes ne sont pas, par essence, du côté d'une théorie anarchiste de la connaissance (ce que Feyerabend mettait en avant d'une manière que beaucoup ont oubliée dès 1979 [1975])... L'expérimentation de la friction entre arts et sciences ne renvoie-t-elle pas finalement à une forme de désillusion par rapport à la promesse initialement contenue dans leur lien: et si, ni l'art ni la science, n'étaient finalement les espaces de liberté escomptés depuis l'un et l'autre point de vue ?

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b. Ou mieux y retomber ?

20. Portées par des discours d'ouverture, de prise de risque et d'innovation, les initiatives arts-sciences ont très rapidement rencontré un certain nombre d'écueils, souvent imputés à leur rapide formalisation institutionnelle, laquelle pouvait recréer quelque chose de normé, de sédimentant et donc d’enfermant. Il apparaît en définitive que si l'émergence de nouveaux vocables (arts-/sciences; sciences-/arts) ne résout pas les apories de la constitution de champs de savoirs, cela est aussi dû à leur très faible réflexivité, notamment du fait de la représentativité très réduite des sciences sociales dans ces dispositifs, comme l'histoire récente de ce phénomène le laisse entrevoir. Et la mise en avant de la composante technologique dans la médiation sciences-/arts n'en est pas l'unique facteur explicatif.

Des discours d'ouverture, de prise de risque et d'innovation

La dynamique de rapprochement dialectique entre sciences et arts est à la fois récente et tout à fait balisée par des moments institutionnels marquants. J'ai mentionné plus haut la création du journal Leonardo en 1968... En France, le processus s'est mis en place au début des années 2000, peu après le rapport demandé par C. Allègre à Jean-Claude Risset (Risset 1998), suivie d'une croissance logarithmique et d'une dissémination rapide depuis les centres pionniers, comme par exemple le Fresnoy, fondé en 1997 autour du lien entre arts visuels et technologie, et décrit alors comme un " Ircam des arts plastiques". Pour ce qui concerne notre pays, je retiendrai surtout l'exemple de l’expérience lancée à l’Institut Méditerranéen de Recherches Avancées de Marseille (IMéRA), car elle a permis de positionner les sciences sociales dans des partenariats artistiques et scientifiques. R. Malina, arrivé en 2007 à Marseille avait travaillé auparavant aux Etats-Unis, à l’université du Texas à Dallas, mais surtout aux éditions du MIT pour les publications Léonardo. Nommé responsable scientifique, avec Samuel Bordreuil, au sein de cet institut, il y a impulsé une interdisciplinarité qui a contribué à donner au centre une tonalité très particulière au sein du réseau national des Instituts d'Etudes Avancées (IEA), dont l’objectif générique est l’accueil de chercheurs internationaux de haut niveau en France. Sous leur influence, la sélection des invités et des programmes soutenus par l’IMéRA s’est déroulée dans une ouverture remarquable, mêlant sciences du vivant, physique et mathématiques aux champs du social, mais aussi à tous les domaines artistiques, du visuel, comme de la musique ou du spectacle vivant. Ils ont ouvert les résidences de l’institut à des scientifiques et artistes pratiquant déjà, ou souhaitant se lancer, dans ce type de partenariats. C’est au sein de ce berceau intellectuel et créatif que l'antiAtlas des Frontières a pu trouver les conditions de sa mise en œuvre et ses premières formes de structuration, dans un partenariat avec l’École d’Art d’Aix et le laboratoire Pacte.

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Illustration 13 : Dominique Rauly, chercheur en physique, dans 0°K, « performance-spectacle au croisement art-science » (2003) qu’il a co-créée avec les danseurs de la compagnie Scalène, Youtci Erdos et Manuel Chabanis

21. La diffusion des partenariats entre artistes et chercheurs a accompagné de façon intéressante la transformation des financements de la recherche via un pilotage par projets, à toutes les échelles de la production scientifique (des projets thématiques aux grandes initiatives dites d' « excellence », et notamment, en France, la promotion de regroupements de structures au sein de « Laboratoires d'Excellence », ou LABEX. Ce contexte favorable est même allé jusqu'à permettre l'émergence d'un LABEX dédié aux dynamiques art-sciences : H2H (http://www.labex-arts-h2h.fr), basé à Paris et regroupant une série d'acteurs du champ de l'éducation supérieure et de la recherche en arts plastiques et du spectacle autour du questionnement commun des évolutions récentes en sciences et technologies. Autour de trois mots clés, « situations, hybridations, technologies », les initiatives entreprises en son sein tentent de construire une réflexion et des productions artistiques à partir du champ créatif et des épistémès artistiques, mais sur des objets et des thèmes fabriqués par les sciences dures, notamment l'interaction homme-technologie (le transhumain, le sujet digital, etc.). On trouve par exemple en son sein un « incubateur de recherche interactive en danse, neuroscience cognitive et nouvelles technologies », le Labodanse (labodanse.org/dansesciences/).

La diffusion des partenariats entre artistes et chercheurs

Dans ce contexte de compétitivité de l'accès à la ressource, le recours à l'insertion d'une composante artistique dans la construction de projets de recherche joue un rôle contrasté dans le champ scientifique. Marginale, elle peut remplir un rôle de promotion de l'innovation dans les secteurs les mieux dotés, notamment ceux de la physique ou de la santé (cf. par exemple les Rencontres Art & Science sur les origines du rêve organisées à Lyon au sein du Labex LIO / Institut des Origines en mars 2015). Du côté des sciences sociales et des humanités où les budgets sont plus serrés, le risque que l'interaction avec des artistes engage est moins facile à prendre: le fait qu'il soit difficile a priori de décrire précisément ce que pourront être les œuvres créées fait parfois dénoncer aux évaluateurs des projets des « protocole[s] de recherche par trop impressionnistes et inaboutis » (extrait de retour d'évaluation de projet par les experts de l’Agence Nationale de la Recherche française, ANR).

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22. La portion congrue des sciences sociales dans ces dispositifs est en train d'être identifiée comme une faiblesse structurelle par les acteurs des domaines scientifiques et culturels, au point de mettre en place des dispositifs palliatifs, à échelle très modeste : en 2016, la Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH) de Paris a ouvert un appel à soutien de projets scientifiques spécifiques portant sur « Art et sciences sociales », recherchant des « propositions qui mettent très directement en œuvre ces rapprochements en associant artistes et chercheurs et/ou qui montrent plus précisément en quoi les productions artistiques, quelle qu’en soit la nature, élargissent les capacités d’investigation et d’analyse des sciences humaines et sociales. » (www.fmsh.fr/fr/c/8084).

La portion congrue des sciences sociales dans ces dispositifs

Cette préoccupation budgétaire trouve son symétrique du côté des acteurs de l'éducation artistique qui sont en train de se restructurer selon des modèles inspirés des schémas de l'enseignement supérieur : en Europe, les écoles d'art empruntent désormais les chemins du processus de Bologne, lequel les amène à développer des stratégies de recherche dont la composante économique n'est jamais absente : « Loin d’être un espace d’autonomie et de liberté, la recherche est soumise à des enjeux économiques et à des politiques culturelles. Outre la question du doctorat, qui est de plus en plus souvent exigé lors des recrutements de professeurs-artistes, le principal enjeu est celui de l’octroi de budgets », (Delacourt, Schneller et al. 2016, p 15; citant Baers 2011, Delacourt 2014, Elkins 2014).

La présence de grands équipements structurants, peut permettre d'ancrer des dynamiques arts-sciences dans une longue durée qui dépasse la temporalité des appels à projets. L'expérience grenobloise des Rencontres-i (i pour Imaginaires), fondées en 2002 dans le cadre d'un partenariat entre le Commissariat à l'Energie Atomique, le CEA (sous l'impulsion de Michel Ida) et la scène nationale de l'Hexagone (dirigée par Antoine Conjard), constituent une mini-saison artistique qui, à l'automne, présente une programmation variée de moments permettant au grand public de se confronter avec des expérimentations « arts-sciences ». De façon plus durable, des résidences d'artistes et de scientifiques construisent la matière qui permet l’émergence d'événements divers pendant les Rencontres-i , allant de l’œuvre théâtrale ou dansée, présentée sur la scène de l'Hexagone, au salon Experimenta, mais aussi au théâtre de rue ou aux promenades urbaines. Des co-créations intéressantes ont marqué ces années de collaboration, explorant des champs esthétiques variés, mais avec une réticence forte vis-à-vis de sciences sociales potentiellement trop critiques vis-à-vis des activités de recherche du CEA dans le domaine des nano-technologies et des interactions homme-machine. La pièce 0°K, « performance-spectacle au croisement art-science » créée entre le chercheur en physique Dominique Rauly et les danseurs de la compagnie Scalène, Youtci Erdos et Manuel Chabanis, en 2003 travaillait ainsi remarquablement les propriétés physiques de la matière aux basses températures au travers de l'engagement du corps des danseurs, « diptyque d’improvisation croisée sur les propositions des uns et de l’autre » : « les uns utilisent le langage du corps comme médiateur de leur perception du monde, l'autre cherche une interprétation scientifique de l'univers dans des corps solides et froids qui lui sont extérieurs. » (www.cie-scalene.com).

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llustration 14 : deuxième extrait de 0°K, « performance-spectacle au croisement art-science » (2003) co-créée par le chercheur en physique Dominique Rauly et les les danseurs de la compagnie Scalène, Youtci Erdos et Manuel Chabanis

23. La promotion des rapprochements entre artistes et chercheurs constitue donc également une réponse à des logiques de marché qui non seulement pèse comme une épée de Damoclès sur la création contemporaine (Jimenez 2005) mais l'amène vers l'artialisation du monde : son enrobage esthétique, à la façon du design et de la mode (Lipovetsky & Serroy 2013). Au contact des artistes, les chercheurs peuvent être amenés à formuler des propositions de valorisation industrielle, ne serait-ce qu'au travers de la mise en œuvre de prototypes. La résidence de l'Orchestre Organique à l'Atelier Arts-Sciences de Grenoble en 2014 a ainsi permis de développer un gant interactif qui à terme pourra être extrait de son contexte artistique pour se rejoindre le champ des industries techno-médicales (projet Bionic Orchestra , www.atelier-arts-sciences.eu/EZRA-residency).

La promotion des rapprochements entre artistes et chercheurs, également une logique de marché

La Plate-forme de Paris nord, labellisée « Arts, Sciences, Technologies » par le Ministère de l’éducation en septembre 2003, s'était donné « pour objectif de favoriser l’innovation (...), assurant le lien entre laboratoires de recherche, structures de formation et tissu industriel en s’intéressant tout particulièrement aux PMI-PME. Son originalité tient d’une part à son domaine de compétence : elle est la seule au plan national à traiter des industries culturelles» (www.pfast.fr/?Historique-de-la-plate-forme). Plus difficile à construire pour les sciences sociales, l'exigence de la formulation d’un lien des dynamiques sciences-/arts avec des débouchés commerciaux est loin d'être absente, en France comme dans le reste du monde (c'est par exemple l'un des objectifs officiels de l'Akademie Schloss Solitude de Stuttgart que de promouvoir une valorisation économique mutuelle, www.akademie-solitude.de/de/programme/art-science-business/).

Cette dimension commerciale, que nous refusons parfois de voir du point de vue des chercheurs, n'a en revanche pas échappé aux professionnels du marketing qui ont par exemple fabriqué une marque déposée intitulée... "ARTS & SCIENCE". Cette dernière regroupe sept boutiques internationales, offrant des produits allant de la mode à la maison, en passant par la nourriture. Il s'agit d'un "concept store" fondé sur "l'expérience sensorielle" du client et mettant en avant l'"objectif de réanimer le plaisir de voir, toucher, entendre et gouter dans la culture contemporaine. Ces expériences sont, après tout, l'essence de la vie humaine et le fondement pour cultiver et discerner la qualité de nos outils de vie". La dimension ironique de cette trouvaille du marché ne doit pas nous amener à rejeter en bloc les dynamiques arts-/sciences – chemin que pourtant de nombreux acteurs des mondes artistiques empruntent déjà, au nom d'arguments idéologiques dont je viens de démontrer le fondement ! Il semble pourtant que la pratique des partenariats sciences-/art continue à déployer une véritable dimension critique... et il importe d'expliciter ici ses conditions de possibilité.

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Illustration 15 : une enseigne Art & Science à Paris, Galerie Vivienne.  source : http://www.galerie-vivienne.com/arts-science-r21765.html, consulté le 06/07/2015

IV. Par-delà le vrai. Le pouvoir critique des dispositifs sciences-/arts

a. Expérience / Expérimentation.... Des malentendus en série à lever pour comprendre le statut de la recherche-création

24. Je souhaite terminer ce texte par un retour sur les processus cognitifs et esthétiques, et donc politiques, qui sont à l'œuvre dans la construction de ce dialogue. Il nous faut en effet dépasser les discours sur la valeur des dynamiques sciences-/arts analysées en première partie et de celle des conditions matérielles et institutionnelles de leur mise en œuvre auxquelles la deuxième partie de ce texte est dédiée. Pour aller plus loin, il faut penser l'idée que la rencontre entre arts et sciences se fait sous la forme d'un protocole particulier dénommé expérimentation. Ce terme, dont l'usage est en progression constante, ne va pas de soi. Prenant racine dans une épistémologie de la répétition (le nomos, la loi scientifique, tire sa légitimité de la répétition possible d'une expérience qui détermine son objectivation), il ouvre l'exploration de l'unicité événementielle (le vécu d'une expérimentation doit être exploité dans toute sa subjectivation de fait qui n'est ni stable ni reproductible). Ce renversement du processus explicatif passe par une revalorisation de la richesse sémantique d'un vocable connexe, celui d'expérience.

Retour sur les processus cognitifs et esthétiques, et donc politiques

À la fois fait vécu et fait observé (selon la définition proposée par le Trésor de la langue Française Informatisé), l'expérience se définit, dans un contexte phénoménologique, comme la personnalisation des conditions de la cognition. Elle permet de mettre en avant l'importance du vécu personnalisé d'une idée ou d'une situation dans un double transfert langagier, à la fois de verbe et d'article : faire l'expérience constitue désormais partie prenante du fait de pouvoir fabriquer une expérience, notamment dans un contexte scientifique qui dépasse très largement le cadre des paillasses des sciences dites, justement, expérimentales.

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Illustration 16  : Subjectivité du langage du chercheur ? Deuxième extrait de la vidéo A Portrait of the Artist as a Worker (rmx.), installation d’Ina Wudtke présentée au MuHKA d'Anvers en 2006

25. Le langage ordinaire a finalement escamoté la dimension personnelle de l'action d'expérimenter dont la définition insiste sur le fait que ressentir et éprouver font partie de l'acquisition de connaissance. La dimension de contrôle systématique censée établir la positivité du fait scientifique n'y joue finalement qu'un rôle secondaire de vérification des hypothèses. Dans ce contexte, l'existence même peut être considérée comme expérimentale (ou du moins, tout métalangage sur la vie le devient !). Peut-on en conclure que toute pratique de sciences sociales est expérimentation, du moins pour ce qui concerne les cognitions issues de la pratique du terrain (ethno-, anthropo-, géo-graphies) étant des "arts-de-faire" (De Certeau 1980 [1990], Buire 2015) ? C'est ce que nous dit en l'essence Nato Thompson : la dimension artistique de la géographie n'a pas besoin de l'intervention d'un artiste, le géo-graphe, celui qui dit le monde est un acteur essentiel de sa fabrique sensible (Thompson 2008).

La dimension personnelle souvent escamotée des expérimentations

Richard C. Powell et A. Vasudevan montrent combien nous soumettons une grande partie de notre existence quotidienne à une mise à l'épreuve qui est de l'ordre du test. C'est pour eux un changement si radical de notre ontologie qu'ils le décrivent comme un tournant expérimental (Powell & Vasudevan 2007). Lorsque l'expérimentation constitue un jeu sur les modalités du vécu de l'expérience, peut-on considérer qu'il s'agit d'une mise en abyme de l'expérience ? Cela n'est possible qu'en élargissant l'idée d'expérience au domaine du sensible, la relation esthétique constituant une dimension essentielle de l'existence. « Cependant, l’expérimentation est toujours nécessairement spatio-temporellement située, en ce sens, elle s’engage dans la transformation de l’espace et du temps en proposant de nouveaux possibles (Thrift 1996) » (C. Lehec, projet de thèse issu de Lehec 2014). Cette situation, au sens géographique de « localisation en lien avec », place celui qui la travaille dans la performativité de ce lien : elle rejoue la proposition de J. Dewey de passer, en art, de l'expérience de l'oeuvre (l'esthétique classique) à l'oeuvre comme expérience (Dewey, 1934, traduit en français seulement en 2005). Issues de la danse et de la chorégraphie des corps, les « études sur la performance » (Performance studies) se constituent justement dans l’interrogation de ces interactions. L’artiste, comme le chercheur, place sa démarche dans ce lien ou nexus, créant en cherchant, cherchant en créant.

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Illustration 17 : du pouvoir du texte dans les dispositifs sciences-/arts. Troisième extrait de la vidéo A Portrait of the Artist as a Worker (rmx.), installation d’Ina Wudtke présentée au MuHKA d'Anvers en 2006.

26. Cette connexion est sans doute bien plus ancienne que nos lunettes post-modernes nous invitent à la penser : dès le début du 20ème siècle, en art plastiques (Duchamp et la géométrie non-euclidienne de Poincarré) le biomorphisme de Kandinsky), en architecture (le Bauhaus) ou en danse (Margaret H’Doubler et l’anatomie), des artistes se sont saisis des questions posées par les avancées scientifiques et technologiques dans leur processus créatif. A ce même moment, W. Benjamin introduisait dans ses essais une pensée du corps sensible en mouvement… Mais ces positions de croisements fertiles sont demeurées longtemps tout à fait minoritaires, dans un décrochage croissant de la philosophie esthétique vis-à-vis des avant-gardes esthétiques.

Une connexion sans doute bien plus ancienne que nos lunettes post-modernes

Le projet situationniste qui se proposait de puiser à la source du terrain l'inspiration pour changer la vie a fortement contribuer à remobiliser le potentiel critique de telles démarches fondées sur la réactivation du quotidien par l’explication de son expérimentation (Theodoropoulou 2008, Pinder 2009, Ardenne 2009). Dans ce contexte, il n'est point besoin d'être artiste pour mettre en branle la capacité à transformer le monde et le regard que l'on porte dessus, ni chercheur pour poser des questions sur ce que ces processus provoquent. Ce qui importe est de tenter de différencier l'expérience de l'expérimentation ; cette dernière consiste en effet à mettre en exergue, sinon créer du discontinu : avant d'être art ou science, ce travail-là consiste en une itération que l'on peut qualifier de « recherche ».

De cette démarche, on peut affirmer qu'elle devient critique dès lors que cet engagement avec le quotidien remet explicitement en questions les jeux de pouvoir et l'ordre dominant. Pour analyser la façon dont l'art contemporain interagit avec les conditions d'expression de rapport de pouvoir dans l'espace et forger la notion de géopolitique expérimentale, Alan Ingram isole ainsi quatre éléments déterminants pour spécifier cette notion d'expérimentation : la mise en scène, le jeu, la modulation et les effets (Ingram 2012). C'est bien dans la mise à distance et en abyme que se noue la perspective critique de l'expérimentation. Ses enjeux relèvent à la fois des dispositifs de mise en œuvre et de restitution. Le processus de fabrication de l’idée importe dès lors autant que l’évolution du medium pour en traduire la mutation. L'expérimenteur critique devient chercheur parce que créateur, créateur parce que chercheur.

Les dispositifs arts-/sciences constituent finalement une modalité parmi d'autres de mise en exergue de cette évolution profonde de l'entremêlement des pratiques artistiques et de recherche. Leur analyse critique amène à déconstruire les catégories sur lesquelles ils se fondent pour déplacer la question de l'interaction : d'art-/science, on passe à scienceS-/artS, puis à artiste-/chercheur et chercheur-/artiste...

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Illustration 18 : passer la limite de la scène. Troisième extrait de 0°K, « performance-spectacle au croisement art-science » (2003) co-créée par le chercheur en physique Dominique Rauly et les les danseurs de la compagnie Scalène, Youtci Erdos et Manuel Chabanis

b. De l'artiste-chercheur au chercheur-artiste

27. Ce qui se joue donc dans la multiplication des pratiques sciences-/arts est donc quelque chose de l'ordre du renouveau du statut de la recherche, une forme de révolution sourde des pratiques comme des productions. Admettre que la recherche est création (parce que la création est recherche) conduit à revendiquer que le chercheur doive, lui aussi, assumer son statut de créateur.

Ce qui se joue donc dans la multiplication des pratiques sciences-/arts

Concrètement, avant l'édition très récente de manuels en la matière (Wilson,van Ruiten et al. 2013), la pratique de la création-recherche a été abordée à travers les outils de l'art, et notamment par la mise en exposition, c'est-à-dire la construction d'un message à travers un choix d'œuvres (Lind 2012, O'Neill & Wilson 2014). À Anvers le Musée d'art Contemporain ou MuHKA a présenté, le premier, en 2006, une exposition intitulée A.C.A.D.E.M.Y.: Learning from Art. afin d'explorer un potentiel critique pour la recherche en arts qui était alors en train de se constituer. Il s'agissait surtout d'une mise en abyme des conséquences de la Convention de Bologne qui, tout en « incit[ant] les écoles d’art européennes à faire preuve d’une pédagogie stimulant la recherche artistique (...) véhicule l’idée totalement erronée qu’il faut évaluer le résultat de la recherche artistique en fnction de critères académiques, identiques sinon analogues à ceux qui déterminent d’ores et déjà, et de manière perverse, la direction de la recherche universitaire ». L'année suivante à Vienne, Dieter Lesage et Ina Wudtke ont mis en exposition, au musée Quartier21 le Portrait de l'artiste en Chercheur (A Portrait of the Artist as a Researcher, 12/7/2007- 26/8/2007, cf. Lesage & Busch 2007, Lesage 2009). L'installation quasi-éponyme, A Portrait of the Artist as a Worker (rmx.), présentée par Ina Wudtke au MuHKA d'Anvers dans l'exposition de 2006 fait intervenir un clown dans une bibliothèque pour tourner en dérision les enjeux institutionnels de ces pratiques de rapprochement entre les mondes des arts et des sciences. Le changement du décor dans lequel le personnage grimé en auguste évolue, incluant une bibliothèque où le savoir apparaît comme décor de la créativité exprimée dans la tension de l'œuvre.

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Illustration 19 : multiplier les supports : documenter et traverser le miroir. Quatrième extrait de la vidéo A Portrait of the Artist as a Worker (rmx.), installation d’Ina Wudtke présentée au MuHKA d'Anvers en 2006

28. Derrière les formes de mise à distance plus ou moins ironiques, le commissariat d'exposition ou curating a fortement contribué à mettre en avant la recherche en art et installer la figure générique de l'artiste-chercheur, comme en témoigne par exemple le parcours du collectif Le Peuple Qui Manque/ A people is missing, au sein duquel le travail d'Aliocha Imhoff et Kantuta Quiros consiste justement à faire tenir ensemble les pièces de puzzles distincts, œuvres d'art visuels et sonores, performances et installation, édition et traduction de textes, expositions et colloques. D'une certaine façon, le travail de l'antiAtlas des Frontières se situe dans cette même tentative d'agencement deleuzien, de « commissariat de recherche » (curating research)... faisant lointainement écho à la quête de réminiscences dévoilée par Aby Warburg dans son Atlas Mnemosyne (The-Warburg-Institure 2013).

Des formes de mise à distance plus ou moins ironiques

Il s'agit, dans cet entrelacs d'art et de recherche, de faire certainement plus que de jeter un pont sur un fossé de l'entendement et de la sensibilité (cf. le titre de l'ouvrage d'Obrist & Akiko 2002, Bridging the Gap). Cela peut passer par l'émergence de lieux ad-hoc, qui prennent souvent d'ailleurs un nom qui leur octroie comme un titre, celui de laboratoire. On pense à la structure artistique pionnière, fondée en 1985 à Grenoble par deux plasticiens, Maryvonne Arnaud et Philippe Mouillon, dite d'abord Laboratoire de sculpture-urbaine pour n'être plus connue aujourd'hui que sous le nom, devenu propre avec sa majuscule, de Laboratoire. Les Laboratoires d’Aubervilliers proposent de jouer ce rôle de promotion de pratiques artistiques issues du terrain, et conçues non plus comme la fabrication d'œuvres mais comme processus de partage d'expériences, amenant à considérer, par exemple, la salle de classe comme une œuvre d'art. Ces laboratoires de situations font advenir l'espace de rencontre comme ressort critique en soi. Pour ce qui concerne l'antiAtlas des Frontières, la dimension numérique vient compléter la relation sciences-/arts et technologie qui se développe dans un « espace multidimensionnel de rencontres » rejoignant des événements (expositions, séminaires et colloques, mais aussi galerie et discussions en ligne). Le recours au code et aux relations rendues possibles par les techniques informatiques transforme ainsi radicalement les conditions de ces dispositifs sciences-/arts (Fourmentraux 2014).

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29. Les journaux artistiques font finalement assez peu de cas de manifestations sciences-/arts, témoignant pour l'instant d'une acceptation ambigüe du statut des productions issues de ces partenariats : sur le site d'actualité artistique de la revue électronique e-flux.com, la requête « art-science » donne moins de 10 résultats; il faut taper « art + science » pour voir apparaître un peu plus de rubriques répondant aux préoccupations développées dans ce texte). L’initiative innovante du réseau Performance Studies international fondé en 1997 “pour promouvoir la communication et l’échange entre les artistes, penseurs, activistes en enseignants-chercheurs” (http://www.psi-web.org/) ne s’est dotée d’un journal, Global Performance Studies, qu’en 2015. L’évolution très rapide du champ amène les promoteurs de ce type de collaborations à initier de nouvelles formes et élargir les formes, avec notamment la création d'une publication en ligne dénommée le Journal of Artistic Research, dont le propos est de présenter non pas des articles mais des expositions, résultant pour la plupart d'incursions artistiques sur les terrains scientifiques, d'un point de vue thématique plus que méthodologique dans la plupart des cas. Les publications scientifiques ouvrent désormais leur espace aux recherches menées dans ce sens, avec par exemple en 2015 la création d'un nouveau titre à l'interface des lettres et arts d'une part, des sciences de l'espace géographie d'autre part : GeoHumanities, publié par Taylor & Francis offre ainsi une moitié des pages au retour réflexif sur des pratiques curatoriales, mais reste essentiellement un média textuel respectant les normes éditoriales scientifiques internationales. A ce titre, le journal dans lequel ce texte paraît semble bien se positionner en un lieu inédit, du fait de son double choix esthétique, celui d'une fabrique des articles engagée dans la subjectivité d'un artiste numérique d'une part, celui d'un croisement disciplinaire autour de l'objet frontières d'autre part. Il s'inscrit bien dans une réflexion plus large sur l'ouverture sur ce que « faire œuvre » peut signifier.

Peu de cas de manifestations sciences-/arts dans les journaux artistiques

Depuis Marcel Duchamp, il est admis que l'œuvre d'art n'est ni la production unique d'un artiste, ni même un produit matériel. Pour autant, toute entreprise humaine peut-elle être considérée comme artistique ? Sans rentrer dans la fin de ce texte dans une discussion trop théorique sur les limites de l'art, il importe de revenir sur les déplacements de points de vue que la remise en question de la binarité posée au départ de la réflexion engagent : « on ne peut identifier les rapports entre l’art et les sciences humaines aux rapports entre chercheurs et artistes. On ne peut considérer l’artiste comme le dépositaire exclusif de sensibilité ou de pratiques créatives, et le chercheur, de méthodes scientifiques et d’outils conceptuels. » (Kreplak, Tangy et al. 2011). Cela veut dire que si l'on admet l'existence d'une recherche artistique (Caduff, Siegenthaler et al. 2010), celle-ci demande d'abord à être précisée du point de vue du statut de la création : « un artiste qui agit en tant que tel à l’université́ n’est pas d’emblée un chercheur-créateur. En tant que chercheur-créateur, il se qualifie moins par son seul statut d’appartenance institutionnelle que par une démarche de recherche qui se concrétise de deux façons : une production de nature scientifique et une production de nature artistique » (Stévance 2012). Cela exige enfin de poser le statut du chercheur investi dans des questionnements et pratiques artistiques : est-il condamné à demeurer médiateur (parler sur, faire avec ?) ou peut-il accéder au statut si indéterminé d'artiste (Chateau 2000)? Comment reconnaître qu’il y a, dans les pratiques artistiques, une part spécifique de recherche ?

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30. L'enjeu, pour le chercheur en sciences sociales est multiple : il peut notamment s'agir d'un souci de restitution (s'engager dans de nouvelles formes de présentation de ses travaux de recherche) dans un monde où le statut de l'écrit bascule vers la valorisation de médias ayant recours à l'image et aux nouvelles technologies. En fournissant à des artistes une matière avec lesquels ces derniers vont créer, le chercheur s'inscrit dans une conception de « l’esthétique de la réception » (Genette 1997, p.11) finalement assez traditionnelle. A l'inverse, à partir du moment où artistes et chercheurs cheminent ensemble dans une reconnaissance mutuelle de leurs apports (de la finesse conceptuelle évolutive apportée par les chercheurs, de la diversification des formes apportée par les artistes), les conditions de création se déplacent, tout comme celles de la constitution d'épistémès artistiques inédites.

Un enjeu multiple pour le chercheur en sciences sociales

Ce qui est nouveau, somme toute, c'est que la pensée est saisie chemin faisant: le processus d'élaboration du concept compte désormais autant que sa formulation finale. Le chercheur se trouve dès lors mis en demeure de trouver des moyens de rendre compte de l'aspect dynamique de la fabrique de connaissances, qui va de la formulation du problème à l'explicitation des résultats. Sa responsabilité sociale s'en trouve décuplée dans la mesure où il ne lui est plus seulement demandé de produire des conclusions validables par ses pairs (au travers de publications scientifiques soumises au sceau sévère de la double évaluation anonyme), mais également de fournir des productions qui soient accessibles au plus grand nombre.

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V. Conclusions

31. S'engager sur ce chemin nécessite, de la part du chercheur, d'assumer sans doute une part de créativité peu explorée jusqu'alors. Cela peut avoir deux objectifs, l'un proprement lié à l'exercice de son métier originel, qui est de se doter d'un meilleur appareil méthodologique pour faire avancer la science, l'autre ne se situant plus dans sa sphère académique d'origines mais dans l'interface -potentiellement critique- avec les destinataires de sa production intellectuelle, l’amenant à questionner l’impact de la production scientifique dans la société et son sens politiques.

Pour s'engager sur ce chemin

Les chercheurs ont sans doute beaucoup d'illusions sur les capacités des artistes à toucher des publics plus variés, les mondes de l'art (Becker 1998) étant souvent socialement plus socialement exclusifs que les personnes issues des mondes académiques ne l’imaginent. De façon à la fois très à la fois modeste et ambitieuse, il s'agit donc pour le chercheur-artiste de tenter de renouveler le langage avec lequel il construit et transmet sa réflexion. Dans ce contexte, il importe peu que ce soit le chercheur qui, lui-même, prenne le pinceau ou la caméra ou bien qu'il construise un protocole créatif avec des artistes, en lien avec les personnes étudiées... Ces dernières pouvant à leur tour se voir octroyer le statut d'artiste. Ce qui devient dès lors essentiel, dans une co-signature, c’est de ne pas essentialiser les apports des uns et des autres : ce n'est pas parce que leurs intentions peuvent se rejoindre que chercheurs et artistes deviennent tout à fait identiques l'un à l'autre.

Ces partenariats vont tous bien au-delà des emprunts réciproques au vocabulaire de l’autre et aux dispositifs des sciences et de l’art, appellations dont la fonction est avant tout institutionnelle. Ils doivent dépasser la volonté de tirer un profit symbolique du recours, par un champ, à l’autre, en terme de prestige et d’autorité (de l’art comme de la science), dans la mesure aussi où chacun incarne une forme d’innovation… ce critère d’évaluation essentiel aux marchés de l’art et au marché scientifique !

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Illustration 20 : quel statut de la plurivocalité dans les dispositifs de sciences sociales-/arts ? Cinquième extrait de la vidéo A Portrait of the Artist as a Worker (rmx.), installation d’Ina Wudtke présentée au MuHKA d'Anvers en 2006

32. Lutter contre le cloisonnement disciplinaire et promouvoir un point de vue esthétique sur la relation œuvre/spectateur-récepteur permet d’atténuer la force de discours validant les résultats « après coup », au profit d'une valorisation des démarches, des processus, des explorations et des situations inscrites dans un contexte. La question de la relation sciences/arts prend tout son sens dans ce renouvellement du statut de l’expérimentation et des pratiques exploratoires.

Lutter contre le cloisonnement disciplinaire et promouvoir un point de vue esthétique

Mise en avant dans ce texte, la spécificité des expérimentations sciences sociales sociales-/arts réside bien dans leur capacité à déconstruire des visions naïves qui essentialisent ces deux catégories d'art et de science, en instrumentalisant l'une par l'autre. Expérimenter dans le dialogue entre ces champs ne devrait avoir pour objet, ni de rendre beaux ou acceptables des résultats scientifiques, ni d'innover dans les pratiques sociétales voire commerciales. La relation sensible qui se noue dans ces compagnonnages de long terme est telle qu'elle engage potentiellement le renouvellement de la chaine de production de connaissance, la faisant largement dépasser des frontières des laboratoires. En impliquant tout à la fois, et les personnes enquêtées et celles auxquelles les résultats sont montrés, dans une forme d'horizontalité de la production d'œuvres qui font savoir, cette interaction n'est jamais politiquement neutre, bien au contraire. C'est bien dans le renouveau d'un pacte scientifique que se situent les enjeux des expérimentations sciences-/arts.

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VII. Notes

1. N°85, octobre - décembre 2014, cité par Catherine Filippone, 2015.
 

2. Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, 1856, cité par J. Schlanger, 1991 [1988].
 

3. Sans considérer pour autant, de façon réductrice que le sciences exactes ne s'intéressent à l'art que pour des raisons de communication.
 

4. « Whatever term “aesthetic” may mean, the artist’s goal is the production of aesthetic objects; technical puzzles are what he must resolve in order to produce such objects. For the scientist, on the other hand, the solved technical puzzle is the goal, and the aesthetic is a tool for its attainment. Whether in the realm of products or of activities, what are ends for the artist are means for the scientist, and vice versa. »
 

5.  Cf. les concours organisés par la fondation Nanoarts des plus belles images produites au cours de recherches sur les nanotechnologies : www.fondation-nanosciences.fr/RTRA/en/4/appels-en-cours.html
 

6. www.theatre-du-soleil.fr/thsol/entre-nous/pensees-du-jour/la-culture-et-la-foule, 1271
 

7. Catégorie instituée par les projets d’Investissement d’Avenir français du début du XXe siècle.
 

8. En France, l'auteur et metteur en scène Marcel Bozonnet et sa compagnie, les Comédiens Voyageurs, ont ainsi pu travailler à partir des textes de deux historiens, ceux de Sophie Wahnich imbriqués dans des extraits de Victor Hugo, Mirabeau, Aimé Césaire, Robespierre pour la pièce Soulèvement(s), montée en 2015 à la Maison des Métallos (Paris) ainsi que ceux de Gérard Noiriel, dans une collaboration dont le succès a permis la réalisation d'un film à grand succès, le spectacle de théâtre Chocolat, Clown Nègre(2012), ayant été porté au cinéma en 2016 par Roschdy Zem, avec Omar Sy dans le rôle-titre d'une production grand public.
 

9. «La Révolution n’est pas un mythe, c’est une histoire vécue. Entretien avec Sonya Faure et Anastasia Vécrin », Libération, 22 octobre 2015, http://www.liberation.fr/debats/2015/10/22/sophie-wahnich-la-revolution-n-est-pas-un-mythe-c-est-une-histoire-vecue_1408142
 

10. Paroles d'un membre du conseil des rédacteurs en octobre 2006, citées par Karim Hammou dans son blog, le 12/7/2010, http://leo.hypotheses.org/4689 « Calenda et les disciplines scientifiques ».
 

11. Ce type d'initiative se retrouve à toutes les échelles de la gouvernance universitaire et dans de nombreux pays : l'université du Colorado à Boulder a, par exemple, développé un fond d'excellence "Arts & Sciences" dont le but officiel est de permettre à son personnel académique de développé le travail créatif dans la recherche et l'enseignement/ The purpose of the Arts and Sciences Fund for Excellence (ASFE) is to assist A&S faculty members in their own teaching excellence and research/creative work endeavors.Funding for DFE comes entirely from annual gifts made to the College by friends and alums" (Arts & Sciences Fund for Excellence AY 2014-2015), http://english.colorado.edu/arts-sciences-fund-for-excellence-ay-2014-2015/
 

12.  http://lio.universite-lyon.fr/sciences-pour-tous/rencontre-art-science-sur-les-origines-du-reve-320676.kjsp?RH=1369836049493
 

13. Entretien avec Antoine Conjard et Michel Ida, revue Qualitique n°212, décembre 2009 : pp. 6-10., cité par Martin Juchat 2012.
 

14. « The six A&S shops, each devoted to a specific area of the collection, are strongly rooted in sensory experience and aim to reanimate the pleasure of seeing, touching, smelling, hearing, and tasting in contemporary culture. These experiences are, after all, the essence of human life and the basis for cultivating and discerning quality in our tools for living. ». Site web : www.arts-science.com, consulté le 20 novembre 2016. Email : paris at arts-science.com
 

15. « Le dispositif expérimental vise à contrôler les variables, et à en modifier une à la fois grâce à son indicateur Quand la construction d’un dispositif expérimental est impossible, on lui substitue alors un équivalent, ce que Durkheim, à la suite de Stuart Mill appelait la méthode des « variations concomitantes » (Stuart Mill, Durkheim) : – cela consiste à faire varier la cause présumée et à voir si le phénomène varie dans la même proportion. » M. Bozonnet, séminaire de laboratoire, Grenoble, PACTE, 2014.
 

16. « Today’s world is ruled conceptually by the primacy of testing... » Ronell 2003
 

17. Organisée par collectif de commissaires: Bart de Baere et Dieter Roelstraete [M HKA], Charles Esche et Kerstin Niemann [Van Abbemuseum, Eindhoven], Irit Rogoff [Goldsmiths College, Londres] et Angelika Nollert [Siemens Arts Program]
 

18. www.muhka.be/fr/toont/event/1588, consulté le 2/2/2016
 

19. www.lelaboratoire.net/about-2/ page consultée le 10/1/2016
 

20. www.capacete.org/?p=1519 page consultée le 10/1/2016
 

21. www.leslaboratoires.org/projet/comment-faire-d-une-classe-une-oeuvre-d-art/comment-faire-d-une-classe-une-oeuvre-d-art page consultée le 20/2/2016
 

22. www.jar-online.net/index.php/issues/editorial/480 page consultée le 20/2/2016

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