Jean Cristofol
antiAtlas des frontières, avril-mai 2020
La crise du covid-19 est aussi celle de la relation entre les sociétés humaines et les autres formes de vie, végétales et animales.
1 La crise provoquée par la pandémie du SARS CoV2 (covid-19) a mis en relief, une nouvelle fois, mais de façon particulièrement puissante, l’importance de la question des frontières. La situation est particulièrement frappante en Europe, où les pays ont rapidement fermés leur frontières, revenant de facto sur les principes et les fonctionnements issus des accords de Schengen. La facilité et la rapidité de ces fermetures ne peuvent que frapper les esprits. Beaucoup semblent voir là une illustration de la contradiction entre l’espace mondialisé de la globalisation et l’indépendance des espaces nationaux. Il me semble pourtant que, posée dans ces termes, l’alternative est biaisée et intenable. Ou pour le dire autrement, la question n’est peut-être pas d’opposer le global au national, comme si il y avait là des réalités substantielles et indépassables, mais d’interroger les modalités de l’organisation de l’espace et les façons d’habiter, de travailler, de produire, de vivre ensemble.
La question n’est pas d’opposer le global au national mais d’interroger les modalités de l’organisation de l’espace et les façons d’habiter, de travailler, de produire, de vivre ensemble.
En réalité, l’alternative entre global et national conduit à opposer d’un côté une globalisation néolibérale, menée par de grandes entreprises et des institutions internationales sans contre-pouvoir démocratique, qui hiérarchisent et assujettissent l’espace mondial par la maitrise des circulations des informations, de l’argent, des marchandises et des personnes, et d’un autre côté une centralisation des territoires nationaux par des États qui n’ont jamais garanti l’autonomie et la coopération des collectivités de vie et des territoires et qui ont perdu une grande part de leur maitrise sur les circulations financières, économiques, sociales et culturelles. Cette alternative est d’autant plus mortifère que, dans les deux cas, ce sont des sociétés du contrôle radical des comportements qui nous sont promises.
2 D’une certaine façon, l’opposition entre la mondialisation et ce qu’on appelle d’une façon souvent très floue la « démondialisation » recèle un piège contre lequel il faut penser à la fois l’autonomie démocratique des collectivités, qu’elles soient locales ou en réseau, des formes élargies de coopération, d’échanges et de solidarité qu’elles soient territoriales ou non, et des instances de décision démocratiquement organisées, quelque soit leur niveau géographique d’action. La question centrale est davantage celle de l’autonomie, du contrôle citoyen et de la coopération que celle du global et du national. Ou plus précisément, il faut se méfier de l’assimilation entre le local et le national.
La question centrale est davantage celle de l’autonomie, du contrôle citoyen et de la coopération que celle du global et du national.
Il est par exemple intéressant de remarquer que la géographie de l’épidémie du covid-19 ne recouvre pas les limites territoriales des États-nation, mais qu’elle a un caractère en quelque sorte « régional ». C’est vrai en France, c’est vrai en Espagne, c’est vrai aux États-Unis. La façon dont la pandémie interroge l’espace géographique est significative : elle est à la fois globale, au sens où elle pose à peu près la même question à un grand nombre de gouvernements, au moins dans la zone tempérée du globe, et elle est régionale au sens où elle frappe de façon très différentes des territoires relativement définis et dessine des zones de concentration qui ne se diffusent pas ou très peu, sans qu’on sache très clairement l’expliquer.
3 Ce point de vue différent a un autre intérêt : il impose d’introduire dans la réflexion la dimension des usages de l’espace et de leur capacité à développer des formes d’équilibre et de coexistence avec d’autres dimensions de la réalité que celle de l’organisation des sociétés humaines et de leurs types d’organisation politique. Pour le dire plus clairement, comme on l’a abondamment répété, la crise du covid-19 est aussi celle de la relation entre les sociétés humaines et les autres formes de vie, végétales et animales. Penser la question territoriale à partir de l’alternative entre mondialisation et territorialités nationales évacue la dimension écologique de la crise qui est pourtant reconnue assez largement comme essentielle. Cette dimension là, si elle illustre l’impasse d’une mondialisation basée sur la libre concurrence, la recherche du profit, la spéculation et la croissance infinie de la marchandisation des ressources et de la consommation, reste en même temps ignorée par le supposé retour des frontières nationales.
4 Il faut sans doute ajouter que le processus de la mondialisation est , depuis une cinquantaine d’année, indissociable d’un affaiblissement et d’une crise du modèle classique des États-nations. Or cette crise ne s’accompagne pas de l’émergence d’institutions internationales capables de constituer une représentation légitime et démocratique, ou susceptibles d’assurer le respect de règles qui permettraient une régulation des relations politique et économique et une solidarité entre les différentes populations. Bien au contraire, ces institutions sont de façon générale porteuses d’une vision du monde qui conduit à conforter le pouvoir de grands intérêts privés, à privilégier une dérégulation financière qui favorise la spéculation, l’expansion d’une économie hors sol, l’endettement au profit d’un marché financier mondialisé et conduit à l’augmentation des inégalités. Des enjeux pourtant universaux, comme ceux du réchauffement climatique ou plus généralement des limites écologiques de la croissance, ne parviennent manifestement pas à être réellement pris en compte dans ce cadre.
Si des principes généraux humanistes sont revendiqués, ils recouvrent des pratiques qui ignorent totalement la nécessité d’une solidarité minimale entre les peuples.
La simple logique des déséquilibres de la dette qui, ces dernières années, a augmenté de façon exponentielle, en particulier pour les pays les plus dépendants de l’économie mondialisée, les plus assujettis à des enjeux industriels et monétaires qui leurs sont extérieurs, pays dits « émergents », n’est pas maitrisée et conduit aujourd’hui avec la chute de la demande mondiale, à une situation dramatique de faillite et d’effondrement de bien des économies nationales1. Si des principes généraux humanistes sont revendiqués, ils recouvrent des pratiques qui ignorent totalement la nécessité d’une solidarité minimale entre les peuples. Le seul exemple de l’existence des paradis fiscaux et du rôle qu’ils jouent dans le fonctionnement de la finance internationale suffit à illustrer cette situation.
5 La crise des États-nations ne donne donc lieu qu’à l’émergence de pouvoirs largement opaques qui capturent la capacité de décision collective sous couvert d’une autorité technocratique et réduisent les formes démocratiques à des jeux d’apparence. Simultanément, ce qui constituait le fondement historique de l’État moderne, c’est à dire la triple articulation entre une institution politico-administrative plus ou moins centralisée, une population constituée en nation et un territoire unifié, a très largement rencontré ses limites. Ni les formes de la décision collective, ni les caractéristiques de ce qu’on appelle une nation, ni la réalité des pratiques territoriales et des modalités de l’occupation de l’espace ne se réduisent plus à ces éléments. Des enjeux fondamentaux, en particulier les enjeux écologiques, mais aussi les enjeux commerciaux, industriels et financiers, ne peuvent en aucun cas être ramenés à l’échelle des États-nations.
un système complexe d’institutions nationales et internationales qui sont incapables de constituer des lieux légitimes et démocratiques de la décision collective.
La critique de la mondialisation qui prend la forme de la revendication d’un « retour » à la souveraineté des États prend donc un aspect nostalgique assez inquiétant. Elle conduit à passer outre la réalité de ce que ces États ont représenté (le domination des capitalismes nationaux avec leur dimension colonialiste et impérialiste) et elle ignore la réalité de ce qui s’est aujourd’hui développé : un système complexe d’institutions nationales et internationales qui sont incapables de constituer des lieux légitimes et démocratiques de la décision collective.
6 Au delà des illusions sur la réalité des États nationaux, il faut faire attention à ce que ce pseudo « retour » des frontières manifeste : la question des frontières n’est pas en train de retrouver une actualité qu’elle aurait perdu. En réalité, elle n’a pas cessé d’être omniprésente depuis de longues années au travers des discours sur la sécurité et le terrorisme, le développement des trafics illégaux et des paradis fiscaux, les délocalisations industrielles et des problèmes de la concurrence internationale. Cette polarisation du discours politique que la question des frontières a été particulièrement illustrée par la « crise »des migrants. Celle-ci est devenue le point de fixation de manoeuvres et de manipulations qui dépassent très largement la réalité objective des problèmes que la seule réalité des migrations contemporaines peut soulever.
La question des frontières n’est pas pour autant en train de retrouver une actualité qu’elle aurait perdu.
Il est bon de rappeler que loin de s’effacer, les frontières n’ont pas cessé de se multiplier depuis que le mur de Berlin est tombé. Jamais on n’a créé autant de frontières, jamais on n’a dressé autant de barrières et de murs, jamais on n’a autant dépensé pour contrôler leur passage. Le thème des frontières est rabâché en permanence par les discours des droites nationalistes et dans un pays comme la France, par les gouvernements de ces dernières décennies, ceux de droite bien sûr, mais aussi ceux qui font semblant de ne pas être de droite. Les uns et les autres n’ont pas cessé d’alimenter la fiction selon laquelle il s’agirait d’une préoccupation centrale des populations et de l’utiliser pour manipuler l’opinion, comme E. Macron a encore récemment tenté de le faire pour sortir des questions soulevées par le mouvement des gilets jaunes et déplacer les enjeux politiques sur la relation à l’extrême droite. Bref, les frontières hantent le débat politique sans interruption depuis très longtemps et de ce point de vue, il n’y a aucun « retour ». L’idée simple selon laquelle la mondialisation, depuis une cinquantaine d’années, est un processus d’affaiblissement ou de disparition des frontières est contredite par la réalité de leur développement et de leur durcissement. Il faut au contraire clairement reconnaître que le renforcement des frontières en tant que dispositifs de contrôle et de filtrage de la mobilité humaine est indissociable du mouvement de la mondialisation depuis au moins une trentaine d’années. Les frontières ne disparaissent pas, par contre elle changent, leurs fonctions se transforment et ce sont ces transformations que la pandémie révèle. De ce point de vue, il y a bien quelque chose qui s’est passé, qui touche moins aux frontières en tant que telles qu’aux formes d’organisation de l’espace dont elles sont l’une des expressions. La pandémie en est un révélateur et un catalyseur.
7 Il est intéressant de rapprocher la pandémie, comme question politique, avec le problème des migrants. La pandémie est venue recouvrir le sujet des migrants, lesquels se sont retrouvés brutalement effacés de l’actualité, évaporés, oubliés sur les embarcations de fortunes dans lesquelles ils continuent de risquer leur vie, dans les zones qui bordent la frontière entre la Turquie et la Grèce où ils se retrouvent bloqués ou dans les camp de rétentions où ils restent maintenus en dehors de toute considération d’humanité, dans des conditions sanitaires insupportables et dans la plus totale ignorance de leurs droits. C’est que la « question » des migrants est depuis longtemps un véhicule qui porte bien d’autres charges, celle du contrôle et de l’extension des systèmes de surveillance, bien sûr, mais aussi celle des nouvelles hiérarchies entre les êtres humains.
La mort est le prix et l’aboutissement d’une politique généralisée de ségrégation.
Ces nouvelles hiérarchies sont sociales, économiques, culturelles, mais elles engagent aussi une autre dimension, celle de la relation à la valeur politique de l’existence et à l’acceptabilité de la mort, non pas la mort qu’on donne, qu’on provoque directement, c’est-à-dire la mort en situation de guerre ou la mort comme peine infligée par la loi, pas davantage la mort qui a lieu ailleurs, en dehors de notre responsabilité directe et qui nous interpelle dans notre disponibilité à apporter de l’aide et des ressources, mais la mort comme contrepartie de la politique de séparation, de scission, d’exclusion d’une partie de l’humanité, la mort qu’on provoque en fermant nos portes et en divisant l’humanité entre ceux qui seront préservés et les autres, la mort comme prix et aboutissement d’une politique généralisée de ségrégation.
8 Les migrants, dont le nombre est tel qu’il n’y a aucun sens à les rejeter à l’échelle des 500 millions d’européens, et qui coutent économiquement infiniment plus chers à repousser, à enfermer et à déporter qu’à aider et à accueillir, sont manifestement porteurs d’un enjeu qui dépasse la question de leur existence. Cet enjeu n’est pas seulement celui de la revendication nationaliste et du rejet de la mondialisation, qu’on ne cesse de réveiller et de convoquer pour détourner le mécontentement sur le mode de la propagande comme stratégie d’orientation des comportements2. Ce n’est pas la crainte du chômage ou cette formidable hypocrisie selon laquelle les pays de l’Europe occidentale n’auraient pas les moyens de prendre en charge ces foules démunies. Il relève d’abord d’une logique sociale d’exclusion et « d’expulsion » qui ne touche pas seulement les populations « étrangères » mais qui s’étend à des fractions de plus en plus large des populations « intérieures » aux États. Ces processus d’exclusion et de fragmentation sociale sont de plus en plus étendus, de plus en plus violent3. La crise des gilets jaunes en France en donne un bonne illustration. D’une façon plus radicale, il relève de ce que Achille Mbembe appelle la nécropolitique4. Or cette nécropolitique, telle qu’elle s’impose aujourd’hui, est aussi inscrite dans des logiques spatiales.
9 La pandémie est venue recouvrir largement ces enjeux, parce qu’elle les porte en elle-même en les déplaçant et en les transformant. On peut évidemment être d’abord frappé par le fait qu’en Europe, les États aient fermé leurs frontières pour mieux exercer le contrôle sur l’expansion de la contamination en restreignant la circulation des personnes. Il est très clair qu’il ne s’agissait pas là d’empêcher la diffusion de la maladie, mais de la ralentir, de la maîtriser de façon à éviter le débordement des services de santé. C’est particulièrement vrai en France où la logique de liquidation des services publics, accompagnée par l’idée selon laquelle l’État devrait être géré comme une entreprise, a profondément fragilisé l’institution hospitalière et le secteur de la santé en général. De ce point de vue, la fermeture des frontières est une autre dimension de la politique du confinement. Et pour les pays européens, l’objectif n’est pas de « revenir » à des frontières fermées et infranchissables (ce qui relève d’ailleurs du fantasme, cela n’a jamais été le cas à l’exception de situations exceptionnelles de guerre ou de dictatures), mais de créer une situation provisoire qui permette de contrôler le développement d’un processus qu’on sait par ailleurs inévitable et qu’on est largement impuissant à contenir. Il s’agit pour les États concernés de se donner les moyens d’appliquer les règles et des tactiques qu’ils veulent définir en fonction des impératifs politiques qui leurs sont propres. Par contre, cette fermeture des frontières nous dit beaucoup sur ce qu’elles sont devenues : essentiellement des barrières qui servent à contrôler les mouvements des individus et à filtrer les populations. Les frontières ne sont plus d’abord des limites territoriales, elles sont des éléments d’un système bien plus large de fichage, de suivi, de traçage et de contrôle des personnes et de leurs déplacements. Elles sont des modes de régulation de la mobilité et par là-même, elles sont devenues des éléments de régulation de la valeur.
Cette séparation de l’économique, ramené à la logique du marché, et du social ou de la solidarité est la maladie native de la construction européenne.
10 De ce point de vue, la situation intérieure de l’Europe est particulièrement claire. La construction de l’Europe s’est faite à partir du principe de la construction d’un marché unique qui exclut systématiquement les aspects sociaux, la santé, les règles de solidarité. Cette séparation de l’économique, ramené à la logique du marché, et du social ou de la solidarité est la maladie native de la construction européenne. Elle est inséparable de son fonctionnement techno-bureaucratique, dont la logique conduit inévitablement à opposer les deux dimensions, à jouer l’économique contre le social, et à donner à ce dernier le rôle de la variable d’ajustement de la concurrence. Dans une situation de crise qui touche directement la santé et donc les aspects sociaux et les impératifs de solidarité, c’est en quelque sorte mécaniquement que le repli égoïste national s’effectue. Ce qui s’est passé en Europe montre moins la faiblesse de la construction européenne que la puissance mortifère d’une logique qu’on avait déjà parfaitement vue à l’œuvre dans le cas de la Grèce, lors de son écrasement par les instances européennes et les institutions financières internationales. Elle montre par contre que cette logique est dangereuse, qu’elle conduit à des déséquilibres intenables et qu’elle arrive au point où elle va devenir insupportable pour les populations. Mais imaginer que l’Europe aurait dû et pu être solidaire, c’est rêver d’une autre Europe, dont les règles de fonctionnement appliqueraient des principes de solidarité, une Europe qui ne ferait pas du social la variable d’ajustement du marché .
11 Exactement comme le confinement est par excellence une situation provisoire et destructrice dont il faut, pour les gouvernement, organiser le plus rapidement possible la sortie, la fermeture des frontières intra-européennes est aussi une contrainte provisoire et dommageable qui doit rapidement cesser, au moins pour certaines de leurs implications, celles, justement, qui touchent à la « valeur » économique. Par contre, dans l’un et l’autre cas, la sortie de ces situations donne l’occasion d’imposer de nouvelles mesures de contrôle sur les personnes, elles créent les conditions qui vont rendre acceptable des formes de fichage et de suivi qui sembleraient sinon insupportables. On peut tout à fait envisager cela à partir du modèle de la stratégie du choc telle qu’il est avancé par Naomi Klein5. Mais il est nécessaire d’avoir en tête que ce processus, même s’il trouve dans la pandémie, ou plus exactement dans la gestion de l’épidémie et la sortie des mesures archaïques de lutte contre sa progression, l’occasion d’une puissante et redoutable accélération, s’inscrit dans la droite ligne d’une logique déjà existante. Derrière l’événement provisoire de la fermeture des frontières se joue un autre processus, bien plus profond, celui de l’accélération et de l’approfondissement du contrôle social.
Derrière l’événement provisoire de la fermeture des frontières se joue un autre processus, bien plus profond, celui de l’accélération et de l’approfondissement du contrôle social.
12 On a longtemps répété qu’il y avait un lien entre le libéralisme économique et la démocratie politique. Nous savons depuis pas mal de temps que ce n’est pas le cas avec le néolibéralisme. Nous le savons depuis la dictature de Pinochet et ses liens avec l’école économique de Chicago, depuis Thatcher, mais aussi depuis que la course à la privatisation de la connaissance s’est élargie, que la marchandisation du vivant dans l’industrie chimique, agro-alimentaire et pharmaceutique s’est développée, depuis que les données personnelles sont devenues l’une des ressources essentielles à exploiter, depuis que l’attention est devenue l’enjeu d’une captation qui vient transformer notre relation aux écrans et par delà à la connaissance et à nos relations aux autres6. Certains parlent à propos de la pandémie du contrôle des corps. Il s’agit plutôt, toujours et encore, du contrôle des comportements, de la décision et du savoir. Ce n’est pas un contrôle qui s’exerce principalement du dehors, par l’exercice d’une contrainte sur nos actions, mais en quelque sorte « du dedans », par la production des comportements, leur orientation, leur intégration et leur mobilisation dans des processus de consommation. Il faut l’autoritarisme imbécile du gouvernement français pour accentuer la figure d’un césarisme technocratico-policier, mais le mouvement général vers l’accentuation du contrôle des comportements dépasse largement , là encore, le cadre national.
Il s’agit plutôt, toujours et encore, du contrôle des comportements, de la décision et du savoir.
13 Reste que, même si cela permet de comprendre la généralisation de ces systèmes de contrôle et d’apercevoir leur place dans l’économie, cela ne suffit pas encore à expliquer leur radicalisation rampante, leur extension liberticide. D’une certaine façon, la prise en compte de la dimension spatiale de cette logique, qui consiste à lier la circulation des personnes et des informations au champ de relation dans lequel elles deviennent interprétables et manipulables, permet d’en percevoir une autre dimension. Il s’agit alors de tramer l’espace de façon à se donner les moyens de capter le plus largement possible des informations intégrées dans des modes de traitement automatisés, par exemple, dans notre actualité, de « tracer » les personnes potentiellement porteuses du virus, comme on trace les terroristes, plus simplement et plus généralement, comme on trace les consommateurs. Il n’y a, en réalité, qu’une infime différence entre les deux.
On « trace » les personnes potentiellement porteuses du virus, comme on trace les terroristes ou, plus simplement et plus généralement, comme on trace les consommateurs.
14 Cela conduit à revenir à la question de l’apparent « retour » des frontières. L’interprétation dominante à laquelle ce retour donne lieu est celle de l’opposition entre deux modèles, celui d’une mondialisation ouverte sur la fluidité de la circulation généralisée des hommes, des informations, des cultures, des marchandises et des capitaux et celui d’un ordre dominé par les limites imposées par la souveraineté des États-nations. Le virus, qui vient de Chine, serait la manifestation des dangers de la mondialisation ; la fermeture des frontières serait alors la réponse protectrice des États-nations. Quand la droite nationaliste exige comme première réponse à la crise sanitaire la fermeture des frontières, elle agite le fanion dérisoire de la ligne Maginot. Elle oublie que l’épidémie virale qu’on a désigné sous le nom de grippe espagnole, apparue aux Etats-Unis en 1918, était une pandémie qui a anéanti entre 2,5 et 5% de la population mondiale. Nous sommes alors à l’époque même où le modèle de la frontière et de l’État nation est à son apogée. Jamais aucune frontière n’a arrêtée une épidémie, ni la peste, ni le choléra, ni les différents virus qui maintenant se succèdent. Mais la droite nationaliste brandit comme d’habitude sa réponse toute faite à tous les problèmes du monde. Elle joue en réalité son rôle dans un concert auquel des gouvernements dits démocratiques, de droite, mais aussi parfois de gauche, participent allègrement. Qu’on se souvienne de Sarkozy ou de Valls, parfaits prédécesseurs du duo Macron-Castaner.
15 Par contre, elle trouve aujourd’hui, et avec elle tous les partisans du repli national, une confirmation de ses idées quand la France se retrouve en pénurie de masques, de tests, de systèmes d’oxygénations et d’anesthésiants. C’est le résultat d’une politique commandée par le principe idéologique d’une gestion des services publics sur le modèle de l’entreprise, dont l’objectif est de diminuer les frais et de maximiser la rentabilité dans une logique du court terme où l’intérêt général est réduit à une contrainte externe. C’est aussi le produit d’une logique financière qui brade les industries et avec elles les leviers d’action qui permettrait de recourir à la production intérieure. Mais c’est oublier que l’Allemagne, au moins aussi néolibérale et mondialisée, n’est pas confrontée aux mêmes pénuries. Elle n’a pas sacrifié ses PME, préservant une capacité de production intérieure, et elle a préservé son système de santé. C’est qu’il ne faut pas confondre la logique de la mondialisation et ce mélange si particulier d’aveuglement, d’arrogance et d’incompétence qui caractérise nos élites dites républicaines et, justement, nationales. Dangereusement, une lecture réductrice des incompétences françaises se satisfait trop vite de l’opposition entre le local et le global et elle peut conduire par là à d’étranges confusions et à d’inquiétantes chimères.
16 Cette opposition présente deux niveaux, deux degrés, deux espaces. Elle ne pense pas les formes d’organisation de l’espace, mais se contente d’opposer deux échelles, deux dimensions. Elle mobilise une certaine conception de l’espace et de son organisation, un schéma somme toute bien traditionnel qui réduit l’espace, comme champ de relation, avec l’étendue bidimensionnelle. Plus exactement, cette vision consiste à concevoir deux espaces superposés, l’un contenant l’autre, sans prendre en compte la réalité des logiques spatiales qui sont réellement engagées. Souvenons nous de l’exemple des migrants. Il nous montre d’abord que cette idée de la mondialisation comme espace lisse et fluide de la circulation généralisée est fausse. Bien sûr, la quantité de personnes qui se déplacent dans le monde est considérablement plus importante que ce qu’elle était il y a seulement un demi-siècle et la vitesse de ces déplacements est considérablement plus grande. En tout cas de certains de ces déplacements. Parce que tout dépend qui vous êtes, d’où vous venez, combien vous « valez » économiquement parlant. Il y a une grande variété, une énorme hiérarchie, une formidable inégalité dans l’accès à la mobilité.
Un rentier pourra aller en Jet faire son golf du week-end à Marrakech, un chômeur d’Afrique sub-saharienne risquera sa vie et sa liberté pendant des mois pour parvenir en Europe.
17 Le dirigeant d’entreprise, le cadre supérieur, le touriste, le croisiériste qui navigue sur un « hôtel/galerie marchande/parc d’attraction » flottant, le travailleur précaire à la recherche d’un job provisoire, le réfugié, qu’il soit chassé par la misère et le chômage ou par la guerre ou l’oppression, n’appartiennent littéralement pas au même monde. Les sphères spatiales et temporelles qu’ils occupent ne sont pas les mêmes. Si par hasard ils se trouvent à un moment donné au même endroit au même moment ils ne se croiseront pas, ils ne se verront pas, ils n’ont à peu près aucune chance de se rencontrer. Le monde est ouvert aux premiers, il est radicalement fermé aux derniers. Même si certains parmi les plus précaires sont aussi en mouvement, marins sans statut prisonniers d’un bateau sous pavillon de complaisance, membres d’équipage anonymes asservis au fonctionnement d’un paquebot, la circulation à laquelle ils participent ne leur ouvre aucun horizon. Ceux-ci sont absolument invisibles à ceux-là, ou seulement sur les pages d’une revue, sur l’écran des informations, au mieux, comme une ombre dans le décor. Un rentier pourra aller en Jet faire son golf du week-end à Marrakech, un chômeur d’Afrique sub-saharienne risquera sa vie et sa liberté pendant des mois pour parvenir en Europe. Mais la grande majorité de ces derniers se déplaceront à l’intérieur même du continent africain. De ce point de vue, les frontières réelles ne sont pas tant les délimitations entre des espaces nationaux que les disjonctions entre des sphères spatio-temporelles qui recouvrent des relations économiques, des stratégies d’échanges et de relations, des circulations d’informations et des négociations d’intérêts.
18 La notion traditionnelle de la frontière est celle d’une limite spatiale entre des espaces territoriaux. Cela signifiait que des entités politiques, économiques, financières, sociales, culturelles, se constituaient dans une relative indépendance. Mais cela signifiait aussi que les sphères de circulation des marchandises, de la monnaie et du crédit, des informations et des usages culturels, trouvaient dans le cadre national une assise, une première existence spatiale et une garantie. De ce point de vue, elles étaient relativement solidaires les unes des autres. Ce n’est plus réellement le cas. La sphère de la circulation financière s’est largement autonomisée par rapport aux États. Elle se déploie à l’échelle internationale dans un jeu d’ordres et d’écritures numériques assistés par des mécanismes algorithmiques. La circulation des marchandises se déploie pour sa part dans des sphères spatio-temporelles complexes qui traversent les limites étatiques en négociant leurs effets économiques. Le jeu des accords commerciaux de libre échange contribue à définir leur régime, bien au delà des frontières nationales. La circulation des informations dessine la multiplicité de ses horizons bien au delà des limites géographiques et le rôle des grandes entreprises du numérique est devenu majeur à l’échelle de la planète. Les appartenances culturelles se sont complexifiées et se déploient dans des strates que chaque individu traverse et recombine. Entre ces différentes circulations, l’architecture des relations tisse des configurations qu’aucune analyse d’ensemble ne peut réduire. En tout cas, la façon dont elles dessinent des espaces d’expérience ne correspond plus du tout aux degrés de l’échelle spatiale du proche vers le lointain, de l’individu à la commune, au pays, au continent. Par contre, elles se croisent, d’une façon ou d’une autre, à chaque degré de cette échelle.
Cette complexité rend totalement inadéquate la représentation du monde basée sur le jeu d’opposition entre le dedans et le dehors, le proche et le lointain, le « sien » et l’étranger, le local et le global. Ou plus exactement, ces oppositions ne sont plus superposables les unes aux autres et en tout état de cause, elles ne correspondent plus au dessin des frontières politiques des États-nations. Plus largement, elles ne rendent plus compte des logiques spatiales qui sont les nôtres. Mais la complexité de ce que j’appelle ici des sphères spatio-temporelles pose de façon critique la question de leur coexistence et du système de leurs relations. Elle pose la question de la façon dont se définit la place des individus, le rôle des citoyens et des communautés, la construction sociale des décisions collectives.
19 La vision classique d’un monde homogène, continu et cohérent tend à établir une logique qui oppose un « intérieur » rassurant et maitrisé à un « extérieur » étranger, fascinant mais dangereux et imprévisible. En réalité, ce schéma n’a jamais vraiment correspondu à une réalité historique, mais il a été un bon support des récits dans lesquels se construisaient les représentations collectives. Il a été, par exemple, un modèle efficace de la construction des récits nationaux. Alors, l’ennemi était toujours l’étranger, il venait du dehors. Il pouvait y avoir un ennemi intérieur, une cinquième colonne, mais c’était toujours un agent de l’étranger. Le partage du monde entre les blocs a donné corps à cette fiction jusqu’au début des années 90. La façon dont le terrorisme a pris le relais de la figure de l’ennemi donne une bonne indication du passage à une nouvelle logique, comme il a été un élément important d’une transformation de ce qu’on appelle la guerre7. Le terrorisme est par définition irréductible à une localisation. Il constitue une altérité, mais une altérité diffuse, potentiellement omniprésente, sans cesse menaçante. L’ennemi était de l’autre côté de la ligne frontalière. Le terroriste se cache sous le visage anonyme de notre voisin. La logique contemporaine du terrorisme est indissociable d’un processus de criminalisation des formes de contestation de l’ordre dominant, de l’action syndicale jusqu’au militantisme écologique et l’expérimentation d’alternatives aux mode de vie de la grande consommation. La population devient la cible principale.
20 Les États modernes se sont construit en même temps qu’ils définissaient des territoires définis par des frontières qui divisait et répartissait un monde continu, homogène, appropriable et colonisable. Aujourd’hui, les transformations de nos sociétés font émerger ce qu’on pourrait considérer comme des sphères spatio-temporelles qui dessinent des champs de relations multiples. Il est important de concevoir que personne n’appartient qu’à une seule de ces sphères. Chacun est plutôt partagé et traversé par elles, de façons évidemment différentes et très inégales. Même dans leurs bateaux de fortune, sur les chemins de leurs errances, des migrants peuvent posséder des smartphones qui leur permettent de prendre des images et, s’ils trouvent une connexion, de communiquer avec leurs proches, de s’envoyer des messages, d’échanger des informations.
21 Cette logique s’articule sur des lignes de fracture, des divisions, des contradictions qui ne répondent plus seulement au schéma du proche et du lointain, de l’intérieur et de l’extérieur, du sien (des siens) et de l’autre (des autres). La question devient alors la nécessité de penser ces lignes de fractures qui ne sont plus dehors mais dedans, qui nous traversent, ou plus exactement qui conjuguent le dehors et le dedans, le proche et le lointain, qui dépassent et bouleversent les polarités dans lesquelles nous pensions l’espace et notre situation dans nos environnements. De la même façon, le contrôle ne vient plus se fixer sur des lignes prédéfinies, il ne peut plus se satisfaire du système hérité des frontières géographiques des États-nations. Il doit recouvrir la totalité des circulations, en particulier celles des marchandises, des personnes et évidemment, celle des informations qui recouvrent et intègrent toutes les autres. Ce sont les flux de circulation qu’il s’agit de suivre, de pénétrer et de hiérarchiser. Ce processus conduit à la fois à multiplier les modalités du cloisonnement, du morcellement de l’espace, de la fermeture des lieux de vie et de travail, et à renforcer les systèmes de traçage et de suivi en temps réel des déplacements, des communications et des échanges. L’idée d’un pays dont la liberté serait garantie par le sécurisation de ses frontières est devenue radicalement contradictoire.
22 A cette géographie des flux s’ajoute des phénomènes d’emprise territoriale qui assujettissent aussi bien des structures industrielles que des forêt et des terres agricoles. Des espaces de terres de plus en plus importants sont massivement achetées par des groupes privés liés à des intérêts d’États dans les pays soumis par les institutions financières internationales au régime de la dette et des « ajustements structurels » et ils échappent pour une large part à la souveraineté des États territoriaux8. Les pratiques agricoles sont plus généralement soumises à des contraintes financières et des formes de contrôle qui passent par la maitrise des semences, des engrais et des pesticides par des entreprises agro-chimiques mondialisées, ainsi que par les marchés des matières premières. Il en résulte que la biosphère fait l’objet d’une prédation accentuée par des logiques économiques dont les mécanismes se jouent à l’échelle internationale, sans considération pour les équilibres sociaux ou écologiques locaux ni pour les conséquences sociales et écologiques globales.
23 C’est dans ce cadre, auquel il faut ajouter l’extension des concentrations urbaines et la densification des conurbations, que peut se comprendre l’accroissement toujours plus important de la pression anthropique sur les écosystèmes et d’une façon générale sur le vivant, dans sa diversité. Le double processus de l’augmentation toujours plus grande de cette pression et du réchauffement climatique crée des déséquilibres tragiques dont on ne perçoit généralement l’effet que par la disparition ou la mise en danger d’espèces emblématiques. On ne mesure que beaucoup plus difficilement les effets qui se font sentir sur des espèces plus discrètes ou plus « lointaines » dans notre imaginaire de la « nature ». C’est en particulier le cas des insectes.
Mais là encore, cette pression est souvent imaginée comme une extension spatiale qui opposerait le « dedans » des zones urbanisées et artificialisées et le « dehors » des zones « naturelles ». C’est une perception qui ignore largement la complexité de l’enchâssement entre les deux ordres de réalités, si tant est que l’idée même de l’existence de deux « ordres de réalités » ait un sens. C’est ignorer que l’essentiel de ce qu’on regarde comme des espaces « naturels » sont en réalité marqués par l’activité humaine. Mais inversement, c’est ignorer que les écosystèmes se déploient largement à l’intérieur des milieux les plus humanisés, les plus artificialisés.
24 L’organisation urbaine traditionnelle qui opposait la ville, la campagne et les espaces sauvages comme autant de cercles concentriques a évidemment perdu son sens depuis bien longtemps. Dès la seconde moitié du XIX° siècle la « forme » des villes commençait à se transformer pour s’étirer le long des voies de communication. Au cours du XX° siècle les limites entre ville et campagne sont devenues de plus en plus incertaines. Aujourd’hui, les continuités urbanisées englobent des espaces agricoles et des zones dites « naturelles », parfois même des parcs naturels. L’intrication entre les milieux plus ou moins urbanisés et les espaces sauvages est devenue de plus en plus serrée et complexe. Cela signifie évidemment que les espaces sauvages ne cessent de diminuer et de se transformer, mais cela signifie aussi que les espaces artificialisés sont aussi de plus en plus occupés, traversés, par des espèces animales nombreuses et diverses.
De ce point de vue aussi la notion de distance voit sa signification changée, non seulement par l’effet de la vitesse et de l’accélération, mais parce que l’espace, son organisation, ses usages, les logiques d’occupation qui s’y déploient sont différentes. Et là aussi, l’idée d’une « frontière » qui séparerait les mondes humains et animaux s’est radicalement transformée. Elle s’est transformée géographiquement, par la constitution de trames qui font se côtoyer comme cela n’avait jamais été ce qui relève des espaces aménagés et humanisés et ce qui relève des espaces sauvages. Elle s’est transformée économiquement, par le développement d’une agriculture industrielle qui éradique les forêts, appauvrit les variétés biologiques, épuise les sols. Elle s’est transformée scientifiquement et technologiquement par les manipulations génétiques et l’expansion de l’usages des produits chimiques, des insecticides, fongicides, antibiotiques, etc…
« Détruisez les paysages, et les espèces qui vous restent sont celles dont les humains attrapent les maladies »
25 Des scientifiques ont depuis longtemps alerté sur les risques épidémiques. Ils ont souligné de longue date les relations entre la pression anthropique sur les écosystèmes et l’apparition d’une série de maladies qui trouvent leur origine dans la transmission de virus de l’animal à l’homme, les zoonoses, facilitées par cette intrication impensée des espaces et la façon dont l’industrialisation de l’agriculture conduit à diminuer la variété biologique des espèces élevées, à concentrer et à enfermer les animaux d’élevage et à homogénéiser les façons de produire. Comme le dit Kate Jones, de l’University College of London, les zoonoses sont « le coût caché du développement économique humain »9. « Nous étudions comment les espèces vivant dans des habitats dégradés sont susceptibles de transporter davantage de virus pouvant infecter les humains », explique-t-elle. « Des systèmes plus simples ont un effet d’amplification. Détruisez les paysages, et les espèces qui vous restent sont celles dont les humains attrapent les maladies ».
Il n’y a là aucune surprise, mais la réalisation d’un phénomène attendu, la réalisation d’une potentialité si manifestement inscrite dans le développement de nos sociétés capitalistes qu’on ne compte pas les récits qui en explorent les voies — l’un des plus récents et des plus troublant étant peut-être le roman de Deon Meyer, L’année du lion, paru en 201610.
Ce qui était pensé sur le mode de l’extériorité doit maintenant l’être sur le mode de l’interpénétration et de l’interdépendance.
26 Les articles qui nourrissent cette réflexion sont innombrables. Chaque fois, l’idée que les épidémies témoignent à la fois de la pression démographique, urbaine et industrielle sur les écosystèmes revient, en même temps que se dessine une nouvelle géographie qui redistribue autrement les espaces humanisés et les espaces laissés ouverts à la vie sauvage11. Les deux dimensions, celle de la pression des modes d’occupation et des modes de culture et celle des formes de la géographie de la relation aux espaces dits « naturels », sont évidemment liées, mais elles méritent en même temps d’être distinguées et réfléchies différemment. Transformer les pratiques agricoles et les pratiques urbaines ne permettra jamais de revenir à un état antérieur de la relation avec les mondes vivants. Une nouvelle situation a été créée avec laquelle il nous faut maintenant apprendre à vivre. La pandémie du covid-19 et les merveilleuses images qui se multiplient sur les réseaux sociaux et qui montrent des animaux sauvages venir occuper les jardin publics fermés, les cimetières désertés, les rues vides, les plages abandonnées, sont deux aspects d’une même réalité, deux visages d’un même monde. Ils nous placent devant la même alternative, soit la réponse consiste à dresser des barrières et à s’enfermer dans des isolats aseptisés, soit elle consiste à développer des modalités d’accueil, d’ouverture, de partage et de cohabitation. Ce qui était pensé sur le mode de l’extériorité doit maintenant l’être sur le mode de l’interpénétration et de l’interdépendance.